Le temps est une énergie, dit une conservatrice de musée de l’horlogerie.
Une dimension intégrée aux autres dimensions qui modulent l’énergie. Avant-hier notre grand fils en attente de devenir nous a mis devant Interstellar, qu’il venait de voir et voulait revoir avec nous. Son envie de partager ça, une sortie de la terre invivable…
L’actualité confirme la justesse de son impulsion.
Tout le monde y va de son commentaire, dans l’ébriété de l’événement[1]. Je n’ai pas voté dimanche et je ne voterai pas dimanche prochain. Et nous sommes rentrés dans un cycle où cette décision risque de se reproduire.
Tout indique…
Laisser les formules de ce genre. Bifurquer. Apprendre le tango m’apparait plus politique que de pérorer n’importe quelle connerie présupposée intelligente, courageuse, etc.
J’ai grande colère contre l’inconscient général qui réclame à toute force le monde totalitaire, droites et gauches confondues à part quelques rares voix. Tout le monde fait semblant que l’extrême droite a gagné. Tous les esprits se bercent de l’illusion ou du cauchemar que le fascisme[2] a gagné, le racisme, l’antisémitisme, la fermeture des frontières…
Personne n’a, semble-t-il, ce coup d’avance pour remettre à sa place ce hoquet de l’histoire, ce divertissement, on ne peut plus coûteux certes, en morbidité, mais divertissement quand même, effet de surface.
Le diable n’est qu’une terrible inconséquence, une coûteuse superficialité : une haine incomprise, une haine rabattue sur l’exercice de la haine, à défaut d’être transformée en intelligence amoureuse, ce qu’elle est, a toujours été, et sera toujours.
Je ne voterai pas dimanche prochain, car ces élections sont la plus grande honte qu’aura connue « la France », après Vichy et après Guy Mollet : accueillir « le monde entier » – la grande comédie du monde pour traiter de la grande tragédie du monde – et lui infliger la misérable petite comédie nationaliste d’un peuple qui a décidé de merder, de pusillanimer son histoire… voilà ce que nous coûte le non-report de ces élections.
Bien obligé en cette fin d’année de gratifier d’un dont acte le pénible Houellebecq auquel j’ai consacré un peu de temps en début d’année, cette huile sur le feu qui tout heuristique qu’elle soit ne me convient décidément pas[3].
J’ai pu ces derniers mois ressentir beaucoup de honte personnelle, me fustiger dans mes échecs et mes impuissances personnelles, et penser aux tant d’autres bien plus aimables que moi, bien meilleurs, bien plus grands, etc., ce genre de sentiment vil où autrui est plus méritant à tout coup, et qu’il mérite de vivre quand il n’y a plus pour soi que mort, fin, disparition, un non-droit pour celui qui reste ainsi sur le carreau, en vie nue, mais cette honte n’est rien à côté de celle de cette France, au lendemain du Vendredi 13 novembre (sale inconscient de malheur manipulé par nos enfants eux-mêmes manipulés par d’autres oiseaux de malheur), et en cette journée du 6 décembre : en pleine cop 21, offrir ce spectacle. Rien à envier à la Hongrie et autres miséreux de l’Histoire, pardon pour la méchanceté passagère, qui prétendent claquer la porte au nez de l’Histoire.
Nous entrons à présent en minorité résolue, non pas du tout contre l’épouvante majoritaire, mais belle minorité, celle qui voit la vie ailleurs et tout autre que l’épouvantail de l’actualité (qui n’est qu’actualisation forcenée des imaginaires morbides). J’ai rencontré de ces nouveaux électeurs électrices du Front national dans une maison de retraite pour Alzheimer, il était clair comme l’eau de roche, que chez eux, chez elles montaient irrépressibles les voix de la haine, les jouissances de la haine, de la rancune, de l’envie et de la revanche, ces toutes-puissances dévastatrices, purs produits de l’illusoire hédonisme de la fin d’ère capitaliste. Qu’ils sachent cependant, ces êtres souffrants, qu’ils sachent qu’au lendemain dévasté de leur hubris, je serai là, « je » : une bonne volonté poétique, sera là, pour entendre leur parole convalescente, leur tentative de Phoenix et pour réinventer avec eux un monde vivable parce que vivant.
Que les autres, ayant brandi leur bulletin contre les abstentionnistes, se souviennent de leur gesticulation d’alors : celle qui croyait et voulait faire croire que la paresseuse réactivité à la haine vaut comme ticket de bonté atavique. Quand, au fond, ils-elles cherchent à changer pour ne rien changer, à préserver leurs petites places, leurs petite survies politiques, sociales et culturelles.
Le monde de demain est en trop grande souffrance pour qu’on se laisse à rouler batifoler dans la merde du présent.
Grande colère, oui, mais en travaillant l’art de la transformer en dansant, tout est là. Le tango par exemple, l’art de la connexion dévoilant sur le champ l’indélicatesse de tout mauvais sentiment, de toute esquisse de violence, est une voie, une énergie, une formule secrète, plus qu’une aimable métaphore, pour l’écologie politique qu’il nous reste à penser, à construire… dans l’énergie du temps.
[1] Par exemple Quitterie de Villepin. Sympathique, mais un peu trop ivre.
[2] Pour les philistins et autres rhétoriciens de la nuance : bien sûr Mussolini et Hitler ont beaucoup changé à travers temps… pour rester les mêmes.
[3] Michel Houellebecq, Soumission, Flammarion. Cf. la lecture que j’en ai proposé.