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Billet de blog 23 juin 2009

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Peut-on fermer une usine automobile sur le continent européen?

Publié initialement sur Orange.fr le 26 mai 2009 C'était il y a longtemps, une dizaine d'années, bien avant que la crise financière ne révèle au grand jour la fin du modèle économique de l'industrie automobile dans les pays développés, et Louis Schweitzer prédisait déjà que l'on ne construirait plus d'usine d'assemblage de voitures en Europe de l'Ouest. L'ancien patron de Renault et stratège de l'Alliance avec Nissan vient de tourner la page de sa longue carrière dans «l'industrie des industries» et la problématique a évolué: est-il socialement et politiquement concevable de fermer une grande unité de production automobile en France, Allemagne ou Italie, les leaders historiques survivants de l'industrie européenne ? 

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Publié initialement sur Orange.fr le 26 mai 2009

C'était il y a longtemps, une dizaine d'années, bien avant que la crise financière ne révèle au grand jour la fin du modèle économique de l'industrie automobile dans les pays développés, et Louis Schweitzer prédisait déjà que l'on ne construirait plus d'usine d'assemblage de voitures en Europe de l'Ouest. L'ancien patron de Renault et stratège de l'Alliance avec Nissan vient de tourner la page de sa longue carrière dans «l'industrie des industries» et la problématique a évolué: est-il socialement et politiquement concevable de fermer une grande unité de production automobile en France, Allemagne ou Italie, les leaders historiques survivants de l'industrie européenne ?

A s'en tenir aux équilibres économiques et financier, l'impératif saute aux yeux. Dés avant le choc de la crise financière mondiale, l'industrie automobile était en état de surcapacité massive dans les grands pays industrialisés, en Europe tout particulièrement. Il y a des années que les volumes écoulés chaque année régressent irrésistiblement (au Japon) ou stagnent (en Europe de l'Ouest). Et quant aux ventes record enregistrées en Amérique du Nord jusqu'en 2006, on a compris maintenant qu'elles étaient une dérivée de l'économie de la dette qui dopait artificiellement la consommation des ménages américains. Ces volumes sont perdus, pour des années, sans doute pour toujours.

Le potentiel de croissance du marché automobile mondial se situe presque exclusivement dans les pays émergents et en développement que, pour diverses raisons, il n'est pas envisageable d'approvisionner, sauf sur quelques niches, à partir des usines européennes. Et dans une industrie à coûts fixes très importants et besoins capitalistiques considérables, faire tourner des usines très en dessous de leurs capacités est tout simplement suicidaire. C'est précisément la situation que Renault avait trouvée chez Nissan en 1999, quand 40 des 43 modèles fabriqués par le numéro deux nippon perdaient de l'argent et que l'entreprise n'avait connu qu'un seul exercice bénéficiaire en une décennie. La «renaissance» de Nissan se fit au prix de la fermeture de trois usines au Japon et de quelque 30.000 suppressions d'emploi. Abaisser d'emblée le «point mort» financier du constructeur était une condition nécessaire, sinon suffisante.

Or, sauf aux Etats-Unis, où la déroute des anciens «Big Three» de Detroit est d'une ampleur telle qu'elle interdit les faux-semblants, les gouvernants et la société, restent accrochés à ce postulat, répété tout récemment par Carlos Ghosn, le successeur de Louis Schweitzer: «Fermer une usine en France est inenvisageable». Ghosn sait de quoi il parle. En 1996, dans le cadre du «plan 20 milliards» (de francs) de Renault, il a fermé l'usine de Vilvorde, dans la banlieue de Bruxelles, alors que la logique industrielle commandait plutôt de supprimer celle de Flins, près de Paris, voire les deux. Frapper à la périphérie, en Belgique, en Espagne, au Portugal, cela a déjà été fait et le sera encore. Mais sur le terroir d'origine de ces géants prétendument multinationaux, impensable !

Le maintien de l'outil industriel en Allemagne est au cœur de la surenchère que le gouvernement d'Angela Merkel suscite entre les candidats à la reprise d'Opel, la plus ancienne filiale européenne de General Motors. GM, menacé de faillite à très brève échéance, est sous la pression de Berlin qui tient la clef des garanties bancaires promises au repreneur. Et Sergio Marchionne, le patron de Fiat, contempteur de la rentabilité anémique des constructeurs généralistes, doit jouer les équilibristes entre une stratégie mondiale qui commande concentration et rationalisation des capacités de production et sa peur de voire Opel lui échapper au profit d'un mieux disant social.

Tout se passe comme si l'industrie automobile européenne, une fois sortie de la salle de réanimation des aides financières, primes à la casse et autres appuis au chômage partie, était destinée à reprendre (quand ? comment ?) le cours d'une existence réputée tranquille après avoir effacé le dos d'âne de la crise financière. Comme si les foules sentimentales de clients allaient retrouver le chemin des concessions, à la recherche d'un statut social, d'un hochet mécanique autant que d'un moyen de transport. On peut toujours rêver.

Natif de Flint, cette ancienne place forte de General Motors où les friches industrielles et les quartiers résidentiels désertés sont abandonnés au retour de la forêt, le cinéaste polémiste Michael Moore (révélé en 1989 par le documentaire «Roger et moi» dans lequel il traquait un ancien patron de GM), présente une vision plus lucide de l'avenir de l'industrie automobile à Detroit: la reconversion radicale dans la production d'outils de mobilité collectifs, le «nous» du transport en commun face au «moi» de la bagnole reine.

Mais peut-on prendre au sérieux un homme qui aux Etats-Unis milite pour l'interdiction des ventes d'armes («Bowling for Columbine») et cite en exemple le système de santé cubain («SiCKO»)? Pourtant, c'est le saltimbanque qui voit juste: le roi automobile est nu comme un vers, et pas seulement en Amérique. La masse des courtisans intéressés préfère détourner le regard.