La scène se répète plusieurs fois par jour, 365 jours par an : un Eurostar venant de Londres débarque sur les quais de la gare du Nord des centaines de passagers internationaux et une longue file d'attente se forme sous le méchant abri servant de refuge aux clients des taxis parisiens.
Attente interminable car les véhicules disparates, à la propreté généralement douteuse, aux chauffeurs trop souvent rébarbatifs et capricieux, vont arriver au compte goutte. Adieu la grande vitesse. Bienvenue dans la «ville Lumières», capitale du corporatisme malthusien, de la rente souveraine, de la haine de la concurrence et de l'Etat «régulateur».
A défaut de servir les clients, le lobby des taxis parisiens avait déjà fait la preuve de sa créativité en inventant, au pays où la «gréviculture» est inscrite dans les gènes, la grève contre...le rapport d'une commission. C'était lorsque la commission Attali avait eu l'audace inconsidérée, au début du précédent quinquennat, de suggérer un assouplissement du numérus clausus qui limite à 17.000, depuis des lustres, le nombre des taxis autorisés à circuler dans la capitale. Par comparaison, Londres compte 22.000 de ses célèbres taxis noirs mais aussi 44.000 «minicabs». Inutile de dire que le courageux Nicolas Sarkozy avait battu en retraite avant même que la bataille ne commence.
Le même lobby est aujourd'hui parti en guerre contre une nouvelle forme de concurrence, celle des voitures de tourisme avec chauffeur ou VTC. La capitale française en compte actuellement quelque 2000, bien au delà des «voitures de place», ces grosses limousines de marque allemande (désormais souvent immatriculées outre Rhin) qui servent encore une clientèle étrangère privilégiée. Avec le secours des nouvelles technologies, téléphones intelligents et applications internet, les innovantes sociétés de VTC offrent aujourd'hui une réelle alternative à l'évanescent taxi traditionnel.
Dans un combat évoquant la levée en masse de la franchouillardise contre la menace du «plombier polonais» déferlant dans les fourgons de la directive Bolkestein, la «profession» ne l'a pas entendu ainsi. Elle exige des pouvoirs publics que soit imposé aux VTC un délai de 15 minutes entre la réservation de la course par le client et sa prise en charge effective. Mesurons l'imbécillité profonde de cette disposition, dont on se demande au demeurant comment le respect serait contrôlé (et par qui ?). Il suffirait au voyageur de l'Eurostar de passer sa réservation 10 minutes avant l'arrivée du train pour trouver son véhicule au sortir de la gare. Et qu'est-ce que 15 minutes par rapport à la demi-heure, au bas mot, qu'il lui faudrait pour trouver un taxi ? On pourrait multiplier les exemples.
Aux dernières nouvelles, avec l'esprit de décision qui le caractérise, le gouvernement Hollande-Ayrault hésiterait encore sur la marche à suivre. Gageons qu'une petite grève des taxis parisiens lui indiquera le «bon chemin».
Il est vrai que l'actionnaire majoritaire du Groupe G7, principale compagnie parisienne (7.500 véhicules détenus ou affiliés), n'est autre qu'André Rousselet, qui en connaît un rayon en matière de monopole privé garanti par la puissance publique. Il avait obtenu de son ami François Mitterrand le privilège de créer, à l'abri de la concurrence, une télévision hertzienne à péage, Canal Plus. Surprise, surprise, le PDG de G7 est aujourd'hui un certain Rousselet Nicolas, fils du précédent. Corporatisme et népotisme sont deux mamelles de la même truie.
Il y a fort à craindre que les intérêts de Rousselet père et fils pèsent plus lourd auprès du pouvoir actuel (le jeune Hollande a fait ses classes à l'Elysée quand André y fut le premier directeur de cabinet de «Tonton») que les arguments de bon sens des acteurs du VTC : créer des emplois par milliers, améliorer considérablement le service au client, mettre enfin Paris au niveau de prestation des autres grands centres touristiques mondiaux, aider à la décongestion du trafic parisien en décourageant l'usage de la voiture individuelle. Avec plus d'efficacité (ce ne sera pas difficile) que les prétendues mesures «anti-bagnole» du bobo-démago Bertrand Delanoë. Et en adressant accessoirement un message clair à toutes ces professions «protégées», des notaires aux greffiers des tribunaux de commerce en passant par les huissiers de justice, dont les rentes se nourrissent grassement des privilèges octroyés par l'Etat. Il n'est pas interdit de rêver.
Publié initialement sur Orange.fr, le 22 août 2013