Publié initialement sur Orange.fr le 7 juillet 2009
Il aura suffi d'un mauvais chiffre du chômage aux Etats-Unis pour doucher les espoirs des émules contemporains de Herbert Hoover, ce président des Etats-Unis qui, au début des années Trente, voyait la reprise à chaque coin de rue. La réalité est que l'économie mondiale est entrée, sans doute pour de longues années, dans une période de croissance molle, «sous-optimale», sanction du processus généralisé de désendettement qui s'impose après l'orgie de dettes qui avait fortement contribué à doper artificiellement l'activité économique depuis le tournant du siècle.
Comme l'a remarqué à Paris l'ancien vice-ministre japonais des Finances Makato Utsumi, lors des journées annuelles de Paris Europlace, «l'année 2008 a été celle du renversement fondamental des tendances qui ont dominé l'économie mondiale au cours des deux dernières décennies». Manifestement, ce message ne s'imprime pas dans les cervelles de tous ceux, du FMI aux opérateurs de marché, en passant par notre ineffable ministre de l'Economie et des Finances, qui sont atteints de «hooverisme» chronique.
Première tendance longue, la consommation des ménages, dont la contribution à la formation du PIB est passée aux Etats-Unis, en moins de vingt ans, de 60 à 70%. Comment? Par l'endettement. De 65 % dans les années 80, le ratio d'endettement des ménages américains, qui mesure l'importance de la dette par rapport au revenu disponible, a doublé au cours des deux décennies suivantes pour atteindre en 2007 le niveau record de 133%. En 2008, pour la première fois depuis 1952, quand la Réserve Fédérale américaine a commencé à surveiller ce ratio, il a reculé. De pratiquement zéro, le taux d'épargne des ménages américains est remonté à près de 7%. C'est un renversement d'une brutalité inouïe dans un domaine où les évolutions se produisent normalement à un rythme glaciaire. En bref, le consommateur en «dernier ressort», dont les habitudes dispendieuses tirait la croissance mondiale, s'est serré la ceinture de plusieurs crans. Et ce n'est sans doute pas terminé.
Deuxième tendance longue, la croissance des actifs bancaires, passés aux Etats-Unis de quelque 5% du PIB à plus de 25% en 2003. Pour se volatiliser dans la crise financière enclenchée à l'été 2007 et passée en sur-multipliée après la faillite de Lehman Brothers le 15 septembre 2008. La quasi disparition du système bancaire dans l'intermédiation de l'épargne vers le crédit à contraint les banques centrales à s'y substituer. Le fonctionnement actuel des systèmes bancaires dans presque tous les pays avancés n'a rien de «normal»: il dépend des garanties publiques, du refinancement massif et sur des durées d'une longueur inhabituelle par les banques centrales, des injections de fonds propres apportées par le contribuable. Le malade est incapable d'avancer sans ces béquilles et ce n'est pas demain la veille qu'on le verra marcher à nouveau d'un pas assuré. Le nouveau refinancement gigantesque auquel la Banque centrale européenne vient de procéder, presque deux ans après sa première intervention sur la liquidité en août 1997, traduit la persistance du «credit crunch». Le retour de la confiance sera lent, très lent.
Si les banques centrales peuvent, avec difficulté et en prenant des risques non négligeables, se substituer temporairement au système bancaire, il est illusoire de penser que les gouvernements puissent compenser significativement et durablement l'impact du retournement de l'effet de levier (le désendettement) sur l'activité économique. Les montants de dépenses engagées dans la «relance» donnent le vertige quand on considère la situation des finances publiques. Mais leur capacité à contrecarrer une contraction sans précédent de la production et des échanges est limitée. En dépit d'un effort ruineux (le déficit budgétaire américain devrait avoisiner les mille milliards de dollars par an pour de nombreuses années), le plan de relance de l'équipe Obama ne rétablira, dans le meilleur des cas, que la moitié des 6,5 millions d'emplois déjà détruits par la crise. Il s'agit de limiter les dégâts, à un coût et avec des dommages collatéraux dont on mesure mal la portée.
Quant aux pays émergents, ils vont mieux ou bien moins mal, merci pour eux. N'en déplaise à Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds Monétaire International, il semble que le «découplage» (entre le monde développé et le monde émergent) existe bien, en fin de compte. Mais la Chine, qui pèse un peu moins de 10% du PIB mondial, ne peut à elle seule, ni même avec le secours de l'Inde, du Brésil et de quelques autres, compenser le recul sans précédent (depuis la fin de la seconde guerre mondiale) de l'activité dans les trois anciens foyers de la croissance mondiale, Amérique du Nord, Europe et Japon.
L'avenir que prédit Makoto Utsumi aux pays développés ressemble furieusement à ce que le Japon a connu pendant la «décennie perdue» des années 90: une croissance faible, financée plutôt mal que bien par la dépense publique au prix d'une dégradation dramatiques des comptes de l'Etat. Après une trop longue période de déni et de tergiversations, les Japonais avaient fini par traiter une des dimensions de leur crise, l'indispensable assainissement du système bancaire. Mais en refusant d'affronter l'autre défi: l'obsolescence d'un modèle de croissance encore trop marqué par les recettes qui avaient fait la réussite du pays dans les années de la «haute croissance». En y ajoutant la décrépitude d'un système politique géré pratiquement sans interruption depuis la fin de l'occupation américaine en 1952. Les leçons de la «Grande Stagnation» nipponne ont-elles été comprises sous nos latitudes? Les bavardages sur la «reprise» inciteraient à répondre par la négative.