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Billet de blog 19 septembre 2012

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« Hollandomics »: entre le sapeur Camember et le Dr Frankenstein

Le candidat François Hollande avait promis le moins possible et le moins précisément possible. A bon droit, car les engagements électoraux lâchés au fil de la campagne se révèlent plutôt calamiteux pour le Président qui doit les assumer. Après l'épisode ridicule de la baisse des carburants et le feuilleton «people» autour de la tranche d'imposition sur le revenu à 75%, voici venir le suspense insoutenable sur la "Banque publique d'investissement", l'équivalent financier de la créature de Frankenstein.

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Le candidat François Hollande avait promis le moins possible et le moins précisément possible. A bon droit, car les engagements électoraux lâchés au fil de la campagne se révèlent plutôt calamiteux pour le Président qui doit les assumer. Après l'épisode ridicule de la baisse des carburants et le feuilleton «people» autour de la tranche d'imposition sur le revenu à 75%, voici venir le suspense insoutenable sur la "Banque publique d'investissement", l'équivalent financier de la créature de Frankenstein.


Primo, dans un pays qui n'a ni pétrole dans son sous-sol, ni marges de manoeuvre budgétaires pour subventionner le prix des carburants, promettre le blocage du prix d'un produit intégralement importé et objet d'un marché mondialisé était absurde. Finalement, comme les écoliers, les automobilistes ont eu leur «prime de rentrée», une baisse moyenne de six centimes, dont le coût fiscal devra être compensé ailleurs...ou par un alourdissement d'une dette publique déjà insoutenable. C'est la politique du sapeur Camember.
Secundo, promettre de surtaxer les plus riches, effet de manche électoral garanti auprès de la gauche du peuple de gauche, est un détestable substitut à la réforme fiscale radicale dont ce pays a absolument besoin, fondée sur trois principes : simplicité avec une échelle d'imposition directe et indirecte aussi réduite que possible et l'élimination de la quasi-totalité des niches fiscales qui sont la première source d'inégalité devant l'impôt; stabilité avec l'engagement de maintenir le même dispositif fiscal intangible au moins pour la durée d'une législature ; efficacité avec un investissement massif dans la lutte contre l'évasion fiscale, par le biais notamment de la retenue à la source, et des coupes claires dans un maquis fiscal impénétrable, notamment pour les entreprises. Si ces conditions étaient remplies, l'équité fiscale prendrait soin d'elle-même.
Quand à la BPI, dont les contours précis peinent à émerger des brumes gouvernementales, elle relève d'une mystique étatique ignorante, à l'opposé de ce que prétendent ses promoteurs, des leçons de la crise financière.
D'abord, l'idée selon laquelle une banque à capitaux publics ou garantie par la puissance publique serait intrinsèquement plus vertueuse que les institutions financières privées est tout simplement fausse. Sans remonter au cas douloureux du Crédit Lyonnais, on se souvient que des agences jouïssant de la garantie de l'Etat américain, Fannie Mae et Freddie Mac, ont joué un rôle clef dans la crise immobilière aux Etats-Unis. Outre Rhin, les branches les plus pourries d'un système bancaire peu exemplaire se sont révélées être les Landesbanken contrôlées par les Etats fédérés. L'Espagne se débat aujourd'hui avec les dettes colossales héritées des Cajas régionales, qui ont alimenté une spéculation immobilière effrénée. Quand aux principales banques chinoises, en apparence «privatisées», elles doivent être renflouées à intervalle régulier par le pouvoir central.
Le trait commun entre ces institutions financières publiques et parapubliques, ce sont des gouvernances et des choix d'investissement dominés par des considérations politiques, régionales ou locales. Autrement dit, des potentats locaux les ont transformés en instruments de politique clientéliste dans le meilleur des cas, de corruption sans fards bien souvent. Ils ont soigné leurs obligés et financé leur propres châteaux en Espagne (c'est le cas de le dire), au mépris de toute prudence ou rationalité économique. Sans résister, bien souvent, à la tentation d'aventures spéculatives exotiques.
En vertu de quelle «exception française», la future BPI serait-elle miraculeusement immunisée contre ces dérives ? D'autant que le projet prévoit justement de donner au dispositif une forte dimension régionale. C'est le retour des SDR (sociétés de développement régionales) dont l'aventure s'était achevée dans la faillite et le scandale.
La future banque publique sera soumise aux mêmes contraintes réglementaires et prudentielles que les établissements privés. Ses ressources en fonds propres, dont on ignore encore la provenance, ne lui coûteront pas substantiellement moins cher que les banques concurrentes. Son adossement à la signature de République française est sujet à caution dans un climat de crise des dettes souveraines.
Que l'apparition d'une offre bancaire bien plus diversifiée, concurrentielle, proche du terrain des petites et moyennes entreprises soit impérative, c'est une évidence. Qu'une création bureaucratique soit la réponse appropriée, c'est un postulat idéologique.
Le problème du financement des entreprises françaises, petites et moyennes notamment, est avant tout une affaire de marges (trop faibles), de fonds propres (trop limités) et de taux d'autofinancement (en recul continu depuis des années). C'est à cela qu'il faudrait s'attaquer plutôt que de créer un nouveau jouet pour la caste bureaucratique qui exerce, avec le succès que l'on constate, le pouvoir dans ce pays.

Publié initialement sur Orange.fr, le 12 septembre 2012