Un bloggeur publiant un livre, la cyber-planète qui rend les armes à Gutenberg, c’est un peu «le mort qui saisit le vif», pour citer un célèbre penseur barbu du 19ème siècle dont François Leclerc fût longtemps un fidèle (et l’est peut-être encore). A croire que le livre papier reste un gage de respectabilité et de durabilité. C’est pourquoi quand l’auteur nous annonce en sous-titre «La fin d’un monde», on se permettra d’être circonspect. Il y a, dans l’histoire humaine, plus de continuité que de ruptures, plus d’évolution que de révolutions.
Le monde en question, c’est celui de la finance mondialisée dont François Leclerc a entrepris d’éclairer et de commenter la crise majeure, en «invité» sur le blog de Paul Jorion. Sans vraiment savoir dans quel engrenage il mettait le doigt. Bientôt cinq ans et quelque 600 chroniques plus tard, la crise se porte comme un charme, merci pour elle, et ce qui aurait pu être un sprint se transforme en marathon interminable dont la ligne d’arrivée s’éloigne au fur et à mesure que la classe politique en annonce la proximité.
Pourquoi ? Essentiellement parce que ceux qui sont aux manettes, ou plutôt croient y être, manifestent depuis le départ une «grande méconnaissance du système financier». Le navire fait naufrage (perdition) parce qu’il a perdu sa route. Réglementaires, fiscales, budgétaires, toutes les solutions proposées «tournent autour du pot», écrit justement François Leclerc. Ce pot, au plutôt le puits nauséabond sur lequel on comprend que nos dirigeants refusent de se pencher, c’est un système financier, plus exactement bancaire, où se sont accumulés par sédimentation les produits de trente années de fuite en avant dans l’endettement. Des banques elles-mêmes, des acteurs privés et des Etats.
L’objet de cette petite sélection de chroniques, concentrée sur la période la plus récente (de septembre 2011 à mars 2012), n’est pas de remonter aux origines lointaines et aux causes profondes de ces dérives. On devine, à des allusions, que l’auteur reprend à son compte la thèse, discutable, du partage inégal de la richesse et celle, plus évidente, d’un déplacement du monde au détriment des vieux pays industrialisés. La contribution précieuse de ces textes, c’est bien le suivi quasi quotidien, en langage généralement accessible aux non-spécialistes, des vrais problèmes et des fausses solutions qui ont émaillé ces cinq années de crise financière. Avec un compas tenu solidement en main, contrairement à cette basse courre aux têtes coupées (mais néanmoins bavardes) qui commente les évènements sans les comprendre dans l’univers poussiéreux des vieux médias.
C’est simple : «la machine à fabriquer de la dette a fonctionné à plein régime, puis s’est bloquée pour en avoir trop produit», résume l’auteur. Le problème central, c’est que cette vérité élémentaire n’est toujours pas admise là où se prennent les décisions. La Grèce insolvable ? Il aura fallu deux ans pour le reconnaître. Les banques insolvables ? On refuse l’évidence, voire l’Espagne. Les ménages insolvables? Silence radio. Les Etats insolvables? La campagne électorale présidentielle aura été le triomphe du déni, pardon du «rêve français». Aux dernières nouvelles, on nous dit que la Commission européenne planche sur un plan de sauvetage du système bancaire européen. Etonnant, non?
Comment en sortir ? «La croissance à laquelle peuvent désormais prétendre les sociétés occidentales est d’une autre nature que celle qui s’est évanouie. Elle doit intégrer dans son calcul d’autres paramètres et renvoyer à un fonctionnement différent de la société», écrit François Leclerc. Ce qui ouvre un vaste horizon de débats… et de chroniques. Il n’est pas interdit d’y rêver maintenant, un léger parfum de communisme utopique (encore le barbu !) flottant sur les chemins ouverts par l’auteur («une déconnection partielle entre activité salariée et revenu»). Mais la dure réalité de la crise s’imposera encore des années durant, au rythme où les non-solutions se succèdent. Autant dire que le bloggeur doit s’armer de patience. Rendez-vous dans 600 chroniques ?
Chroniques de la Grande Perdition – 8,50 € - Osez la République sociale