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Billet de blog 21 août 2010

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La leçon perdue de la crise des finances publiques japonaises

C'est officiel, la dette publique du Japon vient de dépasser les 10.000 milliards de dollars, soit 200% du PIB, la totalité de la richesse créée chaque année par la deuxième économie mondiale (plus pour très longtemps).

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C'est officiel, la dette publique du Japon vient de dépasser les 10.000 milliards de dollars, soit 200% du PIB, la totalité de la richesse créée chaque année par la deuxième économie mondiale (plus pour très longtemps). Le niveau d'endettement de l'archipel est en gros deux fois plus important que celui des cancres de la classe européenne, Belgique, Italie ou Grèce. Avec plus de 80% du PIB, la France ferait presque figure de bon élève.

De la situation dramatique des finances publiques nipponnes, les dirigeants des autres pays industrialisés et les économistes keynésiens ont tiré jusqu'à présent les mauvaises leçons. La dette publique? Pas de quoi en faire un drame. Regardez le Japon qui refinance sans problème, à des taux d'intérêts toujours très bas, les montagnes d'obligations d'Etat qu'il doit émettre ou renouveler chaque année, à hauteur désormais de quelque 45% du PIB.
D'abord, n'est pas le Japon qui veut. 95% de la dette publique nipponne est entre les mains d'investisseurs nippons, alors que 60% de la dette publique française, 90% de la dette publique grecque, sont détenus par des investisseurs non-résidents. Les Grecs viennent de réaliser que cela faisait une différence considérable.
En second lieu, le Japon, qui a accumulé les excédents extérieurs depuis les années 60, est aujourd'hui dans une position créancière nette vis-à-vis du reste du monde à hauteur de quelque 4.000 milliards de dollars, soit grosso modo l'autre face de la position débitrice nette des Etats-Unis, qui dépasse les 3.500 milliards de dollars. Certes, cet argent appartient pour l'essentiel aux agents économiques privés du Japon, entreprises ou ménages. Le Japon n'est plus seulement, et depuis longtemps, un pays exportateur (notamment vers la Chine où ses composants sont assemblés avec des machines outils et des robots Made in Japan) mais aussi un pays rentier, qui vit des revenus tirés de ses avoirs extérieurs. Mais ce sont des réserves sur lesquelles la dette publique japonaise est adossée.
D'autant, et c'est encore une différence notable, particulièrement avec la France, que le gouvernement japonais dispose de marges de manœuvre fiscales très importantes. Les prélèvements obligatoires y sont inférieurs à 35% du PIB, contre quelque 45% en France. La TVA japonaise, de création relativement récente, est à un taux général de 5%. Nécessité faisant loi, l'ambition de Naoto Kan, le nouveau Premier ministre, de le porter à 7 ou 8% deviendra un jour réalité. A 10%, la TVA japonaise sera encore de moitié inférieure au niveau français, lequel est sans doute promis à dépasser bientôt les 20% .
La situation du Japon est-elle pour autant enviable? Evidemment pas. D'abord parce que les 200% du PIB représentent la dette au bilan du gouvernement japonais. Si on y ajoute le hors bilan, il faut sans doute doubler ce ratio. Ensuite parce que l'on commence à apercevoir le fond des poches pourtant très profondes des souscripteurs des emprunts d'Etat, y compris la colossale épargne postale.
Mais surtout parce que ce pillage des finances publiques est le résultat d'une politique de relance budgétaire extravagante poursuivie pendant plus d'une décennie après l'éclatement de la bulle spéculative boursière et immobilière au début des années 90 du siècle dernier. Politique qui n'a rétabli ni la croissance, ni la confiance et qui n'a fait que retarder l'heure de vérité pour un modèle de développement essoufflé.
A méditer quand les «hyper-keynésiens» américains, les Krugman et autres Stigltiz, déçus par une reprise américaine anémique (en dépit de l'envolée vertigineuse du déficit budgétaire) réclament à cor et à cri une nouvelle dose massive de stimulation. Une crise de désendettement, sanction des excès antérieurs, ne se soigne pas en faisant passer le mistigri du secteur privé au secteur public. C'est LA leçon perdue de la crise japonaise.

Publié initialement sur Orange.fr, le 10 juillet 2010