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Billet de blog 14 juillet 2012

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Offre et demande : un débat en trompe l'oeil

Le verdict est tombé, sans délai et sans appel: contrairement aux engagements qu’il n’a pas pris tout au long d’une interminable campagne électorale, le nouveau président de la République serait passé avec armes et bagages dans le camps du «social-libéralisme».

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Le verdict est tombé, sans délai et sans appel: contrairement aux engagements qu’il n’a pas pris tout au long d’une interminable campagne électorale, le nouveau président de la République serait passé avec armes et bagages dans le camps du «social-libéralisme». L’action de son gouvernement est inspirée par les théoriciens honnis de l’économie de l’offre alors que le pays qui l’a élu, sans doute par naïveté, aveuglement ou inconséquence, aurait besoin, séance tenante, d’une relance massive de la demande.

Admettons que cela fut vrai, où serait le problème ? Un pays qui est installé durablement dans un déficit commercial structurel supérieur à 70 milliards d’euros, dont les parts de marché sur le marché mondial ont chuté de 30% au cours des douze dernières années, dont la base industrielle rétrécit comme peau de chagrin, n’aurait pas un sérieux problème d’offre productive ? Si relance il y avait (avec quel argent, celui d’un Etat en faillite, celui qu’avancerait l’Allemagne par le biais des «eurobonds» ou qu’imprimerait la BCE ?), à qui cette demande pourrait-elle profiter ? Sauf erreur, il y a eu soutien de la demande hexagonale en faveur de l’industrie automobile (la prime à la casse). On voit le résultat.

Ce débat n’est pas posé sur le terrain de la réalité de la politique économique, mais sur celui de l’idéologie : «économie de l’offre» = «ultralibéralisme» = réduction de l’intervention de l’Etat, saccage des services publics «à la Française», baisse de la fiscalité sur les entreprises, etc., etc. On avait cru comprendre que François Hollande était un digne représentant de la social-démocratie européenne, certes converti à l’économie de marché mais attaché à la défense du «modèle social français» (pour ce qu’il en reste), héritier de Jacques Delors et de Pierre Bérégovoy, plus enclin à un certain pragmatisme que porté par de fortes convictions théoriques. Grave erreur. Celui qui s’est démasqué moins de temps qu’il n’en faut pour le dire est un partisan des «Reaganomics», le fils caché de Margaret Thatcher, un disciple camouflé de l’Ecole de Chicago.

Dans l’histoire des théories économiques, les partisans de l’économie de l’offre, à commencer par le «pionnier» Arthur Laffer, celui de la courbe et de UCLA (et non de Chicago, pas de chance !), sont classés dans le camps opposé à celui de Keynes et de ses disciples, thuriféraires de l’économie de la demande. Voici un exemple sommaire de cette présentation : «Reprenant la tradition héritée de Jean-Baptiste Say, ces économistes mettent l'accent, au niveau de l'analyse, comme dans la politique économique, sur ce qui se passe « du côté de l'offre», c'est-à-dire du côté des entreprises, de la production, de l'effort productif. Ils rompent ainsi avec près d'un demi-siècle de pensée keynésienne, qui mettait l'accent exclusif sur la demande, et pour qui toute politique économique passait par la relance ou le freinage de cette même demande globale (consommation + investissement).»

En réalité, cette guerre de religion est plutôt une querelle de chapelles. Keynésiens et «supplysiders» divergent sur les moyens. Mais ils partagent la conviction que le gouvernement, par la dépense publique ou la «dépense fiscale», a la capacité et par conséquent l’obligation d’intervenir sur le déroulement du cycle économique. L’école autrichienne authentiquement libérale, qui n’est «ni du côté de l’offre, ni du côté de la demande mais de son propre côté», considère que les politiques inspirées par ces faux jumeaux aboutissent aux mêmes résultats catastrophiques. Le chemin peut être différent mais l’aboutissement est le même.

Dans un texte classique (dans les milieux libéraux) de 1987, Murray Rothbard, le continuateur de Ludwig von Mises, a dénoncé «Les mythes des Reaganomics». L’ancien gouverneur de Californie, élu sur le slogan «l’Etat n’est pas la solution, il est le problème», a été dans la pratique d’un laxisme budgétaire dont un keynésien pourrait s’enorgueillir. En valeur absolue comme en pourcentage du PIB, le budget fédéral s’est envolé entre le dernier exercice du mandat de Jimmy Carter et la dernière des huit années passées à la Maison Blanche par Ronald Reagan. Autant pour «la réduction du train de vie de l’Etat».

De la même manière, Rothbard démolit pierre par pierre le mythe des «réductions d’impôt» de Reagan, qui valent jusqu’à aujourd’hui au «Gipper» la rancœur mal informée de la gauche européenne. Réduction d’impôts ? Entre 1980 et 1986, relève Rothbard, les recettes fiscales de l’Etat fédéral ont augmenté de…49%. Dans une figure familière, les modestes baisses d’impôt sur les plus fortunés ont servi de «cache sexe» à une augmentation générale de la pression fiscale, en particulier sur les classes moyennes.

 
Quand à la fameuse «déréglementation» reaganienne, chacun sait qu’elle a été lancée pour l’essentiel par Jimmy Carter et qu’elle ne retrouvera un second souffle (en matière financière notamment) que sous Bill Clinton, idole de la gauche européenne (jusqu’à ce qu’elle découvre, avec dix ans de retard et grâce à la crise financière, l’existence de Goldman Sachs et de Bob Rubin).

«S’agissant des politiques monétaires et budgétaires, les Démocrates sont traditionnellement le parti du Keynésianisme libéral (de «gauche», au sens américain du terme) contrairement à la politique républicaine de Keynésianisme conservateur. Le problème est que au cours des deux dernières décennies, il est devenu de plus en plus difficile de faire la différence», concluait Rothbard à la fin des années 80.

A fortiori pendant les décennies qui ont suivi puisqu’en matière de «Big Government» et d’explosion des déficits budgétaire et commerciaux et de la dette publique, Reagan fait figure d’amateur comparé au «conservatisme compassionnel» de Bush Junior. Sans parler évidemment des déficits annuels à mille milliards de dollars de l’administration Obama, produits des vielles recettes keynésiennes choisies comme réponse à la crise financière et du sauvetage du système bancaire américain.

Enfin, là où il n’y a pas même une différence de nuances entre les keynésiens et les «supplysiders», c’est en matière de politique monétaire. Reagan, comme le rappelle Rothbard, avait enterré très vite ses velléités de retour à l’étalon-or. Et c’est bien lui qui a nommé a nommé à la tête de la Réserve Fédérale Alan Greenspan, le souffleur de bulles spéculatives, en remplacement de Paul Volcker qui avait la mauvaise habitude d’insister sur l’impératif pour les Etats-Unis de réduire les «déficits jumeaux» (budget et comptes courants). Greenspan qui sera confirmé par Bush père et fils et Clinton entre les deux. Comme expliqué à de nombreuses reprises ici-même, keynésianisme et monétarisme sont les deux faces de la même fausse monnaie. Il y a d’ailleurs actuellement en France, un «consensus trans-partisan», comme aurait dit Jean-Claude Trichet, pour que la BCE devienne enfin «une vraie banque centrale», c’est à dire qu’elle fasse marcher la planche à billet afin de financer l’incurie de la classe politique et l’irresponsabilité des banquiers.

Ajouter la dette à l’impôt afin de maintenir le même niveau de dépenses publiques ou l’augmenter encore était une opération de cavalerie. C’est à cela que s’est ramenée en fin de compte l’application de la prétendue «politique de l’offre» sur les deux rives de l’Atlantique. En France, l’alternance s’est limitée à remplacer un étatiste keynésien de droite par un keynésien étatiste de gauche. On verra, avec la «grande réforme fiscale» annoncée le 14 juillet mais non définie, comment sera répartie une facture qui dans le meilleur et moins probable des cas restera inchangée.  

Avec la crise financière mondiale est venue l’heure des comptes. Les pays anciennement industrialisés (Japon, Europe occidentale, Etats-Unis) sont confrontés à un basculement du monde et à l’épuisement de leur modèle de croissance, situation qui, dans l’histoire récente, ne se compare, par sa brutalité, qu’à celles des économies dites «en transition» après l’effondrement du bloc soviétique. Si la «radicalité» et «l’audace» consistaient à ressortir de la naphtaline des remèdes qui ont fait la démonstration de leur nocivité, justifiées par un affrontement «théorique» en trompe l’œil, il y aurait lieu d’être inquiet. Mais il n’en sera rien. Ayant en ce domaine fort peu promis, le nouveau pouvoir tiendra encore moins. Question de moyens et de contexte. Le changement, ce n’est pas encore pour maintenant.