François Bayrou dans une de ses nombreuses interventions de plus en plus embarrassées de ces derniers jours a parlé de « mécanique du scandale » à propos de l’affaire Bétharram qui devient une « affaire Bayrou » par la conjonction des révélations de la presse et les interpellations politiques.
On peut se questionner sur cette « mécanique » et ses intentions, mais il ne faudrait pas que ce contexte politique fasse oublier le vrai scandale qui est celui des agressions sexuelles et de la culture de la violence dans cette forme pervertie d’éducation reposant sur la domination.
50 ans de silence et de non dits
Revenir sur la chronologie de cette affaire est essentiel.
Notre Dame de Bétharram est un établissement privé catholique pour garçons, créé en 1837 sur les rives du gave de Pau (Pyrénées-Atlantiques). Dans les années 60, j’ai passé pendant plusieurs années des vacances dans la région. « Si t’es pas sage, t’iras à Betharram » était une phrase dite dans toutes les familles du coin. La réputation était celle d’une « éducation à la dure » : rester la nuit dans le froid sur la terrasse face au gave faisait partie des punitions. Mais déjà à l’époque, des rumeurs d’agressions sexuelles circulaient.
En 1996, le père d’un jeune homme de 14 ans scolarisé dans l’établissement porte plainte contre un surveillant qui avait giflé son fils tellement fort qu’il a perdu 40 % d’audition. Devant la justice, l’auteur n’a écopé que d’une amende avec sursis. Et, en parallèle, une enquête académique est réclamée par le ministre de l’Éducation de l’époque, également président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques, François Bayrou. L’inspecteur en charge de l’enquête conclut que l’institution privée n’est pas un lieu « où les élèves sont brutalisés ».Il reconnait aujourd’hui qu’il n’a pas cherché à comprendre ce qu’il se passait.
Deux années plus tard, en 1998, l’ancien directeur, le père Carricart, est mis en examen pour viol et incarcéré brièvement. Deux ans plus tard, il se suicide à Rome.
C'est aussi durant ces années qu'une enseignante de mathématiques dans l'établissement alerte sur le climat de violence et interpelle François Bayrou et sa femme. Celle-ci intervenait dans l'établissement et leurs enfants ont été élèves dans cette institution.
Ce n’est qu’en 2022-2023 que la parole se libère vraiment. C’est en créant un groupe Facebook pour récolter des témoignages sur les violences subies dans l’établissement qu’Alain Esquerre, plaignant et ancien élève, a découvert des récits d’agressions sexuelles. Le 1er février 2024, le parquet de Pau ouvre une enquête préliminaire après le dépôt de vingt plaintes d’anciens élèves pour des faits de violences et d’agressions sexuelles et de viol. Puis le nombre de plaintes augmente jusqu’à une centaine et incrimine une vingtaine de personnels (prêtres et surveillants).
C’est en février 2025 que Mediapart sort une série d’articles sur Béthrarram et sur le rôle de François Bayrou dans cette affaire. Selon le journal en ligne, il aurait eu connaissance, dès la fin des années 1990, d’accusations d’agressions sexuelles alors qu’il était président du Conseil général des Pyrénées-Atlantiques (1992-2001) et ministre de l’Éducation nationale (1993-1997). Il est également interpellé à l’Assemblée Nationale par des députés LFI et PS.
Mise à l'agenda
Il est indéniable qu’il y a aujourd’hui une dimension politique.
Mediapart, comme à son habitude, « feuilletonne » en sortant un nouveau papier tous les jours avec de nouveaux éléments. C’est un procédé classique dans la presse.
Les députés, quant à eux, font leur travail d’interpellation et certains se disent que cela peut déstabiliser le chef du gouvernement tout en remettant à l’agenda la question du contrôle de l’enseignement privé.
On peut penser ce qu’on veut de ces calculs et de ces stratégies. Certains vont même jusqu’à dire que François Bayrou serait “victime” d’une cabale. C’est ce que laisse entendre le 1er ministre lui-même. On s’en prend même à la principale lanceuse d’alerte en insinuant qu’il y auraient vengeance et manipulations.
Notre drame de Betharram
Ne nous y trompons pas. Les vraies victimes existent et on n’en connait pas encore le nombre exact même si une centaine de cas se sont déjà manifestés. Et cela concerne plus d’une vingtaine de personnes (prêtres et surveillants). Ce ne sont donc pas quelques actes isolés mais bien une violence et une perversité systémiques.
C’est cela qu’il ne faut pas oublier.
L’affaire Bétharram est ancienne et existait avant ce mois de février 2025 et ces manœuvres politiques. Est-ce qu’elles servent ou desservent la cause de tous ces enfants abusés et maltraités ? A chacun son opinion sur ce point.
Mais la recherche des responsables est nécessaire. Si l’on peut se réjouir que les normes sociales changent et que l’omerta et les silences complaisants et complices disparaissent enfin, il faut absolument s’interroger sur les mécanismes qui ont permis à cette situation de se perpétuer au cours de toutes ces années.
C’est là qu’est le vrai scandale !

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PhW
le 22 février 2025