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Billet de blog 14 octobre 2010

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Retraites: la France entre la rue et les marchés

De l'avis même des princes qui nous gouvernent, la réforme des retraites est indispensable pour que la dette souveraine de la République française conserve la confiance des investisseurs, étrangers notamment, qui assurent les fins de mois de notre Etat impécunieux.

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De l'avis même des princes qui nous gouvernent, la réforme des retraites est indispensable pour que la dette souveraine de la République française conserve la confiance des investisseurs, étrangers notamment, qui assurent les fins de mois de notre Etat impécunieux. Autrement dit, un recul du gouvernement face à la pression de la rue pourrait menacer le fameux Triple A, la note d'excellence que les agences de notation internationales continuent d'assigner à la signature de la France.

Passons sur le fait que cette note, pour un pays dont le budget n'a pas été à l'équilibre depuis le milieu des années 70, n'est plus justifiée que par la garantie implicite apportée par la supposée solidarité politique que l'Allemagne étendrait en tout état de cause à ses dispendieux voisins d'au-delà du Rhin. Davantage que le jugement des agences de notation, dont la crédibilité discutable n'est pas renforcée par cette complaisance sur la qualité de la dette publique française, on devrait se soucier des froncements de sourcils qui viendront de Berlin au cas où un gouvernement français se montrerait une fois de plus incapable de mener à bien une «réforme». N'importe quelle «réforme».
Car, rappelons-le, la réforme Woerth (eh oui, si incroyable que cela puisse paraître vu de l'étranger, il est toujours là !) est un ersatz de remise en ordre des comptes de la protection sociale française. Ce n'est pas tant qu'elle ne soit pas financée sur le long terme mais, comme la prétendue réforme des régimes spéciaux, elle n'impose pas le changement de paradigme qui devrait accompagner une «réforme» (décidément le mot le plus dévalué de la langue française). On est très loin de la retraite par points ou à la carte, généralisant le système en vigueur pour les régimes complémentaires, qui, s'agissant d'un salaire différé, répond au principe de justice et de transparence: à chacun selon sa contribution. La solidarité à l'égard de ceux qui, pour des raisons légitimes et justifiées, seraient pénalisés par ce changement, relève elle, et elle seulement, d'un financement public, transparent, assis de préférence sur une recette fiscale dédiée, stable et équitablement répartie.
Dans un tel système, la durée et le niveau de cotisation importent évidemment beaucoup plus que l'âge légal de départ en retraite, dont l'existence même devient superfétatoire.
Ayant choisi, c'est sûrement atavique, le chemin de l'ersatz de réforme, le pouvoir actuel s'est trouvé logiquement confronté aux «porteurs de pancartes» (Raymond Barre), particulièrement nombreux et endurants, et maintenant, semble-t-il, au retour, à partir du 12 octobre, de la «grève par procuration», cette fascinante innovation sociologique de l'hiver 1995. Cheminots et conducteurs du métro parisien, que la «réforme» n'affecte que marginalement, se dévouent pour «bloquer l'économie du pays», dixit un dirigeant syndical à la SNCF, afin de faire plier un pouvoir politique que la dimension (controversée) des cortèges n'a pas réussi à impressionner.
Sans attendre le résultat, incertain, de ce bras de fer, on peut en déduire que la «mère de toutes les réformes», celle qui permettrait éventuellement, dans tous les domaines (éducation, santé, fiscalité, la liste est longue...) de passer de l'ersatz au produit original, serait celle des institutions politiques et sociales du pays. En lieu et place d'un gouvernement, la France dispose d'un cabinet particulier de conseillers plus ou moins occultes à la disposition du chef de l'Etat. En lieu et place d'un Parlement, d'une simple chambre d'enregistrement, dont les membres sont plus des assistants sociaux pour leurs électeurs que les pères de la loi. En guise de syndicats, de modestes et multiples associations corporatives accrochées au secteur public (certes, le plus important du monde développé) comme la moule à son rocher. En guise de presse indépendante....
Si la «gouvernabilité» d'un pays, la qualité du dialogue social, le fonctionnement des corps dits «intermédiaires», etc., étaient des critères de notation de la dette souveraine, la République française serait au niveau qu'elle mérite: allez, disons BBB-, pas encore «junk», mais tout juste.

Publié initialement sur Orange.fr, le 7 octobre 2010