Dans les décombres encore fumants de la crise financière mondiale, la banque d'investissement américaine Goldman, Sachs and Co. affiche les meilleurs résultats trimestriels de sa prestigieuse histoire et prépare pour ses employés des bonus records. Ce qui étonne, c'est l'étonnement de certains commentateurs peu avertis. La crise a en effet créé pour Goldman un environnement idéal, inespéré. Ce qui serait surprenant, c'est que ces traders aguerris n'en tirent pas avantage.
D'abord, Lloyd Blankfein et ses «golden boys» ont tiré de la crise elle-même la leçon la plus importante...pour ce qui importe aux banquiers: à savoir que le pouvoir politique, aux Etats-Unis comme ailleurs, n'aura très certainement plus les nerfs, après le tsunami provoqué par la chute de Lehman Brothers, de laisser un établissement financier significatif majeur payer, par la faillite, le prix de ses erreurs. Donc, Goldman prend des risques, plus même qu'avant la crise, selon l'indicateur le plus communément utilisé pour mesurer ce comportement. Ceux qui avaient averti que la gestion publique des turbulences financières allait créer un colossal «aléa de moralité» avaient vu juste. Nous y sommes.
Ensuite, Goldman a utilisé largement, et légalement, tous les instruments publics divers et variés mis à la disposition du système financier par la Réserve Fédérale des Etat-Unis et le Trésor américain, avec la bénédiction, plus ou moins enthousiaste, du Congrès. En particulier, en adoptant au plus fort de la panique qui menaçait de la balayer comme ses consoeurs de Wall Street le statut de holding bancaire, Goldman bénéficie désormais d'une garantie publique qui, littéralement, vaut de l'or. En clair, cela signifie que Goldman a pu reconstituer ses réserves en capital à un coût extrêmement bas. C'est avec ces munitions que ses traders hors pair peuvent jouer.
Ajoutons que Goldman, comme les autres institutions financières, a aujourd'hui accès généreux à un océan de liquidités offertes à coût pratiquement nul par la banque centrale américaine. Pour ceux qui n'auraient pas encore compris, rappelons que la politique monétaire extraordinairement accommodante mise en oeuvre un peu partout par les banques centrales a pour objectif prioritaire de reconstituer les marges du système bancaire. En espérant, ce qui n'est manifestement pas le cas, que l'économie dite «réelle» en profitera par voie de conséquence parce que le circuit de financement des entreprises et des ménages recommencera à fonctionner «normalement».
Dans la réalité, les entreprises qui le peuvent doivent faire appel aux marchés de capitaux pour lever l'argent que les banques refusent de leur prêter. Et qui organise ces émissions, commissions à l'appui? Goldman, que la crise a débarrassé de rivales encombrantes, affaiblies ou disparues corps et biens dans la tempête. Rappelons, parce que cela a été relevé sans être pour autant expliqué, que Goldman Sachs, comme d'ailleurs plus près de chez nous la Société Générale, a été un des principaux bénéficiaires du sauvetage de l'assureur américain AIG (facture provisoire pour le contribuable américain: 180 milliards de dollars). Qui avait pris cette décision, le jour même où sa rivale Lehman se voyait signifier un arrêt de mort ? Henry Paulson, secrétaire au Trésor de George W. Bush et ancien patron de...Goldman.
Aux temps pas très éloignés où Goldman Sachs était encore un partenariat privé, les associés gérants misaient leur propre argent. Avec parcimonie. Quand la firme a été introduite en bourse, une date clef dans l'histoire récente de Wall Street, les futurs «maîtres du monde» ont commencé à jouer avec l'argent de leurs actionnaires et clients. Avec une bien plus grande libéralité. Dans le monde «nouveau» né de la plus grave crise financière depuis les années Trente, Goldman joue avec l'argent fourni bon gré, mal gré mais en abondance, par le contribuable. Intéressante évolution.
«Notre modèle n'a jamais vraiment changé», remarquait récemment David Viniar, le directeur financier de la firme. Trés juste. C'est l'origine du «nerf de la guerre» qui n'est pas la même. Un détail.
Publié initialement sur Orange.fr le 21 juillet 2009