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Billet de blog 18 juin 2023

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Et si Madame Falempin exerçait d'abord un métier ?

Dans la dernière campagne de com’ de l’Éducation Nationale, un spot se déroule dans un hôpital. Une femme est sur un brancard. Une médecin arrive et se rend compte que c’est Mme Falempin, prof de SVT qui lui a donné envie de poursuivre ses études. Le clip se termine ainsi : « Un professeur ça change la vie pour toute la vie ! » Mais Mme Falempin exerce un métier, pas une « mission » ni une vocation !

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Illustration 1

La scène est très bien jouée et provoque de l’émotion. Cette campagne de communication est destinée à redorer l’image des enseignants et appelle par ailleurs à ce que chacun évoque un.e professeur.e qui a « changé sa vie » (merci JJ Goldman…)

C’est beau, c’est émouvant, mais cette campagne de publicité cumule tous les poncifs et les travers de communication sur les enseignants. On y insiste sur la « mission » des enseignants.

On retrouve ainsi tout le lexique religieux souvent associé à cette profession : « sacerdoce », « vocation », « mission » (et son inverse : « dé-mission »). Et cette vision quasi-mystique a pendant longtemps servi à justifier leur faible rémunération et leur mode de recrutement. A quoi bon bien payer un moine ou une bonne sœur ?

Mme Falempin a peut-être changé le destin de certains de ses élèves et c’est tant mieux, pour eux et pour elle. Mais elle exerce avant tout un métier. La reconnaissance de ses élèves ou même celle, bien faible, de l’institution à travers cette vidéo, ça ne remplit pas le frigo !

Il faudrait vraiment qu’on puisse sortir de cette image complètement biaisée de la « mission ». Certes, c’est important de donner du sens au métier que l’on exerce. Mais cela ne doit pas faire oublier que l’attractivité d’une profession réside dans la combinaison de plusieurs éléments : la rémunération bien sûr, mais aussi la formation et la reconnaissance des compétences nécessaires, les conditions de travail, le pouvoir d’agir et les possibilités d’évolution.

Sur tous ces points, le compte n’y est pas. Le pouvoir d’achat a baissé et la revalorisation est une entourloupe. La formation et le statut sont remis en question. Les conditions de travail se dégradent, l’infantilisation, l’individualisation et le poids de la hiérarchie s’additionnent pour limiter le pouvoir d’agir des enseignants et leur expertise. Les possibilités d’évolution, elles aussi, sont très faibles.  Comme le disait une formule trouvée sur les réseaux sociaux : l’éducation nationale c’est comme certains couples, rien ne va plus mais on reste pour les enfants !
Mais le sens du service public a tendance à s'émousser face à cette maltraitance.

La période actuelle ne fait que renforcer les évolutions néfastes du métier : contractualisation, précarité, individualisation et même compétition entre collègues au détriment du collectif. Le Pacte risque d’accentuer les inégalités entre enseignants, créer du conflit et du ressentiment. La contractualisation outre qu'elle délégitime la formation aboutit chez certains enseignants  à se tromper de cible et mal accueillir ceux qui acceptent ces « jobs » précaires... Ceux qu’il faut blâmer, ce sont ceux qui sont responsables de cette politique.

Ce ne sont pas ces belles paroles ou cette revalorisation en trompe l’œil qui vont renverser la tendance et agir positivement sur l’attractivité et le moral des enseignants. Cela se mesure par le nombre très faible d’inscriptions aux concours enseignants et par l’augmentation du taux d’attrition c’est-à-dire les démissions d’enseignants. Mais plus largement, on risque de voir une vague de démobilisation, de démissions silencieuses («quiet quitting») et de cynisme généralisé.

Certes Mme Falempin n'a sûrement pas choisi ce métier par hasard, mais elle en a plein le dos, est en souffrance (comme tous les profs) et elle risque de baisser les bras devant la manière dont on traite les enseignants aujourd’hui…

Philippe Watrelot, le 18 juin 2023

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