Philippe Watrelot (avatar)

Philippe Watrelot

Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique,

Abonné·e de Mediapart

43 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 janvier 2024

Philippe Watrelot (avatar)

Philippe Watrelot

Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique,

Abonné·e de Mediapart

Macron et l’École : machins infaisables et trucs déjà faits

Je n’ai pas pu entendre en direct la conférence de presse du Proviseur de la République. Mais quand je suis revenu, j’ai eu l’impression d’avoir fait  un voyage dans le temps.. Le temps de l’ORTF, du service militaire, des leçons de morale et des blouses grises… Sur l’École, les annonces ont cumulé machins infaisables et trucs déjà faits. Un peu de fact checkings‘impose.

Philippe Watrelot (avatar)

Philippe Watrelot

Ancien professeur de Sciences économiques et sociales, formateur, militant pédagogique,

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Un voyage dans le temps mais aussi sur une autre planète. Nous vivons en 2024 sur une planète en surchauffe, avec deux conflits majeurs à nos portes, des élections sur tout le globe qui vont concerner quatre milliards d"individu et qui risquent de transformer le monde et … on commence une conférence de presse en parlant de l’uniforme ?

Dans quel monde vit ce Président qui s’auto-intoxique dans ses certitudes et ses formules creuses pour ne pas prendre conscience de la réalité du monde et de la société ?

Par exemple, son analyse des émeutes de juin était lunaire : comment peut-on les réduire à un problème d’«écrans » et de perte d’autorité et n’apporter qu’une réponse sécuritaire et de stigmatisation des « parents défaillants » à ce qui est surtout un problème social et d’inégalités ?

Macron et l’École : une « vieille » histoire

Dans ce slogan creux de « réarmement civique » destiné à plaire à un électorat âgé et de droite, l’École a évidemment une place importante. Il l’a déjà évoquée à plusieurs reprises.

En 2022, il avait fait une conférence devant les recteurs laissant Pap Ndiaye spectateur de ses annonces. Dans son allocution présidentielle du lundi 17 avril 2023, il avait mentionné l’Education nationale l’un des principaux chantiers qu’il fixait pour les « cent jours » à venir.

En aout 2023, dans une longue interview au Point, il y avait consacré également plusieurs pages.

Bien plus que cent jours après, avec un ministre de l’éducation devenu premier ministre qui y est resté cinq mois (pour quel bilan ?) et avec une ministre déjà démonétisée après ses mensonges, il a de nouveau fait, ce mardi 16 janvier 2024,  des annonces qui fleurent bon la nostalgie conservatrice d’une école mythifiée . Des annonces qui sentent aussi le réchauffé.

Fact checking

Comme souvent, avec  les discours sur l’École, les serpents de mer et autres lubies conservatrices ne sont pas en voie d’extinction. On utilise aussi les bonnes vieilles ficelles de la communication et de la gesticulation politique. L’usage du « retour » (de l’autorité, de l’exigence, de l’uniforme, de la République, des frites à la cantine ?…) est un grand classique. Cela flatte le conservatisme et ça laisse évidemment entendre que cela a été perdu et négligé par ceux qui ont précédé. L’usage du mot « exigence » est à cet égard un bel artifice rhétorique puisqu’on dénie aux autres qu’ils en fassent preuve.

Une autre astuce de communication est de présenter des choses déjà existantes ou qui ont déjà été annoncées. On peut penser que c’est la preuve d’une méconnaissance de la réalité du terrain ou on peut faire l’hypothèse que c’est un pari sur la mémoire de poisson rouge de l’opinion publique. Heureusement le fact checking existe, et il existe quelques experts de l’École sur les réseaux sociaux et chez les journalistes spécialisés. Reste à savoir s’ils sont entendus !

 Le fact checking doit aussi s’appliquer pour ce que j’ai appelé les « machins infaisables » (du moins rapidement). C’est un des fantasmes des politiques que de penser qu’il suffit de dire « je veux » pour que ça se fasse. Gabriel Attal y a beaucoup succombé et a donné l’illusion de “faire” alors qu’il ne faisait que “dire”.

Pourquoi serait-ce "infaisable" ?

D’abord parce qu’il faut des moyens. Dans l’Éducation Nationale, ça veut dire des heures et des postes. Or, ceux-ci ont déjà été attribués. Dans le jargon, on appelle ça la dotation horaire globale (DHG) et c’est l’objet de discussions dans tous les établissements. Un bon exemple est donné par les fameux "groupes de niveaux" qui sont non seulement une aberration pédagogique mais aussi un cauchemar organisationnel gourmand en postes. 

Ensuite parce qu’il faut du temps. On ne met pas en place un dispositif par un claquement de doigts. C’est un mépris des personnels et de la concertation. Cela nous permet de rappeler une évidence : le temps de l’école n’est pas celui du politique !

Enfin, il faut que ce soit socialement acceptable. Quand on parle de l’uniforme ou du SNU, on peut complaire à une partie de l’opinion mais encore faut-il que les jeunes et leurs familles (qui sont aussi des électeurs potentiels) y adhérent. Ce qui est loin d’être évident

Reprenons les principales annonces et passons les au tamis de cette grille d’analyse...

Les trucs déjà faits

  • L’instruction civique: le doublement de l’horaire d’EMC (enseignement moral et civique) a été annoncé par Pap Ndiaye il y a quelques mois (en juin dernier) et les programmes sont déjà en train d'être refondus. La seule "nouveauté" c'est que le Proviseur de la République acte le mot "Instruction'' à la place d'enseignement. Rappelons que l’instruction civique a été mise en œuvre en 1882. Sous Vichy, elle s’est appelée « éducation morale et patriotique » et est redevenue « instruction morale et civique » en 1944. Elle est supprimée en 1969 puis revient en « éducation civique » au collège en 1985 et en « éducation civique, juridique et sociale » (ECJS) au lycée. En 2008, l'« instruction civique et morale » apparaît dans les programmes du primaire avant d’être remplacée et étendue au collège et au lycée en 2015 par l’« enseignement moral et civique » (EMC). Parler d’instruction n’est pas neutre. Plutôt que de faire vivre les valeurs de la République on veut les inculquer !
  • l'apprentissage de la marseillaise est au programme et enseignée à l'école primaire . Elle est au programme depuis 1985. Il faut aussi relire la loi d'orientation de juillet 2013: « l'éducation morale et civique qui comprend, pour permettre l'exercice de la citoyenneté, l'apprentissage des valeurs et symboles de la République et de l'Union européenne, notamment de l'hymne national et de son histoire. »
  • L ‘éducation artistique L’histoire des arts est un des objets de l’épreuve orale du diplôme national du Brevet depuis 2009. Et cela fait trente ans qu’on enseigne l’histoire des arts
  • La remise de diplômes du DNB est une obligation. Elle a été mise en place lors de la réforme du collège de Najat Vallaud-Belkacem. Alors que les élèves sont partis en lycée, les Conseillers d’éducation (CPE), à partir des listes, les invitent à revenir dans leurs collèges pour une petite cérémonie à laquelle les jeunes participent bien volontiers ! Pour le savoir, il suffit d'aller un peu sur le terrain...!
  • l'aide aux devoirs est déjà sur les rails et existait même avant le dispositif « devoirs faits ». C’est bien de le généraliser mais encore faudrait-il que ce soit avec des moyens dédiés et pas en déshabillant une discipline...

Les "machins" irréalisables

  • La réforme de la formation n’est pas, en soi, irréalisable. L’ancien formateur durant seize ans en IUFM/ESPÉ/ INSPÉ peut témoigner que la formation initiale des enseignants n’a cessé d’être réformée. Mais le maintien des difficultés demande qu’on ne se rate pas et qu’on évite la précipitation. Or, là aussi, le Proviseur de la République veut aller vite et en s’appuyant en plus sur de fausses évidences nostalgiques (recrutement des professeurs des écoles au niveau du bac et retour aux écoles normales ?).
    Il faut du temps pour de la concertation et penser la formation initiale dans une logique plus globale d’attractivité en lien avec le système de mutation et une vraie revalorisation. On ne fait pas ça en quelques mois !
  • les cours de théâtre : Emmanuel Macron souhaite la généralisation des cours de théâtre. Fort bien ! c’est en effet un des outils pour améliorer l’expression orale et la confiance en soi. Rappelons que le théâtre est déjà étudié dans les cours de français. Tous les élèves ont entendu parler de Molière Racine ou même d’auteurs contemporains. Et cela donne aussi lieu à des saynètes en cours. Il ya aussi des options Théâtre (et cinéma audio-visuel) dans les lycées De même des ateliers facultatifs existent dans de très nombreux foyers péri-scolaires animés par des professeurs volontaires
    Mais si on veut généraliser la pratique du théâtre, il en va de même que pour les 30 minutes d’activité physique ou l’orientation, la même question se pose : avec quels moyens ?
  • l'extension du SNU (service national universel): C’est la grande marotte du président qui en a fait une de ses rares promesses sur l’éducation en 2022. La mise en œuvre de ce machin, après de nombreuses hésitations et voltes-faces était déjà plus ou moins prévue. Dans les annonces du ministre Attal, on avait proposé de placer le SNU dans la première quinzaine de juin en parallèle avec des stages en entreprise (qui existaient déjà en Troisième). Si on généralise cela va alors rentrer en conflit avec ces stages (qui pourraient disparaitre ?). Au passage, cette généralisation couterait 2 Mds d’euros (alors que Macron dit qu’il faudrait faire des économies). On peut aussi se poser la question de l’obligation pour des élèves étrangers et du sort réservé à ceux qui seraient objecteurs. C’est loin d’être simple
  • la tenue unique : Macron a annoncé qu’il était favorable à son extension si l’expérimentation (de deux ans) était concluante. Il est déjà coutumier de la prise de décision avant la fin de l’évaluation. C’est ce qui s’est produit avec les écoles innovantes à Marseille ! on peut donc avoir des doutes sur la validité de l’étude.
    Pour l’instant, les tenues seraient financées par l’État et les collectivités territoriales candidates. Mais ensuite le coût serait à la charge des familles. On peut discuter longtemps des arguments pour ou contre l’uniforme, ce sera l’objet d’un autre texte. Mais quoi qu’il en soit, on peut se poser la question de l’acceptabilité par les familles et surtout par les premiers intéressés. On attend les manifs des lycéens !

***

J’aurais pu titrer de bien d’autres manières ce court texte. J’aurais pu évoquer « une école qui sent le moisi » ou « une école de la sélection » avec la fin programmée du collège unique et le tri social qui est à l’œuvre. J’ai déjà écrit de nombreux texte sur ce thème

Je voudrais terminer sur ce qu’il n’a pas dit. Pourtant l’occasion lui était donnée avec l’actualité de la polémique avec sa nouvelle ministre de l’Éducation (à qui il a renouvelé sa confiance). A aucun moment, il n’a évoqué la question de la ségrégation (voire du séparatisme) social et scolaire renforcé par le choix du privé.

La question de la mixité sociale, condition du "vivre ensemble" et nécessaire pour éviter la prochaine explosion sociale, était la grande absente de ce voyage dans le temps des blouses grises et des leçons de morale...

PhW le 17 janvier 2024

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.