Si les exilés syriens ont souvent une conscience collective de leurs droits en tant que réfugiés, et ont organisé à Calais et ailleurs en Europe plusieurs mouvement revendictifs (voir ici), entre Syriens et en refusant le cas échéant le soutien des autres, ils ne sont pas les seuls à s'organiser pour mener une action publique.
Le 21 mai 2014, le préfet du Pas-de-Calais annonce l'évacuation prochaine de trois campements d'exilés à proximité du centre-ville, sous prétexte de galle et d'insalubrité. Les associations, qui en étaient restées aux promesses de Manuel Valls, en visite à Calais en décembre 2013, d'engager des diagnostics sur la situation des différents campements et d'expérimenter la création de "maisons des migrants", et avaient participé à des réunions de concertation avec les services de l'État, sont prises de court.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/05/20/que-va-dire-le-prefet/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/05/21/besson-le-petit/
Le samedi suivant, une réunion a lieu entre des membres des associations et des habitants des trois campements. Elle ne débouche sur rien de précis, mais les discussions se continuent dans les trois campements.
Le signal des expulsions est la distribution d'un traitement contre la gale (qui se fera dans des conditions particulièrement indignes), le lendemain, les habitant-e-s des campements doivent être emmenés en bus prendre une douche complémentaire du traitement, pendant que les campements seront rasés.
Dès a veille, au cours de la nuit du 26 au 27 mai, une partie des habitant-e-s des trois campements occupent le lieu aménagé pour la distribution des repas, d'autres les rejoindront la nuit suivante, tandis que les autres vont se cacher à la périphérie de la ville. Seule une poignée d'exilés sera encore là lorsque la police arrivera le 28 mai au petit matin pour les expulser.
La journée du 28 mai a alterné entre tension, lorsque la police a tenté d'entrer de force dans l'enceinte du lieu de distribution des repas, et négociation avec les autorités sous le repard des médias. Finalement, les autorités concèdent un délais pour quitter le lieu, le préfet leur conseille même sur France 3 d'aller squatter. Les exilés tentent de respecter l'accord et de quitter le lieu de distribution des repas, mais ils sont bloqués par la police. Ils s'installent donc sur place.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/05/29/le-prefet-dit-au-migrants-de-squatter/
Une vie collective s'organise, avec des assemblées générales quotidiennes, un nettoyage minutieux du lieu, des règles de vie communes. Le lieu est voulu par les exilé-e-s qui l'ont créé comme un lieu de lutte, un moyen de faire pression sur les autorités, pas comme un lieu où s'installer. Des revendications sont écrites, une manifestation organisée, qui prend le relais de celle du 31 mai organisée par les associations, à laquelle les exilé-e-s ont également participé. Un semblant de dialogue s'esquisse avec l'État, mais le représentant de la préfecture cesse bientôt de venir.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/05/30/ils-et-elles-sont-toujours-la/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/05/30/les-revendications-des-exiles/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/02/attente/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/02/exiles-de-calais-statu-quo/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/05/exiles-de-calais-nouveau-communique/
Mais des exilé-e-s arrivent chaque jour à Calais, et se rendent dans ce lieu qui est central. Ils et elles découvrent ce "camp" où l'on manque de tout. Leur accueil n'a pas été organisé par les personnes qui ont décidé de l'occupation, il n'y a pas de transmission de l'esprit collectif du début. Peu-à-peu l'organisation collective se délite.
Les exilés les plus déterminés entament une grève de la faim, qui est mal comprise et qui les coupe des autres. Elle s'arrêtera au bout d'une dizaine de jours, sans avoir obtenu de résultat.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/10/greve-de-la-faim/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/12/camp-qui-lutte-et-camp-qui-vit/
On peut écouter les interviews des portes-paroles des grévistes de la faim ici :
http://audioblog.arteradio.com/blog/3046334/Passeursdhospitalites?pageNumber=9
Mais nous sommes en juin, il fait beau, le lieu est proche du centre-ville, des bénévoles viennent à la rencontre des exilé-e-s en lutte, partagent des moments, des liens se tissent. Ce moment est un tournant dans la solidarité avec les exilés. À côté des prestations offertes par les associations traditionnelles, repas, vêtements, douches, qui comprennent souvent un aspect de gestion de foule à l'occasion des distributions, se développe toute une solidarité individuelle, faite autant de don que de rencontre humaine.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/21/un-instant-de-fete/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/22/le-week-end-des-arts/
http://audioblog.arteradio.com/post/3061139/l_atelier_dessin/
L'État tente de reprendre l'initiative. Il convoque les associations en préfecture. Puis le directeur général de l'OFPRA apparaît au lieu de distribution des repas, promettant une procédure d'asile accélérée et un hébergement rapide. Après un délais pour choisir, les personnes qui n'auront pas demandé l'asile seront expulsées du lieu.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/16/exiles-de-calais-la-suite/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/18/theatre-dombres/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/20/lost-in-translation/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/21/lofpra-sert-a-expulser-les-campements/
Le 27 juin, un huissier accompagné par la police affiche aux entrées du lieu de distribution des repas la saisine du tribunal administratif par la mairie de Calais pour obtenir l'expulsion. Des assemblées générales se remettent en place, les exilé-e-s confient leur défense à un avocat, mais les recours, y compris devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, sont perdus.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/27/chaos-a-calais/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/06/30/958/
L'expulsion a lieu le 2 juillet au matin. Trois squats sont évacuées au même moment. Au total, plus de 600 personnes sont raflées, parquées sur place une partie de journée. Les 200 premières envoyées en centre de rétention, les suivantes dans des commissariats de la région, les dernières simplement emmenées en bus et relâchées à Lille, Douai, Valenciennes, Paris... Les mineurs sont envoyés dans deux centres de vacances réquisitionnés pour l'occasion. Ils seront les premiers à revenir à Calais, puis les autres au fil des libérations des commissariats et des centres de rétention.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/07/02/expulsions-ce-matin-a-calais/
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/07/04/expulsions-a-calais-decriptage/
En réplique, les associations organisent une manifestation le 12 juillet, qui se termine par l'ouverture d'un vaste squat en centre-ville, l'Occupation Galou.
https://passeursdhospitalites.wordpress.com/2014/07/13/occupation-galou-j-1/
Assemblée générale au lieu de distribution des repas - photo Loup Blaster