Philippe Wannesson (avatar)

Philippe Wannesson

Blogueur et militant

Abonné·e de Mediapart

283 Billets

0 Édition

Billet de blog 18 septembre 2024

Philippe Wannesson (avatar)

Philippe Wannesson

Blogueur et militant

Abonné·e de Mediapart

Gauche : il est essentiel d’élargir la base populaire (et d’en prendre le temps)

Si la combinaison de la configuration des choix électoraux et du mode de scrutin ont donné au Nouveau Front Populaire le premier groupe à l’Assemblée, ne plus dépendre des choix du président et mener une politique de rupture nécessitent un ancrage populaire majoritaire. Il est à construire.

Philippe Wannesson (avatar)

Philippe Wannesson

Blogueur et militant

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Pour rappel, le Nouveau Front Populaire a rassemblé au premier tour des élections législatives (celui qui concerne l'ensemble des circonscriptions) 2024 un peu moins de 30% des voix, soit moins de 20% du corps électoral. C'est moins que le Rassemblement national. Ça signifie que les droites et l'extrême-droite représentent 70% des voix.

La première conséquence, celle qui est mise en lumière le plus souvent, est que même si le mode de scrutin a fait du groupe NFP le premier à l'Assemblée nationale, sa trop faible majorité relative laisse au président de la République une capacité d'initiative qui lui permet d'écarter la possibilité pour la gauche de former le gouvernement.

Mais ce résultat pose aussi, de manière moins liée à l'évènement et au mode de scrutin, la question de la capacité de la gauche à gouverner : si le Nouveau Front Populaire avait réussi à former un gouvernement, aurait-il été en capacité, en tenant compte des résistances auxquelles il aurait eu à faire face, de mener une politique de rupture, compte-tenu de son ancrage électoral minoritaire ?

En 1983, la gauche perd l'élection municipale de Dreux face à une liste d'union au second tour entre la droite et la Front national. Dans un article publié par le revue Hommes et Liberté, la maire socialiste sortante, Françoise Gaspard, explique notamment la gauche a surinvesti la mairie, délaissant les quartiers populaires, laissant le terrain libre à l'extrême-droite. Le constat de l'écart entre la gauche de gouvernement, et plus généralement de la gauche partidaire, mais aussi d'une part de la gauche associative, et les classes populaires, reste d'actualité quarante ans plus tard. Ce n'est pas faute que la question ne soit posée de manière récurrente. Ce qui veut dire que ce n'est pas une simple question conjoncturelle mais bien un phénomène social et politique de fond.

Il y a par ailleurs eu, en lien avec l'évolution vers la droite du Parti socialiste, une théorisation des liens à renforcer avec les classes moyennes au détriment des classes populaires. Mais ces théorisations par des think tanks proches du PS ne rencontrent-elles pas des césures à l'intérieur de la société ? Si une explication donnée au vote RN est une réaction d'une partie des classes populaires et moyennes blanches en voie de déclassement ou craignant le déclassement, qui marquent ainsi l'écart par rapport aux personnes qualifiées d'assistées ou perçues comme étrangères, ne retrouve-t-on pas le même type d'attitude de la part des classes moyennes et supérieures instruites (à fort capital culturel dirait Bourdieu), dont le savoir et par là le statut social sont disqualifiés dans la société néolibérale, cette fois vis-à-vis des classes populaires de manière générale ? On pourrait citer comme indices des discours assimilant vote populaire et vote RN, et l'expliquant par des considérations dépréciatives, difficulté à comprendre, difficulté à verbaliser certaines choses, isolement - ce qui existe bien sûr, mais pas seulement dans les classes populaires, et ce qui peut difficilement être considéré comme des caractéristiques intrinsèques des catégories populaires, votant RN ou pas. Il est donc possible - ce serait à approfondir - qu'il y ait de la part d'une partie des classes moyennes et supérieures instruites, votant plutôt à gauche, une tendance à creuser l'écart avec les classes populaires.

Et la gauche ne semble pas mener de réflexion sur la place des savoirs dans la société, leur valorisation, leur transmission. La question des savoir ne se résume pas à une politique d'éducation, et une politique d'éducation ne se résume pas à des questions de postes, de moyens matériels et de salaires.

On entend aussi que certaines parties de la population se seraient éloignées de la politique. Est-ce que ce n'est pas l'inverse ? Est-ce que ce ne sont pas les partis politiques qui se sont éloignés d'elles ? Si on se tourne vers l'époque du Front populaire, les années 30, non seulement les partis de gauche ont un nombre bien plus important d'adhérents, ce qui se reflète en terme de maillage du territoire, mais le Parti socialiste et le Parti communiste sont adossés à des syndicats, des organisations de jeunesse, des fédérations sportives, des sociétés de secours, des associations de femmes, etc. Cet environnement autour des partis a disparu - même si ces organisations existent toujours par ailleurs. Et certaines catégories de populations ne voient les partis politiques qu'au mieux au moment des élections, et sont ignorées par les politiques menées ou sont confrontées à leurs impacts négatifs. Ce sont bien les partis politiques qui se sont absentés, et les politiques menées qui ne reflètent pas leurs préoccupations et intérêts.

Mais plus fondamentalement, ces partis sont nés et se sont développés en lien avec l'auto-organisation de la classe ouvrière. Depuis, le monde du travail, les classes populaires ont évolué. Ce lien organique s'est distendu, voire a disparu. Et il n'est pas simple dans l'urgence itérative des campagnes électorales de renouer des liens avec des mouvements multiples qui ne sont pas spontanément en phase avec les partis politiques.

Un autre débat qui avait cours à gauche il y a une quarantaine d'année est celui entre partis politiques à l'américaine, centrés sur la promotion de candidats lors des périodes d'élection, opposés aux partis à l'européenne, porteurs d'un projet de transformation sociale dépassant le cadre des élections. Si cette opposition garde une certaine validité, la campagne des législatives 2024 a été clairement une campagne à l'américaine, mobilisant dans un temps court un ensemble de moyens de promotion des candidat.es du Nouveau Front Populaire. Mais de manière permanentes, des partis réduits en terme d'effectif et d'implantation territoriale utilisent de manière croissante les outils du markéting - ceux du monde marchand, du néolibéralisme - qui structurent donc leur rapport à la population, et qui ont pour finalité l'obtention par le récepteur ou la réceptrice d'un comportement déterminé - voter, adhérer, être présent.e à une manifestation. On est loin, en terme de qualité d'interaction, de la militante ou du militant qui est votre voisin.e ou votre collègue de travail, et qui est membre d'une section ou d'une cellule à l'échelle de la commune, voire du quartier ou de l'entreprise.

La place prise par les outils élaborés par les Gafam et leurs équivalents (comme Telegram) dans la communication interne et externe mérite aussi d'être interrogée, à la fois en ce qu'ils deviennent structurant des échanges et en ce qu'ils favorisent, par leur mode de fonctionnement, l'entre-soi. Et la multiplicité des sollicitations que nous recevons par ce biais nous laisse peu de temps, si nous y répondons, pour connaitre le territoire dans lequel nous vivons et y interagir autrement.

Or les disparités territoriales sont énormes entre des territoires où la gauche est majoritaire, et d'autres où elle fait des scores de l'ordre de 15% (donc moins de 10% de l'électorat), où les rares maires de gauche ne s'affichent plus comme tel, où elle peine à former des listes aux municipales dans les centres urbains, où l'extrême-droite a éventuellement remporté la circonscription. C'est dans ces environnements locaux très différents qu'il s'agit de retisser des liens, nécessairement dans le long terme. À charge pour les directions nationales de conforter ce travail.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.