La droite en avait rêvé, la gauche l'a fait. En vertu de l'implacable loi des conséquences inattendues, d'autant plus contraignante que ceux qui prennent des décisions ne savent pas ce qu'ils font, le gouvernement Hollande-Ayrault va réussir à enrôler un million de nouveaux contribuables, peut-être un million et demi, dans la cohorte des ménages assujettis à l'impôt sur le revenu.
C'est un moment fort de la vie démocratique française, que devraient célébrer à sa juste mesure tous les partisans de "l'impôt citoyen". Le problème évidemment, comme le souligne L'Opinion qui a eu la primeur de cette information, est que les ménages concernés sont parmi les plus modestes, appartenant à cette moitié des contribuables qui ne contribuaient pas en fonction de revenus jugés trop bas. Pour ces heureux élus, c'est en outre la double peine. Car l'exemption de l'impôt sur le revenu traîne derrière elle un long cortège d'avantages fiscaux, de subventions et d'autres déductions. Ainsi va, plutôt mal que bien, la machine à redistribuer républicaine, avec ses effets de seuil, ses trappes à pauvreté, ses transferts clandestins, ses «droits» non financés si ce n'est par la dette, usine à gaz dont les «ingénieurs sociaux» ont perdu les plans.
L'ineffable ministre de l'Economie et des Finances Pierre Moscovici n'a rien trouvé de mieux comme défense que de rappeler que la précédente équipe au pouvoir avait lancé le mouvement en décidant de suspendre l'indexation des tranches d'imposition sur l'inflation, ce qui augmente mécaniquement la facture fiscale pour tous les ménages et abaisse en proportion le seuil d'entrée dans la catégorie des contribuables contribuant. En d'autres termes, tout ce que Sarkozy faisait, Hollande peut le faire en mieux (ou pire, c'est une question d'opinion). Suspension de l'indexation que le gouvernement actuel a maintenu, en attendant la «pause fiscale», promise pour 2014, 2015 ou 2016, personne ne sait très bien, pas même semble-t-il ceux qui nous gouvernent. En 2017, le contribuable va aux urnes et peut donc espérer être caressé dans le sens du poil. L'espoir fait vivre.
Cet ultime épisode, où le ridicule le dispute au cynisme, n'est que l'illustration de l'impossibilité croissante de faire fonctionner une «technologie» conçue au 19ème siècle, quand on se déplaçait encore au cul d'un cheval, dans le monde ouvert, dématérialisé, virtuel du 21ème siècle. Le paradoxe étant que l'impôt est de plus en plus difficile à collecter alors que la part du revenu national absorbé par la dépense publique a décuplé au long du siècle précédent dans les pays développés, la France de François Hollande détenant désormais le record du monde avec 57% du PIB.
La dernière grande innovation fiscale, mais qui approche l'âge auquel les salariés prennent maintenant leur retraite, consista à taxer la consommation dont la contribution au PIB est devenue prédominante (surtout par rapport à l'investissement) dans les économies développées. Et de cette invention française, les dirigeants hexagonaux ont usé et abusé parce que réputée indolore, au détriment de «l'égalité» de l'impôt progressif. Mais la TVA, comme le confirme les montants astronomiques abandonnés à la fraude et à l'évasion selon la Commission européenne, donne elle aussi des signes d'usure.
Plutôt que de s'obstiner à rafistoler inlassablement une mécanique à bout de souffle, alimenté par un carburant idéologique frelaté, il conviendrait de revenir à la simple vocation de l'impôt : le financement des dépenses de l'Etat et pas l'ingénierie sociale ou le «micro-management» de l'économie par une bureaucratie politique de prétendus «sachants». Dans un monde de flux, l'efficacité conduirait à taxer l'argent quand il bouge, là où il bouge : chaque transaction financière, sans exception, du simple retrait d'argent liquide à la succession millionnaire. Assiette quasi illimitée, taux bas, collecte automatique, contrôle facilité, rendement optimisé.
Les calculs ont été fait (lire ici): un tel mécanisme permettrait de renoncer à ces reliques d'un autre âge que sont l'IS, l'IR, la TVA et les centaines de taxes annexes, avec leurs niches, exemptions, déductions, primes, qui font ressembler le système fiscal actuel à une épave engloutie, tellement couverte d'algues et de mollusques qu'on n'en distingue même plus la forme. Et qui s'enfonce inexorablement dans la vase.
Publié initialement sur Orange.fr, le 23 septembre 2013