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Billet de blog 23 juin 2009

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Sauvetage d’Opel: l’ours russe et le commissaire

Publié initialement sur Orange.fr le 16 juin 2009 On croyait la Commission européenne disparue corps et bien dans la crise financière mondiale, qui a vidé de leur contenu les fonctions «régaliennes» les plus importantes de l'exécutif européen, la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance en matière de déficit budgétaire et d'endettement public, et d'autre part l'observation des règles de concurrence essentielles au bon fonctionnement du marché intérieur. Sous la houlette de José Manuel Durao Barroso, dont l'inconsistance paraît être le meilleur gage de sa reconduction cet automne pour un second mandat, une Commission finissante a assisté sans mot dire à la pulvérisation des critères de Maastricht qui encadrent, en théorie, l'évolution des finances publiques des Etats membres. 

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Publié initialement sur Orange.fr le 16 juin 2009

On croyait la Commission européenne disparue corps et bien dans la crise financière mondiale, qui a vidé de leur contenu les fonctions «régaliennes» les plus importantes de l'exécutif européen, la mise en œuvre du Pacte de stabilité et de croissance en matière de déficit budgétaire et d'endettement public, et d'autre part l'observation des règles de concurrence essentielles au bon fonctionnement du marché intérieur. Sous la houlette de José Manuel Durao Barroso, dont l'inconsistance paraît être le meilleur gage de sa reconduction cet automne pour un second mandat, une Commission finissante a assisté sans mot dire à la pulvérisation des critères de Maastricht qui encadrent, en théorie, l'évolution des finances publiques des Etats membres.

Sous le même empire de la nécessité, elle a validé, bon gré mal gré, des plans strictement nationaux de renflouement des systèmes bancaires qui introduisent dans la compétition sur le marché européen des distorsions que le retour à la normale, un jour ou l'autre, rendra plus évidente.

Et ne voilà-t-il pas que Günter Verheugen, un des vice-présidents de la Commission en charge de l'Industrie, appelle le 15 juin à «un examen de fond en comble» par Bruxelles du rachat des activités de General Motors en Europe, dont principalement la filiale allemande Opel. Ce que M. Verheugen n'aime pas dans cette opération, ce n'est pas l'injection d'argent public, venu de Berlin, sous forme de prêt et de garanties. En novembre dernier, il jugeait encore incontournable l'appui des gouvernements européens à l'industrie automobile. Et le gouvernement français a d'ailleurs reçu la bénédiction de la Commission pour apporter aux deux constructeurs français, Renault et PSA, les milliards d'euros de crédits que les marchés de capitaux leur refusaient. Blanc seing assorti d'une vague réprimande pour que soit éliminée la conditionnalité à fort relent protectionniste qui marquait le projet initial du gouvernement français.

Ce que le commissaire européen à l'Industrie n'aime pas, c'est la présence des Russes, par l'intermédiaire de la banque d'Etat Sberbank, dans le montage présenté par l'équipementier canadien Magna. «Les seuls qui n'encourent qu'un risque relativement faible à participer à Général Motors Europe sont les Russes. Ils vont gagner l'accès aux technologies les plus modernes et peuvent ensuite bâtir leur propre industrie automobile, apte à s‘exporter», a confié Günter Verheugen au quotidien allemand Die Welt.

On comprend mieux: le commissaire à l'Industrie est dans son rôle de meilleur défenseur de l'industrie allemande en général, et automobile en particulier dont il s‘est de longue date (il achève son deuxième mandat à la Commisssion) fait une spécialité. Qu'il s'agisse de la directive REACH (pour l'enregistrement et le contrôle des substances chimiques circulant en Europe) ou du «paquet énergie climat» (notamment de la limitation des émissions automobiles) Verheugen a toujours pris très à cœur les intérêts «du pays qu'il connaît le mieux», selon la formule consacrée à Bruxelles. Même si en théorie un commissaire européen doit oublier sa nationalité d'origine. Barroso lui-même ayant laissé en déshérence la défense de «l'intérêt général européen» pour faire les quatre volontés des «grands Etats membres» à même de lui assurer un second mandat, le commissaire allemand n'avait aucune raison de se gêner. Opel «allemande» devait être aidée, mais si elle est «russo-canadienne», Verheugen est saisi par le doute.

Autre chose qui chiffonne Verheugen dans le sauvetage d'Opel, c'est qu'il «faudra admettre que les décisions clé de l'entreprise ne pourront pas être prises sans l'assentiment des gouvernements de Moscou et de Washington», prévient-il. Ici, c'est l'hôpital qui se moque de la charité. Pendant de longues années, la Commission européenne a croisé le fer avec l'Allemagne sur la «loi Volkswagen» qui permettait de verrouiller le capital du premier constructeur automobile européen et accordait de facto au gouvernement du Land de Basse-Saxe un droit de regard sur la gestion du groupe. Même si le gouvernement fédéral américain se retrouve temporairement actionnaire significatif de la maison-mère General Motors, il est douteux que l'administration Obama se mêle «à l'européenne» des affaires d'Opel.

Quant à la menace russe, Verheugen en fait un peu trop. Rappelons incidemment que son ancien camarade du SPD, Gerhard Schröder, passé sans discontinuité de la chancellerie fédérale au service de Moscou, a plaidé la cause de Magna et de Sberbank contre l'offre de reprise d'Opel par l'Italien Fiat. Et même avec des technologies empruntées à Opel, ce n'est pas demain qu'un constructeur basé en Russie sera à même de concurrencer Mercedes, BMW, Volskwagen ou Audi.

La triste réalité est que les industries automobiles nationales en Europe sont considérées, comme les banques, comme «too big to fail» et que les gouvernements, par nécessité (sécurité routière, normes environnementales, etc.) ou par opportunisme, résistent rarement à la tentation d'y fourrer leur nez. C'est pourquoi l'industrie automobile européenne reste plombée par des surcapacités structurelles. Fort heureusement, le consommateur, qui détient en dernier ressort la clef du succès ou de l'échec, du produit automobile, n'est pas obligé de suivre. Aux Etats-Unis, il semble même que Ford bénéfice auprès du public de l'image de seul constructeur américain qui n'appartienne pas à «Governement Motor». Le plus récent redressement de Fiat ne doit rien à l'intervention publique, contrairement aux précédents qui avaient plutôt aggravé les choses.

Fiat n'aurait d'ailleurs pas jeté l'éponge dans le dossier Opel et bénéficie toujours de soutiens en Allemagne, où le ministre de l'Economie, Karl-Theodor zu Guttenberg, vient de rappeler que l'accord avec Magna et Sberbank n'était que préliminaire. On ne veut pas croire que Günter Verheugen puisse mobiliser les grands principes de la construction européenne avec des arrière-pensées. Cela ne lui ressemblerait vraiment pas !