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Billet de blog 19 avril 2025

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Bayrou, les 40 millards et l'École

40 milliards… c’est le montant des économies à trouver dans la loi de finances 2026, selon François Bayrou. Peut-on croire que l’Éducation Nationale, avec ses plus de 60 milliards de budget, échappe à ce coup de rabot ? Il y a déjà de nombreuses pistes que les précédents gouvernements ont commencé à explorer. Et cette contrainte budgétaire va peser aussi sur les quelques réformes enclenchées.

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Illustration 1

Mardi 15 avril 2024, les journalistes sont convoqués à une conférence de presse avec pour slogan « la vérité permet d’agir ». C’est le Premier Ministre qui va y prendre la parole, accompagné par les ministres de l’économie et du budget. Ce qu’il faut en retenir pourrait se limiter à un chiffre : 40 milliards. C’est le montant des économies que l’État devra réaliser, voilà pour la « vérité » bien discutable de cette matinée.  Pour l’ « action », on verra plus tard…

TINA ?

En fait, le chiffre de 40 milliards était déjà connu depuis dimanche puisque le ministre de l'Economie, Eric Lombard, avait affirmé sur BFM TV que l'objectif de déficit de 4,6% du PIB en 2026 exigeait « 40 milliards d'euros d'efforts supplémentaires ». Le discours de F. Bayrou rajoute donc un degré dans la dramatisation de la situation pour préparer les esprits aux sacrifices à venir. Mais comme l’immobilisme et la pusillanimité du (toujours) maire de Pau sont bien connus, il a tout de suite annoncé que les « grandes orientations » et les « grands choix » du budget 2026 seront « proposés » avant le 14 juillet, lors d’une conférence de presse. Sera-t-il encore chef du gouvernement à ce moment là ?

Pour redresser un budget, il y a trois moyens qui peuvent se combiner. On peut d'abord parier et agir sur la croissance qui, mécaniquement, aboutit à une augmentation des recettes et une baisse de certaines dépenses sociales. Mais il est vrai que les perspectives économiques avec l’action de Dingo (Donald)Trump laissent peu d’espoir de ce côté-là. On peut aussi agir sur les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations) et leur répartition.  Mais François Bayrou a simplement exclu « d'augmenter les prélèvements » car c'est « intenable ». On se retrouve donc avec un thatcherien TINA (there is no altenative) et un refus d’envisager d’autres pistes que les coupes budgétaires.

On va donc procéder à des coups de rabot et des annulations de crédit. Même si, parmi les orientations qu’il met en avant figure aussi « la refondation de l’action publique » via « une véritable remise à plat des missions et des budgets de nos administrations ».

La Ministre de l’Éducation Nationale, ancienne premier ministre, a certes du poids politique. François Bayrou, lui, même a, à plusieurs reprises, montré son attachement à l’Éducation Nationale. On ne sait pas encore quelle part des 40 Milliards ira à l'Etat, aux collectivités territoriales et à la Sécurité Sociale Mais, il est difficile de penser qu’aucun effort ne sera demandé à l'Education nationale.
Si on raisonne en proportion on peut faire l’hypothèse d’au moins 2 milliards à rendre en 2025 pour le MEN. On peut redouter de nouveau le gel d’un certain nombre de dépenses et l’annulation de crédits non consommés (c’était 600 millions en 2023).

Feuille de route ?

Comme le budget de l’enseignement scolaire est composé quasi exclusivement de salaires, on peut aussi raisonner en équivalents postes. En gros, 1 milliard, c’est 20 000 postes (et vice-versa).

Selon une des dernières notes de la DEPP, la baisse démographique devrait se poursuivre principalement dans le 1er degré. Pour l’instant, cette baisse attendue représenterait une « économie » de moins de 5000 postes. Alors que par ailleurs, comme nous l’avons déjà rappelé dans un précédent texte, nous sommes un des pays où le taux d’encadrement est le plus faible.
Rappelons aussi que, si les 4.000 postes d'enseignants qui devaient être supprimés dans la version du projet de loi de finances de l'automne 2024 ne l’ont pas été, cela s’est fait à budget constant pour l'Education nationale . Petit tour de passe-passe.

Si le gouvernement veut réduire de manière plus drastique le nombre de postes (objectif : de 20 à 40 000 postes ?), il va falloir passer par des mesures plus radicales comme la suppression de certains dispositifs et réformes. Le fameux « choc des savoirs » cher à Gabriel Attal est très gourmand en dédoublements. Il a déjà été bien réduit, il peut l’être encore.
On peut aussi aller plus loin.

Un rapport d’avril 2024 de l’Inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’éducation nationale prévoit un plan massif d’économies et d’« optimisations » au prétexte de la baisse démographique. Il risque de servir de feuille de route pour l’année à venir

Ce rapport prévoit trois “approches” pour faire des économies (et donc réduire les postes) :

  • "rationaliser" les taux d'encadrement : on recherche et ferme les classes qui ont moins d'élèves que le taux moyen. On peut raffiner en pondérant avec l’IPS. Cela rendrait 4500 emplois (dont 600 dans le 1er degré) .
  • relever les taux de dédoublement de certaines classes du primaire (REP et REP+). Les auteurs du rapport calculent qu’au lieu de 12 actuellement, le porter à 17 élèves / classe rendrait 2500 emplois dans le 1er degré.
  • revoir le maillage territorial des écoles et établissements : on ferme les structures trop petites en prenant en compte le temps de transport. On récupère ainsi 5000 emplois.

Pour le second degré, dans le prolongement des recommandations de la Cour des Comptes, on peut là aussi réduire les dédoublements. Il est aussi possible de “rationaliser” (ie “réduire”) les options et autres enseignements facultatifs.

Ce qui risque d'arriver avec l'annonce de 40 Mds d'économies c'est combiner tout cela en une année. On récupèrerait alors autour de 20 000 postes (rappelez vous, ça fait 1 milliard…). Ce serait une saignée plus importante que ce que nous avons connu sous Sarkozy…

Salaires, postes et formation

Si on poursuit donc le raisonnement de la recherche d’économies, on peut aussi s’intéresser à l’embryon de « revalorisation » des salaires. S’il est difficile de revenir en arrière sur certaines augmentations, d’autres promesses peuvent être gélées. On risque d’assister à la fin du « Pacte » qui rémunérait les missions complémentaires des enseignants. D’une manière générale, la logique est toujours la même : faire travailler plus sans gagner plus…

Signalons que la démographie, encore elle, joue là aussi un effet dans les décisions à venir  La pyramide des âges dans le plus gros corps de la fonction publique est déjà « particulièrement vieillissante » et les projections laissent à voir une dégradation sur au moins les deux prochaines décennies, au point que la Cour des Comptes qualifie la situation de l’éducation nationale « d’inquiétante ».

D’un côté, le bas de pyramide s’est atrophié du fait de la forte contraction des recrutements dans les années 2000-2010. A l’autre extrémité, la part des enseignants plus âgés ne cesse d’augmenter sous l’effet des réformes des retraites qui ont affecté les enseignants de manière « plus marquée » que d’autres catégories de la fonction publique d’Etat. Ce vieillissement a deux effets. D’abord, avec le « glissement vieillesse technicité » (GVT) les traitements des enseignants sont plus coûteux et n’incitent pas à procéder à de nouvelles augmentations Ensuite, ces enseignants nombreux, recrutés dans les années 80-90, vont prendre leur retraite. 330 000 enseignants partiront à la retraite à l’horizon 2030. Il est tentant de ne pas les remplacer poste pour poste comme le montre la gestion malthusienne des postes offerts au concours. Ce peut être aussi l’occasion pour l'État employeur, de recruter avec des statuts plus précaires.

Dans cette perspective, on peut avoir des craintes pour la réforme de la formation qui vient d’être mise sur les rails avec la publication le 19 avril 2025 des principaux textes organisant la réforme et les concours. Hormis le fait de (re)placer le concours en fin de L3, l’un des dispositifs majeurs de cette réforme est de rétribuer les étudiants lauréats du concours pendant leurs deux années de formation. Cela représenterait à peu près 500 millions par an. Cette rémunération est sinon attractive, du moins correcte. Mais dans le contexte budgétaire actuel, le risque est grand de voir l’Éducation nationale faire des économies et d'« exploiter » les étudiants-profs en augmentant leur temps devant élèves au détriment de la formation. Et de l’attractivité

Hors postes, hors pistes…

 On peut aussi évoquer d’autres pistes d’économies qui ont été évoquées au cours de cette dernière année.

Il y a d’abord le fameux SNU. Ce grand bazar a un coût de fonctionnement estimé  à 5 milliards par an. Ce dispositif démagogique, dénoncé par toutes les oppositions pour son coût et son manque d'efficacité, a vu ses crédits diminuer. Mais il résiste encore à une suppression pure et simple. Pourtant voilà une source d’économie qui serait la bienvenue, tout comme la tout aussi démagogique expérimentation de l’uniforme…

On a assisté aussi à la remise en question du Pass culture. Ce sont 25 millions qui ont été supprimés alors que l’enjeu de lutter contre les inégalités d’accès à la culture est essentiel

Une autre piste est la tentation de faire reposer une partie du coût de l’éducation sur les collectivités territoriales. La Cour des Comptes a publié récemment un rapport où on parle de l l’orientation, comme d’ «une politique sans boussole ». Les propositions que la Cour formule vont dans le sens d’une nouvelle répartition des compétences entre l'État et les régions. Cela passerait par une suppression de l’ ONISEP. Certains proposent aussi de supprimer le réseau Canopé .
La volonté de supprimer les agences de l’État est d'ailleurs une vieille rengaine de la droite.

 ***

J’en entends dans le fond qui réagissent en disant que je vais donner de mauvaises idées au gouvernement… Rassurez vous (ou inquiétez vous…) ils n’ont pas besoin de moi pour les avoir ! Tout cela est déjà écrit et a commencé à être mis en œuvre
Mais on va donc finir par deux idées que le gouvernement n’a pas eu ou plutôt ne veut pas avoir (c’est cadeau, ça me fait plaisir…)

La première serait de revenir sur la niche fiscale qui permet aux familles qui en ont les moyens, de financer le soutien scolaire par le biais de l'aide à la personne. Cela fait prospérer de nombreuses officines dans un marché de l’angoisse de plus de deux milliards mais surtout cela ne fait que contribuer à  accentuer les inégalités sociales.
L’autre idée, le gouvernement et son premier ministre sourd et complaisant à ses dérives, l’ont sous les yeux. C'est le financement du privé. Il ne s’agit pas de raviver la guerre scolaire mais simplement de rétablir une équité de financement entre un enseignement privé aux financements opaques et abondants et un enseignement public qui assume à lui seul, ce qui devrait être la mission de tous, c’est-à-dire la lutte contre les inégalités sociales et scolaires.

Si l’on veut rétablir l’École de la République et sa promesse d’égalité, il faut considérer l’École non comme un coût mais comme un investissement. Cela ne souffre pas d’économies.

Philippe Watrelot

Le 19 avril 2025

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