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Billet de blog 17 juin 2014

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DES EXILÉS EN LUTTE

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À l'automne 2002, la fermeture du centre de Sangatte avait été l'occasion d'une lutte menée par les exilés à Calais. Le centre avait été fermé en deux étapes. Dans un premier temps, l'accès du centre a été réservé aux seules personnes déjà enregistrées ("badgées"), les nouveaux venus n'étant plus admis. La France et le Royaume-uni se sont répartis leur accueil. Le centre a été définitivement fermé puis détruit après leur transfert dans leurs nouveaux lieux d'accueil. Les nouveaux arrivants se sont donc à la fois retrouvés à la rue et exclus des accords franco-britannique. Mais l'espérance de bénéficier de ces accords était pour eux tangible. S'en sont suivies plusieurs semaines de lutte, faites de manifestations, sit-in, occupation d'une église. Sans succès.

Les douze années suivantes ont été émaillées de manifestations et de grèves de la faim généralement très courtes, le plus souvent au centre de rétention, mais sans mobillisation structurée et durable.

En octobre dernier, les exilés syriens ont occupé l'accès piéton du port de Calais pour obtenir un dialogue avec les autorités françaises et britanniques, et pouvoir accéder au territoire du Royaume-uni pour y demander l'asile. Le mouvement a été bref, trois jours, avec une montée médiatique très rapide des médias locaux aux nationaux français et britanniques. Le troisième jour, la police vient pour évacuer les manifestants. Deux d'entre eux montent sur le toit d'un bâtiment et mancent de sauter. La situation se fige. Le sous-préfet, puis le préfet viennent négocier. À la demande des exilés, des représentants de l'administration britannique viennent sur place. Mais ils ne font que rappeler le cadre légal existant. Déception. Après un moment d'hésitation, les exilés lèvent leur occupation sans avoir rien obtenu (sauf pour les rares personnes qui ont choisi de demander l'asile, qui ont été hébergées le soir même et ont pu déposer leur demande sans délais). Ce mouvement a eu quelques suites, un rassemblement à l'occasion de la venue de l'ambassadeur de l'opposition syrienne en France, et deux appels adressés aux autorités européennes. Les exilés syriens avaient généralement de la famille restée au pays ou en situation précaire dans un pays voisin, ils étaient en recherche d'une solution rapide quelque part en Europe, leur logique n'était pas de s'impliquer dans un mouvement revendicatif long.

Le mouvement en cours est donc inédit depuis celui qui a accompagné la fermeture du centre de Sangatte.

Le 21 mai, le préfet du Pas-de-Calais annonce aux associations et aux médias que trois campements regroupant plus de six cent personnes vont être détruits la semaine suivante, en raison de leur insalubrité et pour traiter une épidémie de gale. D'ordinaire, lors d'une grosse expulsion de ce type, à laquelle les médias sont conviés, une proposition d'hébergement est plus ou moins faite aux demandeurs d'asile et aux mineurs, les autres quittent les lieux avec leur baluchon. Les jours suivants, souvent pendant plusieurs semaines, la police chasse les gens de lieux en lieux au fur et à mesure qu'elle les découvre, détruit les tentes et les couvertures. On a donc des gens qui ne dorment quasiment plus parce qu'ils sont délogés au petit matin, qui ne savent pas où ils vont pouvoir se cacher la nuit suivante pour voler quelques heures de sommeil, qui dorment dans les bosquets enroulés dans des couvertures et des baches plastique. C'est aussi en réaction à une de ces périodes de traque que les Syriens ont occupé l'accès piétons du port : ils ont refusé de continuer à jouer le rôle de bête traquée.

Le 24 mai, des habitants des trois campements se réunissent avec les associations pour envisager ce qu'il convient de faire. Les discussions entre exilés continuent les jours suivant, l'idée émerge d'occuper ensemble un lieu, le choix est fait du lieu aménagé pour la distribution des repas, une vaste cour goudronnée bordée par des auvents, avec un point d'eau. L'expulsion étant initialement annoncée pour le 27 mai, une partie des habitants déménagent sur le lieu de distribution dans la nuit du 26 au 27. D'autres les rejoignent le 28 au matin, avant que la police n'encerclent les campements. La police ne trouve donc dans les tentes et les cabanes que quelques irréductibles qui n'y ont pas cru ou n'ont pas voulu partir.

La situation est assez étrange. Le principal campement évacué est en face du lieu de distribution des repas. On a face-à-face les policiers en armure d'un côté de la rue, de l'autre les exilés et leurs soutiens, les médias au milieu de tout ça. Les choses sont plutôt calmes, jusqu'à ce que les gendarmes mobiles tentent une incursion par derrière dans le lieu de distribution des repas, en cisaillant le grillage. Ils sont rapidement repoussés.

S'ouvre alors une phase de négociation. Un émissaire du préfet se rend dans le lieu pour discuter. Après plusieurs allers et retours avec sa hiérarchie, il concéde que les exilés peuvent rester au lieu de distribution un ou deux jours, mais devront ensuite trouver un autre lieu.

Ce délais est mis à profit. Les exilés venus d'Afghanistan, du Pakistan, du Soudan, d'Égypte, de Syrie, d'Érythrée, d'Éthiopie... se réunissent par communauté, en assemblée plénière, en réunion des délégués, et s'accordent sur un série de renvendications, portant sur des conditions d'accueil digne, l'arrêt des violences policières, et une négociation franco-britanniques pour trouver une solution au sort de chacun. La vie quotidienne de l'occupation s'organise aussi.

Le délais de deux jours expire. L'émissaire du préfet revient le 31 mai au matin. Il dit que si les exilés quittent le lieu, il reviendra le mardi suivant avec des propositions concrètes pour leur accueil. L'après-midi a lieu un rassemblement des exilés et de leurs soutiens pour protester contre les expulsions. Le soir, après discussion, les exilés font leur bagage et se dirigent vers un autre lieu. Ils sont stopés en route par la police. Ils reviennent au lieu de distribution. Coups de téléphone, l'émissaire du préfet donne un accord officieux pour qu'ils restent et confirme le rendez-vous du mardi suivant.

Le mardi vient (3 juin), et personne ne vient. La préfecture est passée en mode silencieux, et ne répond plus aux questions des journalistes et des associations. Nouvelles réunions, les exilés décident d'une manifestation le 7 juin pour demander la reprise du dialogue. Pas de réponse.

Le 11 juin, une trentaine d'exilés entament une grève de la faim, après discussion et avec le soutien des autres. Les revendications du groupe en grève de la faim glisse peu-à-peu vers l'obtension d'un titre de séjour en France.

Le nombre de personnes a fortement augmenté depuis le début de l'occupation, de 250 à plus de 400 personnes. Une partie des habitants des campements détruits, qui s'étaient d'abord dispersés, ont rejoint le lieu en voyant  qu'il n'était pas évacué, tandis que les nouveaux venus à Calais viennent généralement s'installer ici. Il n'y a pas assez de tentes et de couvertures pour tout le monde et les associations n'en donnent qu'au compte-goutte, et le temps a fraichit. Une partie des personnes qui assuraient la cohésion entre les différents groupes sont en grève de la faim et donc affaiblis. Des tensions se font jour, et l'occupation se fragilise.

Telle est la situation aujourd'hui 17 juin.

Demain 18, le préfet a invité les associations, puis les médias, à un point sur la situation. Des décisions seront annoncées. On est incapable de deviner lesquelles, même pas de savoir si elles iront dans le sens d'un mieux ou dans le sens du pire.

Dans l'attente, les exilés qui ont choisi de ne pas aller se cacher dans les buissons sont toujours là, et sont toujours debout.

Pour suivre la situation des exilés à Calais :

http://passeursdhospitalites.wordpress.com/

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