De bonnes raisons d’être contre, mais…
Beaucoup a déjà été écrit sur cette réforme impulsée par Emmanuel Macron, qui fantasme sur « les écoles normales du XXIème siècle ». On pointe à juste titre un calendrier démentiel, emblématique de la « fast-politique » qui frappe le domaine de l’éducation et qui méprise les personnels. Comment préparer sérieusement des contenus de formation dans ces conditions ? Comment impliquer les différentes parties prenantes ?
Sur ce point, on sent bien que ce n’est pas la préoccupation du pouvoir. Les délais le prouvent mais aussi la gouvernance qui se met en place. De fait, il s’agit pour le Ministère de reprendre la main sur la formation en marginalisant (et à terme en faisant disparaitre), les INSPÉ et leurs formateurs. C’est une remise en cause du long mouvement d’« universitarisation » de la formation des enseignants.
On va assister à une superposition de différentes structures. Pour reprendre une expression de Marie-Christine Corbier dans Les Échos, c'est une sorte de ménage à trois, voire à quatre, qui se prépare. Par exemple, une licence préparatoire au professorat des écoles pourrait être portée par une composante non universitaire (les fameuses écoles normales ENSP), tout en étant accueillie dans l'université dans laquelle évoluent pour l’instant les INSPÉ. S'y ajoute un potentiel quatrième acteur, dans la mesure où les ENSP pourraient être pilotées par un conseil national de la formation initiale, présidé par les ministères de l'Education nationale et de l'Enseignement supérieur, et chargé de définir les objectifs nationaux et les maquettes. Une vraie usine à gaz dont la structure illisible et l’improvisation seront cause de souffrances pour les personnels et les futurs enseignants. Je peux en témoigner pour avoir subi un très grand nombre de réformes et de changement de « maquettes » durant seize ans passés (en temps partagé) à l’IUFM/ESPÉ/INSPÉ !
Enfin, même si on prévoit de payer les étudiants et stagiaires (ce qui, de fait, était déjà le cas pour la réforme actuelle) cette réforme va se faire à moyens constants. Les universités vont devoir créer sans moyens supplémentaires ces licences prévues sans aucun respect pour leur autonomie. Une meilleure formation supposerait des moyens et du temps qu’on refuse aux enseignants
Pour finir, on peut également émettre des doutes sur les effets de cette réforme sur l’attractivité du métier. Celle ci est multi-factorielle. C’est à la fois une question de rémunération, de conditions de travail et d’évolution de carrière, d’image du métier et ... de formation
On vient d’énumérer de nombreuses raisons de se mobiliser pour exiger au minimum un report de la réforme et plus largement du temps pour remettre en chantier ce dossier.
Mais pendant ce temps là...
Enseigner est un métier qui s’apprend
Pendant ce temps là, on voit fleurir de nombreuses tribunes s’alarmant de la place du concours en fin de L3, de la baisse du niveau académique qui en résulterait ou encore du fait que le concours (par exemple en Histoire-Géographie) porterait sur les programmes du secondaire. Certains points de vue remettent en question l’idée même de pédagogie et d’une formation collective.
Je dois dire que je suis surpris que ce genre de débat existe encore...
Je me retrouve 12 ans en arrière quand je participais aux "Assises de la refondation" durant l'été 2012 sous la houlette de Vincent Peillon. J'étais dans l'atelier consacré à la formation.
Il y avait alors un consensus sur le principe que « enseigner est un métier qui s'apprend ». Et qu'il fallait donc du temps pour le faire. A ce moment là, sauf erreur, on passait le concours durant la 4èmeannée après le bac. Il fallait une licence pour le passer.
Que je sache, à l'époque, on ne s'indignait pas du "niveau" trop faible de la formation académique. Il faut rappeler que le fait d'avoir un M2 complet pour prétendre passer les concours de recrutement ne date que d'il y a trois ans... (en fait deux ans + une année de transition).
En 2012, la proposition que je portais avec beaucoup de collectifs c'était un concours en fin de L3 avec deux ans de formation qui aboutissait donc à une diplomation de niveau M2 à l'issue du parcours de formation. Un peu comme dans les écoles d'ingénieurs où ce qui compte c'est le diplôme à la fin
Ce n'est quand même pas compliqué de distinguer Diplôme d'entrée et diplôme de sortie ou de comprendre la différence entre niveau de recrutement et niveau se formation !
Même si j’ai énuméré les raisons pour rejeter la réforme en l’état, je me réjouis que cette architecture soit retenue aujourd'hui. Le fait de payer les étudiants et les stagiaires va aussi dans le bon sens et peut permettre non seulement d'attirer des candidats mais aussi d'élargir socialement le recrutement.
Plusieurs syndicats s'opposaient à cette architecture évoquée plus haut pensant qu'il fallait avoir un niveau de recrutement le plus haut possible pour garantir le niveau de rémunération.12 ans après, on en voit le résultat. Cette course à l'échalote au diplôme le plus élevé n'a pas empêché la dévalorisation et la faible attractivité.
Au delà de cette fausse piste, il y a aussi et toujours les mêmes vieux débats rances qui, implicitement remettent en question la profesionnalité enseignante et qui considèrent qu'il suffit d'être savant pour être un bon professeur. Ce raisonnement sans nuance qui oppose le pédagogique et l'académique est délétère.
Il faut d'abord rappeler que cette formation académique (et avec une dimension didactique) doit se poursuivre durant les deux années de formation.
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En enseignant les sciences économiques et sociales, je ne me suis jamais considéré comme un "économiste", un "sociologue" ou un "politiste". Ce dont on a besoin pour enseigner ce sont bien sûr de solides connaissances académiques. Et à cet égard la maîtrise très approfondie des programmes du secondaire et des débats théoriques qui s'y rattache est une bonne base. On a besoin aussi d'une réflexion sur l'épistémologie des disciplines savantes et de la didactique de la discipline scolaire (ce n'est pas la même chose). C'est une garantie pour ne pas être un simple perroquet des instructions officielles. Mais on a aussi besoin d'avoir une connaissance des mécanismes d'apprentissage et une réflexion sur les dynamiques collectives, la gestion de classe et la pédagogie.
Ces compétences là sont tout aussi importantes et complémentaires et ne peuvent être opposées aux fameux « savoirs savants ».
Je croyais ces débats dépassés. Il est désolant de constater qu'il n'en est rien, même si ça me donne l'impression de rajeunir...
Philippe Watrelot