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Billet de blog 24 février 2011

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Egypte: la corruption plus difficile à vaincre que la dictature

A peine le tyran Moubarak avait-il été «dégagé» par le pouvoir du peuple installé place Tahrir, que la corruption devenait une cible majeure des animateurs anonymes de la révolution égyptienne. Avec de nouveau un sens très affûté des priorités.

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A peine le tyran Moubarak avait-il été «dégagé» par le pouvoir du peuple installé place Tahrir, que la corruption devenait une cible majeure des animateurs anonymes de la révolution égyptienne. Avec de nouveau un sens très affûté des priorités.


Il ne s'agit pas seulement de récupérer les centaines de milliards de dollar détournés par une dictature kleptocrate mais aussi de combattre un cancer à la racine du développement inégal de l'économie et de la société égyptiennes. Malheureusement, il faudra bien d'avantage que 18 jours et nuits pour en venir à bout et le succès est encore moins garanti que l'établissement d'une démocratie stable sur les rives du Nil.

Maintenant que la parole est libre, que les bouches s'ouvrent, que la camisole de force emprisonnant les médias officiels craque sur toutes les coutures, les témoignages affluent sur la manière dont le clan Moubarak et ses nombreux affidés ont mis le pays en coupe réglée en trente années d'exercice du pouvoir politique à l'abri de l'état de siège. La fortune de la famille proche du rais est évaluée entre 40 et 70 milliards de dollars. Comme dans la Tunisie du clan Ben Ali-Trabelsi, les proches et protégés du clan au pouvoir se sont vu distribuer rentes et prébendes.


Dans le même temps, les classes moyennes adossées à des professions qualifiées, fer de lance de la contestation du régime, étaient réduites à la portion congrue dans la distribution des richesses. Un tiers des 80 millions d'Egyptiens survit sous le seuil de pauvreté. Un tiers (souvent les mêmes) demeure emprisonné dans l'analphabétisme.
Les classes moyennes égyptiennes ne semblent pas manifester une grande nostalgie du nassérisme économique, dont les recettes, travaux pharaoniques, industrialisation forcée, planification autoritaire sur le modèle soviétique, protectionnisme, ont fait partout la démonstration de leur nocivité. Mais elles aspirent légitimement à ce que les réformes libérales, qui ont permis de dégager ces dernières années des taux de croissance dignes des meilleures économies émergentes, s'accompagnent d'une distribution plus équitable des richesses ainsi créées.
Si imparfait soit-il, un «modèle» indien de croissance dans la démocratie ne semble pas inadapté à la nouvelle Egypte, ne serait-ce que parce que les problématiques des deux pays ne sont pas très éloignées, toutes proportions gardées. Les réformes initiées en Inde dans les années 90 par l'actuel chef du gouvernement indien Manmohan Singh, alors ministre des Finances, ont permis de secouer le carcan bureaucratique étouffant hérité du «Raj», d'ouvrir le pays aux investissements étrangers et aux échanges commerciaux avec l'extérieur, d'introduire une dose (encore trop faible) de concurrence dans des secteurs monopolistiques sclérosés, de donner naissance à un secteur industriel privé capable, dans certains secteurs, de prendre part à la compétition mondiale. C'est cette dynamique, permettant de fortifier la demande intérieure, qui enclenche le cercle vertueux du développement. Et d'y entraîner ensuite les secteurs les plus attardés, comme l'agriculture, dont dépend encore une forte proportion de la population active.
Mais la lutte contre la corruption, dimension essentielle de l'établissement d'un Etat de droit, du bon fonctionnement des marchés et d'une redistribution socialement et économiquement efficace, reste une condition sine qua non de succès à long terme de toute stratégie de développement.
Dans la prodigieuse croissance chinoise, qui vient de propulser officiellement l'économie du pays au second rand mondial devant le Japon, l'incapacité, dans la meilleure des hypothèses, à faire reculer la corruption est le vrai talon d'Achille de la dictature communiste. La corruption des agents de l'Etat ou du parti est très souvent à l'origine des émeutes et autres «incidents» qui éclatent chaque année par dizaines de milliers dans les campagnes et les zones industrielles chinoises. Et dans lesquels on lira peut-être un jour les signes avant-coureurs (ceux que l'on a ignoré en Egypte) de bouleversements bien plus profonds. C'est ce que redoutent à l'évidence les hiérarques de Pékin dont les censeurs ont bloqué les mots «Tunisie» et «Egypte» sur les moteurs de recherche et les réseaux sociaux accessibles en Chine dés le début des turbulences dans le monde arabo-musulman. Révélateur.

Publié initialement le 15/02/2011 sur Orange.fr