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Billet de blog 6 mai 2023

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Enseignement professionnel : des annonces pas très « pro »

Les annonces sur le lycée professionnel du 4 mai à Saintes par Emmanuel Macron sont dans une logique strictement adéquationiste et d’employabilité complaisante pour les entreprises. Ces décisions sont aussi un énorme plan social pour les personnels des lycées professionnels.Tout cela témoigne d'une méconnaissance de la réalité de l'enseignement.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Après Ganges dans l’Hérault pour les mesures de revalorisation des enseignants, c’est à Saintes le jeudi 4 mai, qu’Emmanuel Macron, notre ministre de l’éducation, a détaillé sa réforme des lycées professionnels.

Au fait, il était accompagné d’un certain Pap Ndiaye… C’est probablement un chargé de mission ou un porte-parole, mais immanquablement, dès le lendemain, il vient dans les médias pour expliquer les décisions prises !

Il faut noter que M. Macron était également accompagné d’une ministre de l’enseignement professionnel à la double tutelle : éducation nationale et travail. Et la teneur des décisions montre bien que c’est surtout la deuxième affiliation qui est la plus importante. L’enjeu, c’est l’emploi, avant la dimension de culture générale !

Ce qui est visé, c’est l’adéquation (l’« appariement » diraient les économistes) entre le monde du travail et les formations. On notera aussi que, comme dans le monde des entreprises, les restructurations (à ce niveau, ne parlons pas de « réforme ») se font dans des délais très courts. Les décisions sont formulées le 4 mai et s’appliquent dès la prochaine rentrée scolaire.

Troisième roue du carrosse 

Quand on a un regard rétrospectif sur la massification scolaire, on constate que c’est la création du Bac Pro en 1985 qui a vraiment été décisive dans l’accès de plus de 80% d’une classe d’âge au niveau du Bac. Mais cette massification n’est pas une démocratisation. L’essentiel des élèves de Bac Pro sont issus des CSP ouvriers ou employés. Et ce bac n’a jamais eu le même statut que les autres et en particulier le bac général. L’accès à l’enseignement supérieur y est très faible et l’orientation est essentiellement une orientation par défaut. L’inégalité est très présente et ces ces mesures risquent de renforcer le séparatisme social

Même s’il s’agit d’un bac « professionnel », il ne faudrait pas oublier, pour autant, la dimension de culture générale que devrait avoir chaque baccalauréat. Et même dans la partie professionnelle, il importe aussi de donner une formation suffisamment générale pour permettre les adaptations et l’évolution des métiers. Or, la réforme présentée par Emmanuel Macron semble privilégier essentiellement l’adéquation immédiate aux besoins des employeurs.

Contrairement à certains discours, j’admets tout à fait que l’enseignement prépare AUSSI à la vie professionnelle. Mais ce qui est essentiel, c’est qu’il donne suffisamment de bases pour permettre l’adaptation et non, une préparation conforme qui, elle reste du domaine des entreprises. L’éducation n’est pas un « sanctuaire » coupé de l’économie, mais elle n’est pas non plus au service des entreprises.

Il est donc logique, selon moi, qu’on se pose la question de l’adéquation ou de l’obsolescence des formations. Mais cela ne peut se faire dans une vision court-termiste et cela suppose qu’on conserve une dimension prospective et surtout qu’on n'oublie pas, non plus, qu’on s’adresse à des jeunes de 15-16 ans dont le destin ne saurait être tracé une fois pour toutes.

« Nous visons d'abord l'intérêt des élèves"

C’est ce qu’a déclaré le porte-parole (pardon... le Ministre) lors de ses interviews. Mais l’intérêt est-il l’employabilité immédiate ? Et surtout, s’agit-il d’en faire une main d’œuvre exploitable et bon marché pour les entreprises ? Les élèves seront rémunérés par l’État, nous dit-on. Mais est-ce le rôle de l’État de financer des emplois qui seront directement productifs pour les employeurs ?

Par ailleurs, il faut rappeler la difficulté à trouver des stages pour des lycéens de plus en plus jeunes et corvéables à merci. Il est important de rappeler aussi les discriminations qui sont à l’œuvre dans l’accès à ces stages. Ces deux points sont un des angles morts de la réforme.

Un plan social

Dans une logique d’adéquation, il a été annoncé que certaines filières seraient supprimées car elles ne conduisaient pas à l’emploi. Et ce, dès la rentrée prochaine !

On peut imaginer les effets de ces annonces sur les décisions d’orientation en collège. Mais surtout dans l’organisation des lycées professionnels. Et en particulier pour les professeurs concernés : « les enseignants des filières supprimées peuvent se diriger vers le professorat des écoles ou les collèges», a expliqué Pap Ndiaye dans une interview de S.A.V.

Même si un certain nombre de suppressions étaient déjà connues et prévues, annoncer maintenant des fermetures de formations en LP pour la rentrée 2023, et affirmer que les professeurs concernés peuvent enseigner à l'école ou au collège, ce n'est ni sérieux, ni respectueux des personnels.

Cela nous renvoie à une vision d’un enseignant interchangeable, qui était déjà présente dans les annonces sur les remplacements et sur les prétendues revalorisations. Et pour qui on pense que la promesse d’une « prime » permettra d’accepter de nouvelles missions ?

Est-il besoin de rappeler que passer d’un niveau d’enseignement à un autre ne s’improvise pas ? De fait, avec de telles annonces, on place les enseignants (et leurs élèves) en insécurité.

Illustration 1

On est encore confronté à une vision technocratique et managériale de l’enseignement. Cela montre surtout que nos prétendus « décideurs » ont une approche complètement biaisée des problématiques de l’enseignement et une méconnaissance de la réalité du terrain.

On instrumentalise ces questions au profit d’un agenda politique qui n’a rien à voir avec les enjeux, tout en méprisant le dialogue social. Comme je ne cesse de le dire : le temps de l’éducation n’est pas celui du politique.

PhW le 6 mai 2023

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