A la veille des ultimes arbitrages du Comité de Bâle pour la surveillance bancaire, qui ont décidé d'imposer aux institutions de crédit un renforcement substantiel de leurs fonds propres d'ici 2019, les banquiers français ont lancé une nouvelle salve de mises en garde. Le président du conseil d'administration de BNPParibas, Michel Pébereau, a sorti l'artillerie lourde. Le régulateur se préparerait à exiger des banques françaises qu'elles lèvent en six ans quelque 150 milliards d'euros, soit, affirme-t-il, l'équivalent pour sa banque, issue d'une litanie de rapprochements, de ce qu'elle a mobilisé en capital depuis sa fondation.
Cette contrainte empêchera tout simplement les banques de faire leur métier, prêter à l'économie. Ces mesures, conclut-il, «vont anéantir la croissance». Un esprit mal intentionné ferait immédiatement remarquer qu'en matière d'anéantissement de la croissance, les banques viennent de faire la démonstration de leur capacité, en provoquant, par leurs dérives irresponsables, la crise économique la plus grave depuis la Grande Dépression des années 30. Mais les médias dits sérieux, à commencer par Le Figaro qui a publié ces propos catastrophistes, ont reproduit sans sourciller ce chiffre pharamineux, les radios d'information diffusant le message en boucle sans en questionner le moins du monde la validité.
D'abord, à quelle date de naissance de BNPParibas Michel Pébereau se réfère-t-il précisément? 1848, date de la création du Comptoir national d'escompte à Mulhouse? Ou 1913, 1932 ou encore 1966, quand le nouvel ensemble né de la fusion entre la BNCI et le CNEP prend le nom de Banque nationale de Paris? Si on retient la date la plus ancienne, il y a environ 160 ans, comment établir l'équivalence entre la valeur du capital alors investi et les milliards d'euros que la banque devrait lever aujourd'hui? Et comment renouveler l'exercice de conversion pour toutes les augmentations de capital intervenues en un siècle et demi d'histoire de la banque? Quelle table de conversion Michel Pébereau a-t-il utilisée pour aboutir aux comptes fantastiques présentés à un public ébaubi? Mystère.
Il faut souligner que tout à leur croisade contre une augmentation des fonds propres qui se traduirait mécaniquement par une baisse de leur rentabilité (et donc des bonus et de la générosité des stock-options), les banques françaises sont des récidivistes. Au printemps déjà, une mystérieuse «étude préliminaire» nous annonçait à terme une chute de six points de PIB de la croissance de l'Union européenne si les régulateurs persistaient dans leurs intentions. Sombre pronostic qu'un travail argumenté, exposant en détail sa méthodologie, des économistes travaillant pour le Comité de Bâle, a fermement démenti. Si impact sur la croissance il y avait, il serait très modeste et tout à fait temporaire.
Au risque de nous répéter, il faut donc rappeler à Michel Pébereau et à ses semblables que l'objectif des nouvelles règles prudentielles internationales devrait être d'en finir avec le «too big to fail» (trop gros pour tomber) afin que le contribuable ne soit pas de nouveau sollicité, d'ici quelques années, pour boucher les trous creusés par la tendance irrépressible des banquiers à courir derrière la première bulle spéculative venue. Il faut donc que les banques soient plus petites et plus nombreuses, ce à quoi devrait veiller une politique européenne de la concurrence autrement exigeante. Et que leur rôle dans le financement de l'économie soit sensiblement réduit. Ce vers quoi les nouvelles normes de Bâle III devraient conduire, en principe.
Si Michel Pébereau ne veut pas ou ne peut pas lever de nouveaux fonds propres, il n'a qu'à réduire la taille du bilan de BNPParibas. Par exemple, en refusant de financer la dette publique galopante ou la spéculation immobilière qui relève la tête, afin de réserver les crédits par priorité aux entreprises, surtout petites et moyennes. Les critères de pondération des risques de Bâle III, comme ceux de Bâle II, n'y encouragent pas, bien au contraire? Souscrire des obligations gouvernementales de pays menacés de banqueroute, y compris celles de la Grèce, serait toujours affecté d'un coefficient de risque très bas, voire nul. Alors que les banques seraient toujours supposées risquer leur chemise en soutenant les entreprises. Mais alors, ce serait là l'erreur véritable des régulateurs, et certainement le vrai sujet de contestation.
Publié initialement sur Orange.fr, le 15 septembre 2010
PS: depuis l'écriture de ce billet et la publication par le Comité de Bâle de ses recommandations, le directeur général de BNPParibas Baudouin Prot a déclaré que la banque pourrait se conformer aux nouvelles exigences de fonds propres d'ici 2019 sans faire appel aux marchés mais en versant les deux tiers de ses (substantiels) bénéfices aux réserves. Ce sont donc ses actionnaires (et accessoirement ses traders) qui paieront cette "assurance". Excellent. Et tout à fait "moral", n'en déplaise au fabuliste (et grand amateur de science fiction) Michel Pébereau.