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Billet de blog 21 mai 2008

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Le "modèle" Trabant

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De la carrière de Louis Schweitzer à la tête de Renault, mon excellent confrère et ami Laurent Mauduit (avec son co-auteur Sylvain Bourmeau) n'a retenu que l'échec de la fusion avec Volvo, la privatisation de l'ancienne «forteresse ouvrière» et la fermeture de l'usine belge de Vilvorde. Puisqu'il est aussi question de théâtre dans cet article de Médiapart consacré au sauvetage du quotidien Le Monde, disons avec Cyrano que c'est un peu court.
Rétablissons quelques faits.
L'échec de la fusion avec Volvo ? Pour qui a étudié un peu le dossier, la responsabilité de ce mariage avorté incombe en grande partie au gouvernement de l'époque et notamment au ministre de l'Industrie Gérard Longuet. Les Suédois étaient peut-être prêts à convoler avec le constructeur de Boulogne-Billancourt, pas à partager le même lit avec l'Etat français. La fameuse photo de Longuet plastronnant entre les deux acteurs du rapprochement, Louis Schweitzer et Pehr Gyllenhammar, a eu un effet dévastateur sur l'opinion publique suédoise et a fourni des arguments à tous ceux qui voyaient sans plaisir un joyau industriel national passer peu ou prou sous contrôle étranger (Volvo Cars sera plus tard cédé à Ford). S'il y eut d'autres maladresses, celle-là pesa néanmoins fort lourd. Les Suédois, dont le modèle social peut en remontrer à son équivalent français, ont su de longue date faire la distinction entre la création de richesses, laissée au secteur privé, et leur redistribution, où l'Etat (mais démocratique, transparent, et lui-même «compétitif») joue tout son rôle. Aux dernières nouvelles, ils n'ont toujours pas à s'en plaindre.
La privatisation ? N'en déplaise aux nostalgiques des distributions de tracts au petit matin Place Nationale (40ème anniversaire de Mai 68 oblige), elle fut plébiscitée par les salariés de Renault qui souscrivirent massivement la part des actions qui leur était réservée. La vérité est bonne à dire même, surtout, quand elle dérange.
La fermeture de Vilvorde faisait partie du «plan 20 milliards» (de francs) d'économies, piloté par Carlos Ghosn, que Schweitzer était allé chercher chez Michelin. L'automobile est une industrie à coûts fixes élevés qui gagne beaucoup d'argent quand les usines tournent à pleine capacité mais en perd énormément si la capacité d'utilisation chute. La stricte logique financière de l'époque (Renault venait de rechuter dans les pertes) dictait la fermeture de deux usines en Europe, dont évidemment une en France. Pour des raisons politiques et sociales évidentes, le couperet est tombé sur Vilvorde, dans la banlieue de Burxelles, usine de taille moyenne mais raisonnablement performante. Injuste ? Assurément. Il aurait été plus rationnel de fermer Flins.
Voilà pour le «passif» de Louis Schweitzer. Maintenant regardons l'actif.
L'alliance Renault-Nissan, conclue en mars 1999, qui permet à Renault de prendre, pour pas très cher, le contrôle du numéro deux (ou trois, selon les années) de l'industrie automobile nipponne, 140.000 salariés, l'équivalent de 1,5% du PIB de la deuxième économie mondiale. J'imagine la réaction de ceux qui s'inquiètent de l'arrivée des fonds souverains dans les plates-bandes de notre capitalisme national, si l'inverse s'était produit. La société et le monde politique japonais, sans parler des employés de Nissan, ont accueilli la nouvelle avec une remarquable équanimité et une bonne dose de réalisme : Nissan était au bord de la faillite. Notons en passant que les leçons de l'échec avec Volvo avait été tirées. L'Etat français se fit discret (aidant même en coulisse) et surtout l'Alliance, qui n'est pas une fusion, respecte les personnalités et les cultures des deux entreprises.
Dans la foulée, Renault met la main, à travers le rachat de Samsung Motors, et là pour une bouchée de pain, sur une usine de production flambant neuve (construite avec la technologie Nissan) en Corée du Sud et prend pied sur un marché automobile jusque la très fermé.
Troisième stratégique de Schweitzer, le rachat du roumain Dacia et le lancement du concept Logan qui prend de vitesse tous les autres constructeurs mondiaux dans la fabrication d'une voiture «lows cost» pour les marchés émergents, qui représentent la nouvelle frontière de l'industrie automobile.
L'Alliance Renault-Nissan, avec ses appendices sud-coréen et roumain, est aujourd'hui le quatrième constructeur automobile mondial. Présente aux Etats-Unis via Nissan (ce qu'aucun constructeur français n'a réussi durablement), elle a pris solidement pied entre temps en Chine, en Russie, en Inde.
Nissan, qui a connu également suppression de postes et fermeture d'usines dans le cadre du Nissan Revival Plan mis en œuvre par Carlos Ghosn à partir d'octobre 1999, a aujourd'hui des effectifs plus nombreux qu'avant l'arrivée des «Français». Certes, ce ne sont pas toujours les mêmes. Comme dans toutes les grandes industries, les ingénieurs ne cessent de gagner du terrain sur les agents de production.
L'industrie automobile est un métier cyclique (sauf, ou presque pour Toyota !) et le présent ne préjuge pas de l'avenir. Son histoire est jonchée de cadavres de marques prestigieuses qui n'avaient pas su s'adapter, sortir de leur marché national, renouveler leur outil industriel (quel qu'en fut le coût social), accepter et affronter la concurrence. Mais elle est aussi faite de renaissances improbables, comme celle de Fiat tout récemment, ou celle de Renault, condamné à mort par les analystes à plusieurs reprises depuis les années 70, sous les directions successives de Georges Besse, Raymond H. Levy et, pour une part essentielle...Louis Schweitzer.
«L'industrie des industries», qui pèse à elle seule quelque dix pour cent du PIB de la planète, demeure aux avant-postes de la mondialisation et son paysage va continuer de changer sous nos yeux : montée en puissance des pays émergents, effacement désormais prévisible du moteur à explosion, rareté des matières premières, etc.
Pour ceux qui, selon une plaisanterie américaine, «sont en faveur du progrès mais détestent le changement», il n'y aura pas de répit.
Le modèle alternatif, c'est la «Trabant» (27ème au classement des pires voitures de l'histoire!): un modèle unique qui crachotait et cahotait sur les routes plus ou moins défoncées d'Allemagne de l'Est au temps lointain d'Erich Honecker. Ou encore la «Proton», la voiture «nationale» de l'ancien homme fort de Malaisie, Mahathir Mohamad, fiasco industriel et désastre économique. La «Trabant» a encore ses fans club, comme la «2 pattes» ou la 4CV. Mais elle n'a jamais eu de successeur. Elle est morte avec l'Allemagne de l'Est.