Face aux effets prévisibles du changement climatique, le débat est ouvert de créer une catégorie nouvelle de réfugiés, les réfugiés climatiques, entrainant un droit à la migration et une obligation d'accueil, mais aussi une définition de cette catégorie nouvelle et des procédures pour déterminer qui relève de cette catégorie. Et face à cette proposition la réticence de nombreux États de constituer une nouvelle catégorie de migrants de droit, alors qu'ils affichent de manière croissante leur autorité en contrôlant l'accès à leur territoire et qu'ils ébrèchent de manière plus ou moins flagrante le droit d'asile existant.
Les migrations causées par les évolutions du climat n'ont rien de nouveau dans l'histoire et la préhistoire humaine. Elles ne sont pas non plus propres à l'espèce humaine. Elles posent simplement des problèmes particuliers aux sociétés humaines, surtout au moment où l'espèce a colonisé l'ensemble des territoires habitables de la planète. La spécificité de notre époque est la rapidité du phénomène, la conscience que nous en avons, qui devrait permettre une certaine anticipation, et le fait que ce changement soit en grande partie ou dans sa totalité à l'activité humaine, ce qui là encore donne des possibilités d'action.
Le changement climatique affectera de manière très inégalitaires pays riches et pays pauvres, ainsi que pauvres et riches à l'intérieur des mêmes pays. la migration est aussi un phénomène inégalitaire. Les ressortissants des pays les plus riches jouissent d'un droit très large migrer, au point de ne pas être perçus comme migrants (selon les statitstiques INSEE de 2010 il y avait cette année-là plus d'immigrés britanniques que tunisiens sur le sol français). Ceux des pays pauvres sont entravés dans leur capacité de mouvement, vers les apys les plus riches qui se ferment, mais aussi de plus en plus loin aux approches de ceux-ci en raison des politiques de contrôles imposés par les pays riches à leurs voisins.
Mais aussi, contrairement à l'image que véhicule un discours démagogique sur "la misère du monde" qu'il s'agirait d'accueillir ou pas, les plus pauvres migrent peu. Ils se déplacent dans les régions ou les pays voisins. La migration au long cours repose sur un capital économique, culturel et social que les plus pauvres n'ont pas. La "misère du monde" n'arrive pas à nos frontières, mais ceux qui ont de l'argent, un bien à vendre ou à hypothéquer, leur permettant de payer un voyage rendu coûteux par la fermeture des frontières à franchir.
Le traitement des réfugiés a pris une double figure. Celle à proximité des zones de crise sous forme de l'accueil dans des camps où sont regroupés les réfugiés et où sont assurés les besoins vitaux. Cette forme d'organisation qui permet de faire bénéficier de l'aide les personnes qui se déplacent dans une situation de crise, pose problème quand la situation dure dans le temps, puisque les personnes sont privés de la capacité d'exercer une activité leur permettant de subvenir à leurs besoins. Elle est inadaptée pour des changements de long terme et anticipables comme ceux causés par l'évolution du climat. Il s'agit pour des personnes qui ne peuvent plus subsister là où elles sont du fait du changement climatique de chercher ailleurs des possibilités de subsistance. Et il s'agit d'accompagner ce mouvement sans attendre l'apparition de situations de disettes ou de famines, ou d'autres formes de crises dues à l'amenuisement local des ressources.
L'autre figure étant celle du réfugié dans les pays riches, c'est-à-dire de quelqu'un jouissant du droit de franchir illégalement les frontières et d'être accueilli. Mais devant pour ça franchir effectivement des frontières de plus en plus contrôlées, passer par le prisme de procédures dissuasives ou comprométant l'accès à ses droits, et prouver qu'il est bien éligible au statut de réfugié. Là encore, quand on imagine la complexité des déséquilibres créés par le changement climatique et amenant des personnes à migrer pour trouver de meilleures possibilités de subsistance ou de meilleures oppotunités de vie, le dispositif actuel d'accueil des réfugiés semble inadapté - même en faisant abstraction des politiques restrictives actuelles.
En fait la figure du réfugié climatique correspond à une représentation du changement climatique comme devant provoquer des situations critiques semblables à celles que provoquent la guerre, les persécutions ou les violations systématiques des droits de l'homme. Alors qu'il s'agit d'un processus beaucoup plus lent à s'installer, et auquel il est possible de s'adapter bien avant d'atteindre des situations critiques.
Et l'État est pris comme à contre-pied de ce qu'il faudrait faire dans cette situation. Il faudrait un État capable d'intervenir pour limiter l'activité humaine entretenant le changement climatique, par la norme faisant reculer certaines activités et comportement, en orientant les activités par exemple pour favoriser la relocalisation de l'économie, en stimulant le développement de technologies et de secteurs économiques permettant de diminuer l'impact de l'activité humaine sur le climat. Or cet État-là a largement été démantelé par quarante ans de libéralisme.
Et il faudrait un État qui laisse faire, accompagne, favorise les phénomènes migratoires pour faciliter l'adaptation au changement climatique qu'il ne pourrait pas éviter (d'aucuns diraient pour favoriser la liberté humaine de se déplacer). Or nous sommes face à des États qui se donnent à voir aux populations comme les protégeant des masses venant de l'extérieur pour s'approprier une part des ressources limitées de leur territoire - dans un contexte où les ressources disponibles à répartition entre riches et pauvres se réduisent effectivement du fait des politiques de ces mêmes États.
Plus que d'un statut de réfugié climatique, c'est d'un changement de paradigme dont nous avons besoin face au changement climatique, en terme de liberté de circulation et d'installation, mais plus largement de rôle de l'État.