L’Express est un journal qui paraît à Mulhouse depuis 1877, dans l’Alsace annexée à l’empire allemand à l’issue de la guerre de 1870. Il est bilingue, allemand et français – ce ne sont pas les mêmes articles qui sont publiés dans les deux langues, mais certains articles sont en allemands, d’autres en français.
En juillet 1914, ce qui se noue dans les Balkans et va déboucher sur la Première Guerre mondiale tient bien moins de place dans les colonnes que la question irlandaise, ou l’affaire Caillaux en France.
Jusqu’au numéro des 1er et 2 août et la proclamation de l’état de guerre par l’Allemagne. La proclamation est intégralement publiée en première page en allemand, elle fait l’objet d’une dépêche en une en français, entre la mobilisation en Russie et le bombardement de Belgrade par l’artillerie austro-hongroise, et d’un article plutôt rassurant en deuxième page.
Le 3 août, c’est la mobilisation allemande, qui occupe presque toute la première page, en allemand et en français, avec les mesures concernant la vie quotidienne de la population et l’ambiance à Mulhouse. La deuxième page est également consacrée pour la plus grande partie à la guerre qui vient (le format est de 4 pages, dans ce numéro les deux dernières sont consacrées à la réclame).
Le 4 août, c’est la guerre, qui occupe la majorité du journal, qui se réduit à partir du 6 août à deux pages, dont une de réclames. Plus exactement, les informations concernant la guerre et l’actualité en général sont en français, les articles en allemand étant déconnectés de la situation. Dans le numéro des 8 et 9 août, le journal reprend les dépêches de l’agence de l’agence Wolff, autorisées par l’état-major allemand, complétées par des informations locales, certaines au conditionnel : les troupes françaises seraient à Thann (à 20 km de Mulhouse), les Allemands ont évacué Mulhouse, les Français y seraient peut-être entré (« il se peut que les Français occupent Mulhouse aujourd’hui »).
Le 11 août, une adresse « à nos lecteurs » informe que « les communications par poste, télégraphe et téléphone étant coupées de tous les côtés, dans l’impossibilité où nous sommes de publier des renseignements sur les faits de guerre, l’« Express » ne pourra probablement plus paraître régulièrement jusqu’à nouvel ordre. » Le journal s’excuse également de n’avoir pas pu paraître le 10 août « parce que l’électricité et le gaz manquaient ». En fait, après quelques dépêches de l’agence Wolff, l’Express décrit l’entrée des troupes françaises à Mulhouse, puis la reprise de la ville par les troupes allemandes le lendemain. Ce qui vient de se passer apparaît dans les livres d’histoire comme « la première bataille de Mulhouse ».
Les jours suivants, le journal continue à publier des dépêches de l’agence Wolff, avec quelques informations venant de Suisse, une brève de Londres ayant transité par Copenhague, et à rendre compte de la situation locale. Le 17 août « Comme les bureaux de poste et de télégraphe sont fermés, nous n’avons ce matin aucune nouvelle des différents théâtres de la guerre. Pour ce qui se passe dans nos environs immédiats, il ne nous est pas permis de donner des renseignements sur les mouvements de troupes amies ni ennemies. Ce que nous pouvons dire, c’est que les autorités civiles et militaires [allemandes] ont encore une fois quitté Mulhouse... »
Le 18 août « nous continuons à être coupés de toute communication avec l’extérieur. Il n’y a plus de service de poste, ni de télégraphe ou de téléphone. Dans l’impossibilité d’avoir aucune nouvelle du dehors, nous serons peut-être obligés de suspendre la publication de « L’express » pendant quelques jours. » Concernant la guerre, quelques informations locales, la publication des échanges entre les empereurs d’Allemagne et de Russie avant la déclaration de guerre, un communiqué allemand daté du 12 août concernant la reprise de Mulhouse.
Le numéro du 19 août publie des avis des autorités, parle de choses et d’autres. « On ne sait toujours rien de ce qui se passe, même dans les environs immédiats. Tout ce que l’on voit, c’est qu’il y a dans notre ville délaissée par toutes les autorités de nouveaux mouvements de patrouilles allemandes et françaises. »
Le numéro suivant est daté du 24 août. Le journal s’excuse d’avoir interrompu sa publication faute de nouvelles. « Sans avoir grand’chose à offrir à nos lecteurs, nous reprenons aujourd’hui la publication du journal. » Un peu plus haut, « les nouvelles des théâtres de la guerre sont rares et contradictoires : celles du moins que l’on trouve dans les journaux suisses... » Un peu plus loin « L’HEURE DE PARIS – par ordre du commandement de la place, les horloges publiques ont été réglées samedi [22 août] à midi sur l’heure de Paris. LE DRAPEAU FRAN9AIS a été arboré hier à l’hôtel de ville. Les troupes lui ont rendu les honneurs militaires. » Entre-temps (le 19 août), les Français ont repris Mulhouse.
Le 25 août, le journal reprend des informations du « bulletin français ». Mais annonce aussi la « deuxième évacuation » de Mulhouse par les troupes françaises, sans en connaître les motivations.
Le 26 août « nous continuons à être tenus dans l’ignorance la plus complète des événements du théâtre de la guerre. » Des patrouilles cyclistes allemandes dans Mulhouse. Quelques informations reprises de journaux allemands et français. Informations au conditionnel sur l’ultimatum du Japon à l’Allemagne (de fait, le Japon est en guerre contre l’Allemagne depuis le 23 août).
Le 27 août, quelques informations éparses sur la guerre. « L’HEURE DE L’EUROPE CENTRALE est réintroduite ici depuis aujourd’hui. » Ce qu’on appellera la « deuxième bataille de Mulhouse » est terminée, les Allemands ont repris la ville.
Le journal essaye ensuite de rendre à nouveau compte de la situation à partir de dépêches des agences Wolff et Havas, d’informations provenant de sources suisses, de dépêches autrichiennes…
Le numéro du 2 septembre comprend plusieurs plages blanches, marques de la censure.
À partir du 5 septembre, le journal paraît sous l’intitulé « Express (Mülhauser Zeitung) ». Il est exclusivement en allemand.
Le 14 septembre, dans une adresse « à nos lecteurs », le journal annonce qu’il suspend sa parution. Les raisons exposées ne sont pas totalement explicites, il y est question de difficultés de mise en page aussi bien que de lenteur et d’accès aléatoire à l’information. Également, « la précarité de la situation postale exclut toute collaboration de nos correspondants et amis étrangers ».Mais on peut comprendre qu’il se saborde parce qu’il n’est plus en état d’informer correctement son lectorat.
C’est en effet à la difficulté d’informer que le journal est confronté depuis le début de la guerre. Parfois c’est l’impossibilité de paraître – plus d’électricité. Parfois c’est la coupure des canaux d’information, quand Mulhouse est prise dans la zone de combat. Mais c’est aussi la restriction de ce qu’il est permis de publier, la censure, l’injonction à se faire le relais de propagande de guerre. Et le journal a partagé avec son lectorat ses doutes et ses difficultés, au fil de ce premier mois et demi de guerre.
Le 2 janvier 1919 paraîtra le premier numéro de l’« Express de Mulhouse ».
On peut retrouver les numéros cités de l'Express sur le site Retronews de la Bibliothèque nationale : https://www.retronews.fr/
Sur l'histoire de Mulhouse et les deux batailles qui y ont eu lieu en 1914 :