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Billet de blog 23 juin 2009

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Elections européennes: et le vainqueur est...Angela Merkel.

Publié initialement sur Orange.fr le 11 juin 2009 Pas en France seulement mais en France particulièrement, les élections du dimanche 7 juin n'ont eu d'européennes que le nom. Ni avant, ni pendant ni depuis, il n'a été véritablement question des grands enjeux auxquels l'Union européenne va se trouver confronter dans les mois et les années qui viennent. Dans ces conditions, ce n'est pas le très fort taux d'abstention, notamment chez les jeunes électeurs, qui étonne. C'est l'étonnement qu'il en soit ainsi. Mais la vérité institutionnelle est si les Français, et les autres Européens, ne s'occupent pas de l'Europe, elle va s'occuper d'eux. 

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Publié initialement sur Orange.fr le 11 juin 2009

Pas en France seulement mais en France particulièrement, les élections du dimanche 7 juin n'ont eu d'européennes que le nom. Ni avant, ni pendant ni depuis, il n'a été véritablement question des grands enjeux auxquels l'Union européenne va se trouver confronter dans les mois et les années qui viennent. Dans ces conditions, ce n'est pas le très fort taux d'abstention, notamment chez les jeunes électeurs, qui étonne. C'est l'étonnement qu'il en soit ainsi. Mais la vérité institutionnelle est si les Français, et les autres Européens, ne s'occupent pas de l'Europe, elle va s'occuper d'eux.

La chancelière allemande Angela Merkel, qui sort renforcée de la consultation de dimanche dernier, a d'ores et déjà préempté deux débats économiques essentiels pour la sortie de crise: la politique monétaire et la politique budgétaire. C'est un avant-goût de ce que sera l'agenda politique européen d'une Allemagne dirigée, dés cet automne, non plus par une Grande coalition paralysante, mais très probablement par un retour au pouvoir, sous la houlette de la même chancelière, d'une alliance entre les conservateurs de la CDU/CSU et les Libéraux du FDP. La déconfiture du SPD, dans un contexte de recul quasi général des formations socialistes en Europe, ouvre un boulevard à un second mandat d'Angela Merkel, débarrassée de l'hypothèque social-démocrate.

Quelques jours avant ces élections, Angela Merkel, avait brisé un tabou: elle a critiqué publiquement la politique de la Banque centrale européenne, accusée ni plus ni moins de laxisme pour la décision de se porter acquéreuse d'un maximum de 60 milliards d'euros d'obligations émises par des banques européennes. La BCE est perçue en Allemagne comme l'héritière de la Bundesbank, installée dans la même ville, héritière de la même doctrine, investie de la même indépendance vis-à-vis des pouvoirs, notamment le pouvoir politique. Et quasiment intouchable dans le débat public, même si le gouvernement allemand, en l'occurrence celui d'Helmut Kohl, le mentor d'Angela Merkel, avait imposé son arbitrage à la Bundesbank sur le choix de la parité d'échange entre le Deutsche Mark et la monnaie de RDA au moment de la réunification.

Quand la chancelière allemande reproche à la BCE d'avoir, «d'une certaine manière cédé à la pression internationale» en adoptant ces mesures de politique monétaire dites «non-conventionnelles», elle indique surtout que l'Allemagne attend un retour à la normale aux premiers signes de sortie de crise. Sous l'influence notamment de ses «faucons» germaniques, Jürgen Stark, membre du directoire, et Axel Weber, qui représente la Bundesbank au Conseil des gouverneurs, la BCE a été beaucoup moins loin que la Fed américaine ou la Banque d'Angleterre dans la déviation par rapport au dogme.

Très agressive très tôt dans le traitement de la crise de liquidité sur les marchés, elle a cherché à «découpler» ces interventions de la gestion «classique» des taux d'intérêt. Elle s'est résolue tardivement à les abaisser, refusant d'aller vers le taux d'intérêt zéro qu'elle regarde, à juste titre, comme l'aveu ultime de l'impuissance de la politique monétaire. Pareillement, la BCE n'a pas embrassé franchement «l'assouplissement quantitatif», n'imaginant pas d'acheter de la dette publique comme s'y est résignée la Banque d'Angleterre. Le message d'Angela Merkel sonne comme un tir de semonce: il n'y aura pas de monétisation de la dette publique en Europe.

D'ailleurs, en matière de politique budgétaire également, l'Allemagne refuse de renoncer aux principes qui ont présidé à la création de l'Union économique et monétaire. Ayant osé suggérer que les déficits budgétaires liés à la crise financière soient identifiés comme tels et distingués des dérives «structurelles» soumises, en théorie, à la discipline du Pacte de stabilité et de croissance, la ministre des Finances française Christine Lagarde s'est fait sèchement claquer la porte au nez à Berlin.

Le gouvernement français est tenté de revenir à la charge par la fenêtre en proposant un financement européen des dettes contractées dans la lutte contre les effets de la crise, qui serait parquées «hors bilan» dans une structure ad hoc, sur le modèle de la CADES, dispositif «temporaire» créé par Alain Juppé pour financer le «trou de la sécu». Un provisoire qui tend vers la durée indéterminée, le trou en question ne cessant de se creuser. Il n'y a peu de chance que Mme Merkel fasse un meilleur accueil à cette nouvelle variation sur le thème «L'Allemagne paiera».

On est très loin de l'automne 2003, quand Berlin et Paris, délinquants récidivistes dans la violation du Pacte de stabilité, avaient complotés de concert pour éviter les sanctions financières que la Commission européenne, gardienne des Traités, avait le devoir de leur infliger. La crise financière a certes confirmé la mort du pacte, dont les plafonds de déficit budgétaire et de dette publique ont été pulvérisés, mais elle a réintroduit dans un jeu dont l'euro les avait temporairement exclus les «vigiles du marché obligataire».

Les pays de la zone euro perçus comme légers dans la gestion de leurs finances publiques, incapables de s'imposer le régime minceur que l'Allemagne s'était infligée ces dix dernières années, sont sanctionnés par des primes de risque substantielles par rapport à la dette souveraine qui fait référence en Europe, le «bund» allemand. Les Etats impécunieux vont devoir payer plus cher leur endettement au fur et à mesure que s'inversera «la fuite vers la qualité» qui, au plus fort de la crise, avaient poussé les investisseurs vers les risques souverains.

Qu'il s'agisse de «masser» les chiffres des déficits ou de «mutualiser» la dette en s'abritant sous l'aile de l'Allemagne, les astuces concoctées à Bercy ne trompent personne, ni à Berlin, ni à Francfort. Il est possible, voire inévitable, que l'Allemagne doive accepter des mécanismes de solidarité pour éviter que ne sautent les maillons faibles de la chaîne européenne. Mais à des conditions qu'elle voudra dicter. Désormais officiellement candidat à sa propre succession cet automne, l'insignifiant président de la Commission européenne José Manuel Durao Barroso est allé aussitôt faire allégeance à Berlin. Il ne sera pas le dernier.