Au-delà de l'éclatement de la Yougoslavie, les Balkans sont segmentés en une multitude sous-espaces par les politiques de l'Union européenne. Les migrations en sont un révélateur.
Le fleuve Evros marque la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, sauf à proximité d'Edirne, où le tracé de la frontière s'écarte du fleuve. Une clôture a édifiée sur ce segment. La surveillance des rives du fleuve a aussi été renforcée. Cette frontière a été le premier lieu d'action des RABITS, les brigades d'intervention rapide de l'agence européenne de surveillance des frontières, FRONTEX. Les témoignages de refoulement sont nombreux, c'est -à-dire que des exilés arrêtés du côté grec sont directement renvoyés en Turquie, sans examiner leur situation individuelle et leur éventuelle demande d'asile, ce qui est illégal en droit international.
Par un retour de balancier, le passage a repris par les iles grecques proches de la côte turque. Les patrouilles maritimes de Frontex avait pratiquement fait abandonner ce chemin, au profit de la frontière terrestre, nous voyons le mouvement inverse aujourd'hui. Là aussi les témoignages de refoulement vers les eaux territoriales turques sont nombreux.
Mais les iles grecques sont un piège. Pour les quitter, pour embarquer sur les bateaux qui font la liaison avec le continent, mes exilés ont besoin d'une obligation de quitter le territoire grec dans un délais de un mois, délivrée par la police, qui leur permet paradoxalement pendant un mois de circuler sur le territoire grec. Mais ils risquent pour ça un placement en rétention (durée maximale de 18 mois, qui peut depuis un décret récent être prolongée à l'infini par une « assignation à résidence en milieu fermé »), ou un enfermement plus ou moins long dans les cellules de garde-à-vue d'un commissariat, ou si les deux pleins une attente dans la rue jusqu'à ce que la police délivre le précieux papier. La situation est la même après avoir passé la frontière terrestre pour prendre le train ou le car vers Athènes.
La Grèce est elle-même un piège : procédures d'asile dysfonctionnelles, chaos créé par la crise, rafles et violences policières, violences d'extrême-droite et racisme, enfermement dans les centres de rétention qui se multiplient grâce aux financements européens, la question une fois entré est comment quitter le pays.
La Grèce fait partie de l'Espace Schengen, tout en n'ayant aucune frontière terrestre avec les autres pays qui en font partie. Les ports, côté grec et côté italien, sont sévèrement contrôlés, et la traversée par les ferries est devenue très difficile. On rencontre dans les ports de Patras et Igoumenitsa une situation très proche de celle de la côte française et belge face au Royaume-uni, par exemple à Calais. Reste la voie terrestre, à l'est par la Bulgarie et la Roumanie, qui ne font pas partie de l'Espace Schengen, à l'ouest par l'Albanie et la Macédoine puis d'autres États nés de l'ancienne Yougoslavie, avant de rentrer dans l'Espace Schengen par la Hongrie ou la Slovénie.
À l'exception de la Roumanie, aucun de ces pays n'a mis en place un système d'asile satisfaisant aux critères internationaux, en terme de conditions matérielles d'accueil, de procédures ou d'intégration des réfugiés.
La Bulgarie construit elle aussi une clôture à sa frontière avec la Turquie, et pratique elle aussi le refoulement des personnes entrées irrégulièrement sur son territoire. Pendant longtemps, la Grèce a été plus attrayante pour les exilés : plus riche, sa croissance économique reposait largement il y a dix ou quinze ans sur le travail au noir, il était donc possible d'y faire de petits boulots pour financer la suite du voyage. Aujourd'hui, de plus en plus d'exilés, notamment syriens, entrent en Bulgarie en venant de Turquie ou de Grèce.
La procédure d'asile est longue, opaque, aléatoire, et les droits des demandeurs sont mal garantis. Certains demandeurs sont maintenus en rétention, tandis que d'autres sont laissés à la rue. En cas d'obtention du statut de réfugié, les possibilités d'intégration sont très restreintes dans le plus petit pays de l'Union européenne. Une capacité d'accueil déjà insuffisante n'a pas permis de faire face à l'augmentation du nombre d'exilés, en particulier syriens, l'hébergement s'est fait sous tente en plein hiver ou dans des bâtiments insalubres ou inadaptés. Si des fonds européens peuvent être débloqués pour la construction de centres de rétention en Grèce, ça n'a semble-t-il pas été possible pour l'accueil de réfugiés en Bulgarie. Tout semble fait, au contraire, pour les décourager : clôtures et refoulement à la frontière, conditions indignes d'accueil, procédure d'asile non fonctionnelle.
Mais il ne suffit pas de quitter ces premiers pays pour continuer sa route et s'installer plus loin dans un autre. S'ils demandent l'asile, ils sont confrontés à la réglementation européenne qui détermine le seul et unique pays responsable de leur demande d'asile (le règlement Dublin III, qui a succédé le 1er janvier 2014 à Dublin II, qui avait remplacé Dublin, qui s'appliquent au pays de l'Union européenne, ainsi qu'à l'Islande, la Norvège et la Suisse). Le plus souvent il s'agit du pays d'entrée dans l'Union européenne, si les empreintes digitales ont été prises à l'occasion du franchissement irrégulier de la frontière, ou d'une demande d'asile, qui est parfois le seul moyen de sortir de rétention.
En raison des conditions qui y règnent, la plupart des pays européens ont cessé de renvoyer les demandeurs d'asile en Grèce, et l'HCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies) recommande de faire de même avec la Bulgarie. Mais passé ce premier obstacle, la Roumanie a un système d'asile compatible avec les standards internationaux, malgré des conditions d'accueil et d'hébergement un peu minimales, mais le pourcentage d'acceptation des demandes est faibles et les possibilités d'intégration très restreintes. Les violations des droits des demandeurs d'asile et des réfugiés en Hongrie sont de mieux en mieux documentées et une nouvelle législation aggrave les choses, permettant notamment de recourir très largement à l'enfermement. En Croatie, l'information et le respect des droits, la capacité de traitement des demandes, les conditions d'accueil et les possibilités d'intégration sont insuffisants. En Slovénie, le taux d'acceptation des demandes est faible tout comme les possibilités d'intégration. Toute une partie des exilés qui sont passés par les Balkans laissent pourtant des traces de leur passage dans ces pays, et y sont donc renvoyés s'ils demandent l'asile dans un autre pays européen.
À ce dispositif s'ajoutent des accords de réadmission, qui eux impliquent aussi les États non membres de l'Union européenne. Ainsi une personne venue de Serbie en situation irrégulière en Hongrie ou en Croatie pourra être renvoyée en Serbie, d'où elle pourra être renvoyée en Macédoine, et de là en Grèce. Sachant qu'aucun des États des Balkans occidentaux n'a mis en place de système d'asile fonctionnel, ni n'offre de possibilités réelles d'intégration.
Les frontières sont réelles à l'intérieur de la région, et demandent pour être franchies prise de risque et argent pour payer des passeurs. La Grèce fait partie de l'Espace Schengen, mais est isolée au bout de la péninsule. La Bulgarie, le Roumanie et la Croatie font partie de l'Union européenne, mais pas de l'Espace Schengen, les contrôles sont donc maintenus à leurs frontières. Les autres pays nés de l'éclatement de la Yougoslavie et l'Albanie forment autant d'États séparés.
Si on doit reprendre l'image de l'Europe forteresse, les Balkans constituent un enchevêtrement de glacis et de chicanes qui empêchent l'accès, où il est impossible de rester, et où on risque d'être renvoyé si on a laissé des traces de son passage.
Mais les Balkans sont aussi une région d'émigration, traitée comme telle par l'Union européenne. Les dernières restrictions au droit d'installation et à l'accès au marché du travail des ressortissants roumains et bulgares ont été levées le 1er janvier 2014, mais elles existent pour les ressortissants de la Croatie, qui est devenue membre de l'Union européenne le 1er juillet 2013.
La levée de l'obligation de visa de court séjour (moins de trois mois) pour les ressortissants des pays des Balkans occidentaux s'est faite moyennant une implication des autorités pour combattre les migrations de transit extra-européennes, mais aussi la mise en place d'obstacles à la sortie du territoire et de sanctions à l'encontre de leurs ressortissants susceptibles de venir demander l'asile « abusivement » dans l'Union européenne.
Dans les faits, entre 10% et 20% de la population des pays a émigré, souvent dans le reste de l'Europe, où elle est en situation régulière ou non. Ces politiques se focalisent donc sur la minorité visible des Rroms. Discriminés dans toute la région, ils sont entravés dans leur liberté de quitter les pays de Balkans occidentaux comme « faux demandeurs d'asile », puis marginalisés et souvent expulsés dans les pays d'Europe occidentale.
Vous pouvez suivre la question des exilés dans les Balkans sur