Les Grecs puis les Irlandais avaient, si l'on peut dire, devancé l'appel lancé par Eric Cantona à vider les comptes en banque, mardi 7 décembre, afin de «faire sauter le système». En effet, si l'envolée des primes de risque sur la dette souveraine de la Grèce puis de l'Irlande avait été le signe annonciateur et le symptôme de la crise d'endettement public, ce sont, dans les deux cas, les retraits massifs, par milliards d'euros, effectués par les déposants locaux qui ont représenté la goutte d'eau faisant déborder le vase ou plus précisément, selon l'expression anglaise, le brin de paille qui a cassé le dos de l'âne. Et dans deux cas, on connaît l'issue: l'appel à la solidarité européenne et l'intervention directe du Fonds monétaire international.
Autrement dit, pour filer la métaphore footballistique, la panique bancaire bien réelle a eu un résultat opposé à celle dont rêve en France l'ancien attaquant de Manchester United: cela s'appelle marquer contre son camp, ou un «own goal» dirait-on du côté d'Old Trafford. Loin de faire sauter le système, elle a précipité l'arrivée des «cost cutters» du FMI et de la Commission Européenne, avec dans leurs valises une austérité renforcée.
Ce n'est guère surprenant. Même, voire surtout, à des taux prohibitifs, les gouvernements européens parvenaient à faire leurs fins de mois, surtout quand l'échéance de remboursement était lointaine. Les investisseurs internationaux se disent qu'il y a une bonne affaire à faire et qu'il sera toujours temps de sauter en marche du train qui va dans le mur. Sans compter qu'ils présument, à raison jusqu'à présent, que les cadors de la zone euro ne laisseront pas tomber un membre du Club, ne serait-ce que pour protéger leurs propres établissements financiers, plus ou moins lourdement exposés.
Par contre, une vraie panique bancaire est un phénomène dont la violence est à la fois incontrôlable et immédiate. On se souvient qu'en Europe la crise financière a véritablement commencé au printemps 2008 avec les files d'attente devant les agences de Northern Rock, l'institution de crédit immobilier dont la faillite imminente a conduit à la nationalisation, étendue plus tard (après la chute de Lehman Bothers) à une bonne partie du système bancaire britannique. Mais par définition, une panique bancaire ne se décrète pas, même si le prophète de l'apocalypse est une ancienne star montée sur crampons, reconvertie en homme-sandwich pour des marques industrielles dont l'exemplarité sociale appartient à un passé lointain, comme Renault.
La France étant un pays où le ridicule ne tue pas, le petit monde politico-médiatique, de Christine Lagarde à Olivier Besancenot et une cohorte d'éditorialistes, s'est donné le mot pour crédibiliser une «initiative» sortie de l'obscurité par le «buzz» mais dont l'audience réelle (ceux qui se disaient prêts à aller au guichet de leur banque) ne remplirait pas à moitié ou au quart les stades où évoluait Eric Cantona du temps de sa splendeur. En résumé, nous dit-on, l'ancien artiste du ballon rond ne sait pas de quoi il parle, soit qu'il ne soit pas qualifié (version Lagarde qui s'y connaît en matière d'incompétence économique), soit qu'il se trompe de méthode. Chacun y allant de sa propre vision de la «révolution» souhaitée par "King Eric".
La palme de la créativité appartient aux promoteurs de la «banque citoyenne», qui serait génétiquement immunisée par son actionnariat public contre la contagion du virus capitaliste. Comique quand on sait que les banques allemandes les plus pourries sont les Landesbanken et que les principaux bailleurs de fond de la bulle immobilière en Espagne ont été les Caixa régionales, autant d'institutions où le clientélisme politique régional ou local, pour ne pas dire la corruption, était le moteur principal des décisions de crédit.
Faudrait-il pour autant renoncer à punir les banques et les banquiers? Evidemment non. Il y a pour cela trois leviers disponibles, ou qui devraient l'être: la faillite, la concurrence, la justice.
Premièrement, «le capitalisme sans la faillite étant comme le christianisme sans l'enfer», la faillite d'une banque qui a fauté doit redevenir non seulement possible, mais indispensable. Les actionnaires doivent savoir qu'ils seront lessivés, les porteurs d'obligations mis à contribution dans le processus de liquidation.
En conséquence, «les institutions financières qui sont trop grosses pour tomber sont trop grosses pour exister». Toute banque présentant un risque systémique doit donc être soumise à des règles de concurrence drastiques, marché par marché, la ramenant progressivement à des dimensions plus raisonnables. La déconcentration radicale du système bancaire, y compris par la coexistence de plusieurs formules d'actionnariat (classique, mutualiste, coopératif, etc.), est une réponse bien plus conforme à l'objectif recherché que la simple nationalisation «citoyenne». Le Crédit Lyonnais, ça vous rappelle quelque chose ?
Enfin, les responsables sont coupables. Il y a aux Etats-Unis et en Europe, y compris en France (dans le cas Natixis, par exemple), des dirigeants de banque, anciens ou actuels, et pourquoi pas des régulateurs, dont la place est devant les tribunaux et probablement même derrière les barreaux. Outre Atlantique, la justice s'est mise au travail. Et chez nous?
Publié initialement sur Orange.fr, le 7 décembre 2010