Premier pays européen à devoir faire appel au Fonds Monétaire International en 2008, avant la Grèce, l'Irlande et ceux qui suivront, la Hongrie pourrait bien apparaître un jour également comme l'avant-garde de la razzia que des Etats banqueroutiers vont opérer sur l'épargne privée, celle des retraites en particulier.
Le gouvernement ultra-conservateur et populiste de Viktor Orban n'y a pas été pas quatre chemins : les trois millions de citoyens hongrois qui avaient cotisé à des caisses de retraites privées devront accepter le transfert intégral de leur épargne vers le système de retraite public, sinon ils en seront exclus. C'est comme si le gouvernement français faisait main basse sur les fonds de l'ARCCO et de l'AGIRC, les régimes complémentaires des salariés et des cadres, en menaçant d'exclure leurs bénéficiaires récalcitrants de la retraite de base gérée par la CNAV.
Confronté à une dette publique qui dépasse les 80% du PIB et placé sous surveillance par le FMI et la Commission européenne, le gouvernement de Budapest a pensé trouver ainsi la solution miracle. Les 11 milliards d'euros qui viendront s'inscrire soudainement à l'actif de l'Etat permettront au budget 2011 de passer d'un déficit prévu de 3% à un excédent de 5%. Cette manipulation rappelle, à une échelle inédite, la manière dont la France s'était qualifiée de justesse pour l'euro, en se débarassant sur le régime général, moyennant le versement d'une «soulte», des engagements liés aux retraites des employés de France Télécoms.
La balle est maintenant dans le camp de la Commission européenne, qui s'est déclarée «inquiète», et du FMI, qui devront dire si le rapt opéré par Orban et ses séides correspond bien à l'idée qu'ils se font d'un assainissement durable des finances publiques. A n'en pas douter, tous les gouvernements qui ont déjà fait ou se préparent à faire appel à la solidarité financière européenne et à l'assistance conditionnelle du Fonds vont observer avec intérêt la réaction de Bruxelles et de Washington. Si le pillage de l'épargne privée est accepté comme une démarche légitime du pouvoir politique pour boucler les fins de mois d'un Etat failli, les épargnants européens sauront à quoi s'en tenir. Pour restaurer la confiance des «marchés», on a trouvé mieux.
Solder une crise financière, cela revient toujours en fin de compte à savoir qui va payer, quand et comment. Taper directement dans la caisse des épargnants, brutalement comme Orban ou plus subtilement (l'Irlande et la France s'y essayent), est un des moyens de passer la facture. L'autre, c'est évidemment l'inflation, qui aboutit au même résultat, délester les ménages du fruit de leur travail.
Très logiquement, le gouvernement hongrois s'attaque à l'indépendance de la banque centrale au moment même où il pille les retraites privées. Son gouverneur, Andras Simor, nommé pour six ans par la précédente équipe gouvernementale, est coupable d'avoir mis le doigt là où cela fait mal: financer les dépenses courantes de l'Etat en pillant l'épargne longue dopera l'inflation et finira par tarir le crédit. A défaut de pouvoir obtenir la tête de Simor, les affidés d'Orban au parlement hongrois veulent changer la composition du conseil qui décide de l'évolution des taux d'intérêts. Ici encore, on attend avec curiosité la réaction de la Commission européenne et la BCE à ce défi lancé aux règles de fonctionnement de la zone euro, à laquelle la Hongrie est toujours potentiellement candidate, en théorie.
On voudrait croire que ce qui se passe aujourd'hui sur les rives du Danube est une aberration venant d'un pays qui a toujours été le cancre économique de la nouvelle classe européenne (les pays de l'élargissement de 2004). Malheureusement, il n'est sans doute rien. Orban "prend l'argent là où il est», constatait un site hongrois, et il serait surprenant qu'il ne fasse pas des émules chez les autres gouvernants d'Etats «en faillite», comme disait si bien François Fillon.
Publié initialement sur Orange.fr, le 16 décembre 2010