Philippe Riès (avatar)

Philippe Riès

Journalist

Journaliste à Mediapart

146 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 novembre 2009

Philippe Riès (avatar)

Philippe Riès

Journalist

Journaliste à Mediapart

Faut-il brûler les banquiers? Oui, à petit feu

 Le débat sur la prévention des crises financières et bancaires est en train de sortir des voies de garage pour emprunter le seul chemin qui vaille: comment réduire la taille des établissements "trop gros pour tomber"?

Philippe Riès (avatar)

Philippe Riès

Journalist

Journaliste à Mediapart

Le débat sur la prévention des crises financières et bancaires est en train de sortir des voies de garage pour emprunter le seul chemin qui vaille: comment réduire la taille des établissements "trop gros pour tomber"? Pas en France où les désirs de fusion continuent à peupler les rêves des patrons de banques. Faut-il brûler les banquiers, demande Georges Pauget, futur ex-patron du Crédit Agricole? Oui.

Alternativement, on peut aussi imaginer de les «suspendre à un croc de boucher», selon la délicate formule utilisée par Nicolas Sarkozy à l'attention, croit-on savoir, de son meilleur ennemi. A noter d'abord que l'auteur de la question, dans un nième livre consacré manifestement à ne pas expliquer la crise financière, vient de se voir couper la tête, à l'insu de son plein gré, par les féodaux du Crédit Agricole, institution dont la gouvernance est réputée pour sa parfaite intelligibilité.
A en croire les confrères qui lu ce premier livre de Georges Pauget, qui quittera donc la direction générale de CASA le 1er mars prochain, la liste des responsables de cette crise est longue, régulateurs, gouvernements, marchés financiers, etc. Mais on n'y trouve pas les banques. Et surtout pas les banques françaises. On est dans la droite ligne des dizaines de communiqués que la Fédération bancaire française (bien reçus ceux-là), que M. Pauget présida au plus fort des turbulences financières, a envoyé à la presse pour expliquer à quel point tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes bancaires français. Dexia, Natixis, Calyon (dans la galaxie de la «banque verte»), les Caisses d'Epargne elles-mêmes, la Société Générale (pas l'affaire Kerviel mais la perte potentielle colossale évitée grâce au renflouement de l'assureur AIG par le contribuable américain), des broutilles. L'effondrement des crédits aux entreprises ? C'est la faute à la demande. Le reste à l'avenant.
Pour trouver un débat sérieux sur les dangers inhérents à l'activité bancaire, amplifiée par un phénomène de concentration qui a encore gagné du terrain à la faveur de la crise, mieux vaut, comme souvent, regarder au-delà des frontières.
Citation (de mémoire) de feu Merton Miller, prix Nobel d'Economie: «la banque est une technologie du 19ème siècle sujette à des accidents». Citation, injustement attribuée à un autre prix Nobel Joseph Stiglitz: «Les institutions qui sont trop grosses pour tomber sont trop grosses pour exister» (nous l'avions trouvée des mois auparavant dans un débat sur le Forum du Financial Times). Citation d'Alan Greenspan, ancien président de la Réserve Fédérale des Etats-Unis, le 3 juin dernier: «Je me suis souvent demandé : est-ce que les banquiers ont trouvé des économies d'échelle que la recherche de la Réserve fédérale n'a pas pu identifier ? Il est évident, à la réflexion, que la réponse est non». Citation de Mervyn King, gouverneur de la Banque d'Angleterre: «comme dans la première ligue anglaise de football, accéder au groupe des quatre premiers (groupes bancaires) ne sera pas facile pour ceux qui n'y appartiennent pas. Mais dans les deux cas, je veux espérer qu'une concurrence accrue conduira à moins de rigidité dans la composition du quatuor de tête».
Des actes ont suivi ces paroles, notamment au Royaume-Uni où l'Etat a dû engager près de mille milliards de livres, l'équivalent des deux tiers du PIB du pays, pour sauver les banques. L'annonce que dix pour cent du marché allait être ouvert à de nouveaux acteurs n'est qu'un premier pas. La Commission européenne, gardienne des règles de concurrence dans l'UE, s'apprêterait à imposer des désinvestissements massifs à RBS et Lloyds Banking Group, quasiment nationalisées du fait des injections d'argent public. Bien que néerlandaise elle-même, la Commissaire Neelie Kroes a contraint ING à scinder les activités de banque et d'assurance.
Les très grandes banques ayant démontré leur capacité de nuisance sans apporter la preuve de l'utilité économique et/ou sociale de la concentration, l'objectif primant tous les autres devrait être, non pas de brûler leurs patrons mais, comme en cuisine, de faire réduire les établissements à feu doux. Ni la nationalisation (qui ne ferait que rendre explicite la garantie implicite de l'Etat dont elles tirent indûment profit), ni la réglementation, ni même sans doute la normalisation prudentielle (on devrait alors imposer des ratios de fonds propres de 20 ou 25% des engagements) ne peuvent porter remède au risque représenté par les TBTF (too big to fail). Et, crise ou pas, à défaut d'une politique volontariste de concurrence, le mouvement de concentration suivra ou reprendra son cours naturel.
Et en France? Il paraît que l'ambition inassouvie (ouf !) de Georges Pauget et de son patron «politique» René Caron, qui lâchera la barre peu après, c'était le rapprochement entre le Crédit Agricole, la Société Générale et l'assureur Groupama. Il a vraiment tout compris, M. Pauget.

Publié initialement sur Orange.fr, le 10 novembre 2009