Depuis presque un quart de siècle, les compagnies de CRS, puis de manière croissante les escadrons de gendarmes mobiles, sont affectés par rotation principalement à Calais et selon les périodes dans d'autres endroits du littoral de la Manche et de la mer du Nord, à des tâches dites de sécurisation de la frontière. Il peut s’agir d’empêcher l’accès à certains lieux (comme les installations portuaires, le périmètre d’accès au tunnel sous la Manche, leurs voies d’accès), d’effectuer des contrôles au faciès et des arrestations dans la rue, les gares, les lieux de vie des exilé·es, qui peuvent prendre la proportion de rafles, d’évacuer et parfois de détruire ces lieux de vie. Ces tâches sont souvent répétitives et n’entraînent pas de changement visible de la situation. Elles s’accompagnent de manière banalisée de violences, d’humiliations, de destructions de tentes et d’effets personnels, et d’une déshumanisation des personnes racisées qui en sont la cible. Le sens et le cadre légal de l’action se perdent très largement.
La question qu’on est amené à se poser est qu’est-ce que ça fait aux unités de maintien de l’ordre d’être exposées pendant une période aussi longue, de manière répétitive, par séquences de quelques semaines, en terme de sens de leur mission, de rapport à la légalité, de perception des usagers et usagères du service public auxquelles elles confrontées, notamment lorsqu’ils et elles sont associé·es à l’illégalité, notamment lorsqu’ils et elles sont racisé·es.
Ou, lorsqu’on regarde les vidéos de Sainte-Soline, comment l’état d’esprit dans lequel se trouvent les gendarmes mobiles à ce moment-là s’est construit, et si l’exposition à la situation calaisienne a joué un rôle.
D’autre part, je ferais l’hypothèse que là où l’extrême-droite représente une partie importante de la population se constitue un « peuple d’extrême-droite » (comme on a pu parler de « peuple de gauche ») uni par des lieux communs, des attentes communes, des connivences, des signes de reconnaissance et d’identification, des références partagées.
Dans ce tissu de représentations, l’écologie est associée à deux choses. L’interdiction, l’empêchement de faire, ce qui fait entrave, énoncé dans un parti-pris victimaire. Et le désordre, le chaos, le bordel, voire l’émeute. Les images que les médias ont diffusé en 2023 sur Sainte-Soline ainsi que les propos de Darmanin qui les ont précédées et accompagnées viennent tout-à-fait alimenter cet imaginaire. Darmanin connaît le public auquel il s’adresse et sa communication est efficace.
À l’inverse, la gauche et les écologistes ne connaissent pas cette part croissante de la population. Au point, le cas échéant, d’emprunter pour s’adresser à elle le langage disponible sur le marché, celui de la droite et de l’extrême-droite : l’ordre, la sécurité, les étrangers, la répression.
S’il y a un travail urgent par rapport à l’extrême-droite, c’est de connaître et de se confronter à ce peuple qui vote pour elle. C’est incontournable si on veut retourner la population.