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Billet de blog 28 mai 2010

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Sarko, le paysan

Pour tous ceux qui pensent que Nicolas Sarkozy est en fin de compte un avatar de son prédécesseur, monté sur talonnettes et doté d'une pile électrique, la nouvelle posture agricole du chef de l'Etat les confortera dans cette opinion.

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Pour tous ceux qui pensent que Nicolas Sarkozy est en fin de compte un avatar de son prédécesseur, monté sur talonnettes et doté d'une pile électrique, la nouvelle posture agricole du chef de l'Etat les confortera dans cette opinion. L'ex-maire de Neuilly-sur-Seine, ville où les seuls «agriculteurs» sont des grands propriétaires terriens généreusement subventionnés par la Politique agricole commune, a endossé l'habit, très large pour lui, du visiteur en série du salon de l'Agriculture, Jacques l'ami-des-paysans Chirac.

Il y a eu, à ce même salon, la déclaration désormais fameuse sur ces questions d'environnement «qui commencent à bien faire». Comme chacun sait, l'agriculture intensive, productiviste, défendue par le tandem Etat français/FNSEA figure parmi les plus gros pollueurs et une loi authentiquement scélérate sur l'eau avait manifesté avec éclat la puissance du lobby agricole.
Il y eut également la rodomontade typiquement sarkozienne sur une France «prête à une crise européenne» afin de défendre la PAC, que menacerait la remise à plat attendue pour la période qui s'ouvrira en 2013. Moins voyante mais tout aussi révélatrice, la réaction de deux ministres, Bruno Lemaire (Agriculture) et Anne-Marie Idrac (Commerce extérieur) à l'annonce que la Commission européenne allait relancer les négociations avec le Mercosur (les pays du cône sud de l'Amérique Latine, dont l'Argentine et le Brésil), gelées depuis 2004, pour parvenir à un accord bilatéral de libre-échange.
Le 5 mai dernier, ils affirmaient «que l'Union européenne ne peut mener des négociations qui risquent de remettre en cause l'agriculture française et européenne et rappellent à ce titre que les concessions agricoles offertes par l'Union européenne en juillet 2008 pour parvenir à un accord multilatéral global, équilibré et réciproque dans le cadre du cycle de Doha - concessions qui bénéficieraient notamment aux pays du Mercosur - constituent une limite ultime». Ils ajoutaient qu'une telle négociation ne pouvait en tout état de cause être conclue avant celle du cycle de Doha à l'Organisation mondiale du commerce. En fait de «rupture», la continuité est parfaite avec la diplomatie chiraquienne. Paris a évidemment rallié les «amis de la PAC» au sein de l'Union européenne à sa position défensive.
La France de Nicolas Sarkozy, comme celle de Jacques Chirac avant lui, fait étalage d'une formidable hypocrisie. Un, la Commission européenne avait renoncé volontairement à négocier des accords bilatéraux dans l'attente d'une conclusion de Doha. Mais lancé en 2001, le cycle est encalminé depuis bientôt six ans et espérer une conclusion positive en 2011 suppose une bonne dose d'optimisme. La France officielle, sous influence du lobby agricole, n'a d'ailleurs jamais voulu de ce cycle et souhaite moins que jamais son succès.
Deux, les accords bilatéraux de libre-échange doivent être en principe «OMC plus». C'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas être «moins disants» que les ouvertures d'échanges commerciaux obtenues dans un cadre multilatéral. Or, on sait déjà qu'un accord agricole dans le cadre de Doha limitera strictement l'ouverture de certains marchés agricoles, dont celui de la viande.
Trois, alors que l'industrie française ne cesse de perdre des parts de marché au niveau mondial (et les emplois qui vont avec), il est clair qu'un accord équilibré avec les grands exportateurs agricoles du Mercosur, impliquent des concessions dans ce domaine en échange d'avantages dans l'industrie et aussi les services, où les acteurs français disposent de réels atouts.
Mais le plus grave, c'est que nos excellences n'ont manifestement toujours pas compris que la stratégie qui sous-tend, depuis au moins vingt ans, une PAC économiquement inefficace, socialement injuste (une politique sociale pour les gros, les riches et les têtes couronnées européennes) et écologiquement désastreuse, est dans une impasse, avec ou sans le Mercosur.
L'agriculture contemporaine est duale. Si les très grandes exploitations françaises et européennes, qui absorbent aujourd'hui l'essentiel des subventions, veulent affronter la concurrence mondiale, qu'elles le fassent sans les béquilles fournies par le contribuable. Elles doivent en être capables. Et une PAC rénovée en profondeur devrait être placée exclusivement au service d'une agriculture à taille humaine, familiale, créatrice d'emplois (alors que la PAC en a détruit des millions), respectueuse des sols, des eaux et des paysages, adossée à des circuits de transformation et de distribution complètement repensés. Et capable d'exporter la qualité «Made in Europe» vers les consommateurs du monde entier. Un immense chantier de reconstruction, qui implique de regarder vers l'avenir et pas dans le rétroviseur.

Publié initialement sur Orange.fr le 20 mai 2010