Les projets de lois anti-terroristes qui se préparent à propos d’internet sont ce moyen trouvé par l’État, poussé par je ne sais quoi de stupide, afin de lutter contre son propre peuple. Nous avons longtemps su que nous ne vivons pas en Démocratie sans avoir à le nommer ; nous vérifions maintenant que la ploutocratie élective est prête à défendre chèrement sa domination. Quelle ne fut pas mon étonnement, tout d’abord, de lire ces nouvelles venant d’un gouvernement de gauche. Certes, celui de droite qui le précédait avait déjà envisagé ces lois, voire même les avait-il déjà commandées, et peut-être viennent-elles du gouvernement d’avant, encore, tous communs par leur intention de museler le peuple. J’évoquerai d’ailleurs comme on est relativement libres, dans un espace — internet — où les CRS, c’est-à-dire la garde prétorienne d’un gouvernement, ne nous peuvent rien. Il y a quatre grandes remarques à faire sur ce durcissement légal répressif à l’égard d’internet : esthétique, éthique, philosophique et politique. Oui, tout ça.
D’un point de vue esthétique, ma génération ne peut que s’opposer au débarquement des États dans l’IVL. Comme nous avons moult volontiers déserté le monde de l’IRL, dirigé par des égoïstes et peuplé d’imbéciles heureux de braire en choeurs, sans le moindre esprit critique ni la moindre ambition rationnelle, la force normative de l’État convoite notre monde. Univers auquel il ne comprend rien et dont il croit pouvoir tirer mille richesses, quand il ne peut que s’y désagréger. Le monde du web ne s’est pas construit sur des représentations esthétiques cohérentes, au contraire a-t-il germé accidentellement d’une multitude d’endroits, simultanément et dans toutes les directions. Il y a dans cet océan d’énergies et d’intentions quelques grands monstres aux silhouettes plus ou moins appréciées et controversées, comme Facebook, Google, Wikileaks, Wikipédia, etc., mais qui ne sont pas les « chefs d’internet » — contrairement à la déclaration du précédent chef de l’État lors de l’e-G8 en 2011. De même que le règne animal n’a pas de chef : il a des espèces dominantes, des groupes de prédateurs et une économie générale à peu près stable pour peu qu’on ne vienne pas la déséquilibrer. Le genre humain et sa propension à tout piller dans la nature, parfaite image des États qui coloniseraient le net, en saccageant les écosystèmes numériques. Personne n’a de vue d’ensemble des mouvements qui peuvent y naître ou y mourir, on peut tout au plus être un peu au courant. C’est même un monde qui s’est très rapidement ri des distinctions étatiques et culturelles, des grands systèmes de pensée et rares sont les intellectuels contemporains qui y ont survécu : c’était une révolution, c’est maintenant notre monde, à nous. Ce lieu qui a offert le seul support technologique concrétisant le fantasme humaniste d’une universalité de l’espèce tendue vers le partage. La mise en commun de quoi ? Mais de tout. Où va donc commencer la surveillance d’un gouvernement sur tout contenu virtuel, et où va-t-il s’arrêter ? C’est flou.
Il se trouve que l’État Français se distingue doucement mais sûrement de « la France ». Il n’y a pas de coïncidence démocratique où le peuple n’a aucun pouvoir. On le fourre de farce quatre ans et demi par quinquennat, on l’hébète en lui versant de l’opium à chaque journal télévisé et aux promesses les six mois restants. Quand a-t-il ses facultés de raisonner et d’adhérer à un projet de civilisation ?
Les lois anti-terroristes qui vont certainement passer grâce à la vague d’islamophobie, mollement déguisée en « marche contre la barbarie » et qui n’est au fond qu’une vaste effusion pathétique d’un peuple qui s’ennuie, qui se sent vide et qui cherche sa propre transcendance, ne protégeront pas le peuple. Le gouvernement avait été averti de la possibilité, non seulement d’un attentat terroriste dans Paris, mais en plus perpétré par ces terroristes, précisément. Plus d’informations à propos de l’existence de tous ses citoyens, et notamment sa pratique des mondes virtuelles, aurait aidé le gouvernement à agir ? Va-t-on découvrir dans vingt ans, un scandale de la surveillance des internautes en France semblable au scandale de la NSA ? — dont le lanceur d’alerte, Edward Snowden, vit toujours réfugié en Russie pour ne pas tomber sous le coup de la peine de mort qui l’attend dans son pays pour haute trahison — de quoi ? Du peuple ? C’est facile, la réponse est dans la question.
C’est donc une aberration esthétique : deux représentations du monde s’affrontent. D’une part, dans le box des accusés : le monde capitaliste, libéral tant que ça l’arrange mais conservateur et réactionnaire sitôt que ses petits privilèges et intérêts sont touchés. Un monde de propriété privé, de contrôle des savoirs, des biens et des humains, un monde de patries et de cinquante nuances de mille bonne raison de se faire la guerre, un monde qui vend des armes aux uns et traîne son client en Justice internationale pour Crime contre l’Humanité ensuite, exploite les ressources des pays pauvres et déplore que ceux-ci ne sachent pas gouverner dans la paix, un monde égoïste et avare, narcissique et surtout un monde qui ne veut pas mourir et passer la main au monde suivant. D’autre part dans le box du challenger ? Tout simplement le XXIe siècle qui se lasse un peu d’attendre que ce vieil Harpagon daigne foutre le camp et commence à regarder du côté du clonage pour se perpétrer encore plus longtemps. Un vieux, c’est fait pour mourir.
Nous en avons assez d’avoir à culpabiliser pour des fautes que nous n’avons pas commises. Nous en avons assez de payer les intérêts de dettes que nous n’avons pas contractées. Nous en avons assez des scandales quotidiens dont on nous couvre le matin et qu’on enterre au soir. Nous en avons assez de ces ministres falots qui prétendent nous gouverner lorsqu’ils ne savent pas se gouverner eux-mêmes. Nous en avons assez que les pauvres paient des impôts et le monde de la finance non. Nous en avons assez du chantage affectif, du cynisme, de la tiédeur. Nous voulons vivre. Nous ne nous indignons plus parce que vous réutiliserez nos indignations contre nous : ces lois anti-terroristes ! Vous nous prenez pour des imbéciles. Votre conception esthétique du monde est obsolète, vous ne musellerez pas internet. Vous ne nous ferez pas taire en agitant l’exception légale des lois anti-terroristes — qui sont, chers lecteurs, l’arme de destruction massive en matière de démocratie : elles retirent strictement tout droit à quiconque est « soupçonné » de terrorisme. Peu importe, au fond, la réalité de sa culpabilité. Les États-Unis nous ont montré l’exemple et le rapport du Sénat sur les pratiques de la CIA diffusent un parfum amer de totalitarisme diffus.
D’un point de vue éthique, c’est-à-dire de l’ordre des considérations du bien et du mal, c’est encore pire. J’ai déjà évoqué que le gouvernement était au courant des risques et des éventuels coupables de ces risques : d’un point de vue éthique, c’est donc très étrange de vouloir durcir une structure qui, de toute façon, pourrait déjà être efficiente pour peu qu’on l’utilise, mais qu’on n’utilise pas. Pourquoi ne l’utilise-t-on pas ? Cela rejoint un essai que j’ai écrit sans succès pour l’e-revue Théoria qui n’a pas décidé de le publier, De l’ironie comme réponse au fascisme diffus. L’arsenal étatique est un monstre, inhumain et très dangereux. Ceux qui le tiennent en laisse, pour le moment, magistrature et police, ne le lâchent pas sur n’importe qui et s’intéressent encore à la notion d’innocence. L’appareil de répression parfaitement légal mis à la disposition des dirigeants de nos démocraties est tout à fait propice à commettre les pires atrocités, et ce de façon tout à fait, je le répète, licite et donc indiscutable : car « Dura lex sed lex », comme le dit le juriste (La loi est dure mais c’est la loi). Les lois ont été votées, et proviennent théoriquement du peuple, il est logique et recevable que le peuple s’y soumette et les respecte. Imaginons une configuration où le peuple n’a plus aucun lien avec les lois ?
Le peuple peut, sous le coup de quelque émotion, de quelque ennui ou même d’une forme de passion névrotique, approuver des lois, une par une sur un fil de plusieurs années, et en venir doucement à produire un faisceau d’outils fascistes réglementaires. La membrane qui sépare la démocratie du fascisme est très fine : elle ne tient qu’à la vigilance des peuples. Or dans un moment de panique comme c’est le cas depuis bientôt une semaine, on se met à applaudir les décrets que nous eussions trouvés révoltants et très dangereux à jeun. Nous sommes incapables de discernement lorsque l’émotion prend la place de la raison et nous agissons en invoquant des principes passionnels, certainement pas philosophiques. Il est donc très malvenu que le gouvernement en profite et y puise l’assentiment de lois anti-démocratiques, répressives et contraignantes. D’autant que, nous le savons, il le sait, dans trois semaines personne ne lira plus des billets comme celui-ci qui réfléchissent aux conséquences de Charlie Hebdo : la mémoire est une eau vive qui coule par crainte de s’évaporer. Dans dix ans, l’attentat aura été oublié, mais les lois obtenues par lui veilleront toujours la proie.
Au XXIe siècle plus que jamais un État doit participer à l’épanouissement de ses individus, en leur assurant les accès aux droits fondamentaux, respect de leurs personnes, de leurs convictions et permette la libre expression de leurs idées quelles qu’elles soient. Et certainement pas contrôler les allées et venues de ses citoyens, leurs habitudes, surveiller puis trier leurs discours et, au passage, en vendre une partie à des firmes multinationales.
Ici la deuxième métamorphose ouverte de l’État en chimère dressée contre la liberté de son peuple. Le premier n’est plus le rayonnement du second : il s’agit d’une caste dirigeante, dans laquelle se trouvent tout autant les industriels et les financiers, qui cherchent, par l’outil légal, à préserver leurs intérêts, voire à les étendre. Chaque siècle a connu des types différents d’hommes et de femmes au pouvoir : quand déciderons-nous des nôtres ? Nous obéissons à ceux de nos parents, qui portaient leurs rêves, incarnaient leurs fantasmes et conditionnaient leur accès au bonheur. Je ne rêve pas d’être riche, ni Sarkozy, ni Finkelkraut, ni Hollande ni même Lucchini n’incarnent mes fantasmes et ils sont incapables de réaliser mon bonheur. Je vis en citoyen libre, je discute en néo-humaniste et je pense en ne m’intéressant qu’aux principes. Il n’y a plus du tout la moindre coïncidence entre gouvernement et recherche du Bien naturel, entre Justice philosophique et droit positif ; et l’État n’a plus aucune valeur éthique : il est corrompu, matérialiste, sans idée ni conviction, creux et a été dépecé par un demi-siècle d’avocats médiocres. Ils l’ont vendu au plus offrant et enchaîné aux modèles esthétique du XXe siècle. L’Europe et la France, oui, mais pas comme ça.
D’un point de vue philosophique, je viens de l’effleurer, je le martèle depuis que je suis écrivain : rien ne justifie qu’un gouvernement soit craint de ses citoyens — V pour Vendetta. Les gouvernements doivent craindre leurs peuples ; et c’est d’ailleurs parce qu’ils n’en ont pas oublié la force qu’ils essaient de l’orienter et la manier à leur avantage. C’est parce qu’un peuple est une force anarchique, chaotique et toute-puissante que l’État use d’une hyperstructure aussi redoutable et puissante que sa législation. Et c’est d’ailleurs à cause de la violence possible du système que je suis contre la peine de mort : le citoyen ne peut non seulement pas s’y soustraire mais peut, en plus, être expatrié par un pays dans lequel il se réfugierait en cas d’innocence pour être dument décapité en France. C’est ridicule. Cela signifie que l’État infaillible discrimine la Vérité ; une peine de prison, même à vie, donne le temps de prouver l’innocence, alors bafouée par l’État qui devra réparation. Un État ou un gouvernement n’ont rien de mythique : ce sont deux tas d’êtres humains réunis en fonctions administratives. Rien de plus. Le sens même de la vérité ne doit pas être remis entre les mains d’une entité aussi abrupte que l’administration, et les individus ne sont pas des fiches de bureau. Cela fait longtemps que tout le monde le sait : l’Occident n’est pas une Démocratie libérale — une libéralité saine exigerait la perte du pouvoir politique et financier des castes actuelles et elles le ne souhaitent pas.
Il y a cent-un ans commençait la Première Guerre Mondiale. C’est-à-dire la mise en pratique d’une invention récente : la guerre industrialisée. Les êtres humains devenaient des machines juste un peu plus longues à produire en série que les autres : neuf mois de préparations et douze ou quatorze ans de croissance. On envoya donc des gens mourir en masse et par millions sur des principes absurdes en complets décalages avec le sens d’une guerre : patrie, famille, gloire, civilisation, intérêts financiers, régions avec tel ou tel drapeau planté dessus, bref, la guerre inutile, la guerre sanglante, la guerre très XIXe siècle qui tâche et qui endeuille avec cynisme. Une telle guerre aujourd’hui me semble impossible : un alsacien en sait plus de son voisin allemand aujourd’hui qu’un alsacien d’il y a cent ans n’en savait sur son compatriote parisien. Internet a brisé la notion d’ennemi patriotique et le monopole étatique de la connaissance. Philosophiquement, aucune guerre sur le sol européen entre deux pays ne pourrait tenir. Parce que l’ennemi ne peut plus être « l’autre » dont on ne sait rien, on sait trop de choses sur trop de différences. On pourrait me répondre que racisme et xénophobie ont encore cours, et ce serait une remarque juste, mais hors sujet : les racistes et les xénophobes ne sont aujourd’hui que des gens sans identité, qui réagissent à l’angoisse existentielle par la complaisance dans l’ignorance et la haine. Mon expérience m’a vraiment convaincu que la haine systématique est un signe d’anxiété chronique, une peur du vide, une inclinaison facile et certainement pas une conviction philosophique. La haine est un signe de la vaste sémiotique du nihilisme.
Philosophiquement, internet est une terre qui échappe à l’imagination bureaucratique des gens formés dès l’adolescence à diriger un État. Petites briques dont les proportions sont calibrées sur le format de la haute administration, les politiciens s’empilent impeccablement dans le mur impersonnel et glacé de l’État, mais coulent dans la nature chaotique d’internet et ne peuvent y survivre. Comme le modèle esthétique est radicalement différent, les politiciens ne se servent d’ailleurs que très prudemment du web, et avec des écrans. Les débats qui y sont menés redeviennent des débats de fond, où participent ceux qui veulent et où dominent ceux qui peuvent, dont on évacue vite, par le véritable principe démocratique, les agitateurs d’idées et les hargneux — rarement avec tendresse. Il n’y a pas à avoir de réseau pour y être lisible, pas besoin de clientélisme pour avoir accès à une tribune, et on ne peut vendre ce qui s’y écrit et s’y pense. Je suis particulièrement bien placé pour le prétendre : internet m’a formé comme écrivain ; et d’ailleurs je vais sur mes vingt-sept ans, sans n’avoir jamais rien publié dans les formats éditoriaux, je refuse la publication numérique — autant mettre son PDF sur un site de torrent, à ce compte-là — et n’ai, pour ainsi dire, aucune existence IRL d’écrivain. Ce qui me navre lorsque je vois tout ce qu’un écrivain pourrait avoir à dire d’intelligent dans ces grands ventilateurs à pets que l’on appelle plateaux TV et radios publiques.
Le contenu philosophique de ce qui s’invente et s’innove sur internet n’est pas brevetable — l’IVL est un monde sans propriété intellectuelle, absolument libéral et autonome. Je suis naturellement pour le partage illégal de la culture. Pourquoi un fabriquant de disques laser devrait toucher une part aussi importante du prix du CD d’un chanteur, et celui-ci toucher si peu ? Et celui-ci, pourquoi devrait-il être riche à n’en plus savoir que faire pour qu’on l’écoute ? N’est-ce pas un privilège suffisant d’être aimé, et d’emplir les oreilles et les plaisirs d’autant de gens ? Écrire pour être riche est une ambition médiocre et mesquine. Il y a, pour l’écrivain à qui le succès et la notoriété sourient, beaucoup de carrières possibles : journalisme, politique, enseignement, cinéma ou télévision, publicité, etc. Cela va du plus ambitieux, philosophe ou poète, au moins ambitieux, politicien ou polémiste. Ce qu’il y a de remarquable c’est que le salaire probable est inversement proportionnel à la rigueur nécessaire pour y parvenir. Que ne me fais-je pas « chevalier blanc », pour reprendre le mot qu’on m’a écrit en privé, et polémiste des Justes contre le fasciste ! Non, je suis écrivain et ne prends la parole que parce que tout cela me glace le sang.
Quant au plan politique, il est peut-être le plus grave. Le contrôle d’internet est parfaitement impossible. La tentative de mainmise n’est qu’un pas en avant vers une guerre entre le peuple et l’État — entre un peuple : celui des Anonymous, soit qu’on en fasse partie soit qu’on les soutienne simplement ; et un État, celui des ploutocrates du modèle XXe siècle. Ce ne sont certainement pas Nicolas Sarkozy ou François Hollande derrière leurs comptes Facebook, mais plutôt des gens de ma génération ou celle de dix ans notre aînée, investis en matière de technologies numériques, de modèles esthétiques numériques mais, hélas, aveuglés par le cynisme, le fanatisme ou les privilèges. Trois formes d’enchainement de l’esprit humain. C’est un modèle médiatique qu’ils ne comprennent pas : faites un débat entre deux hommes politiques et mettez au milieu un geek — et pas nécessairement doté d’un accès à Wikipédia. Le pourcentage de chiffres justes de chacun des participants nous fera alors objectivement voter pour le geek. Les politiciens ont beaucoup fait, fut un temps, un truc bien divertissant qu’ils ne font hélas plus qu’encadrés d’une modération expéditive : venir discuter sur des chats.
Pourquoi ont-ils arrêté à votre avis ? Parce qu’un peuple qui répond, ça fait drôle. « Comment ? On ne peut plus raconter n’importe quoi sans se prendre un lancer de chaussure à travers la tête ? » Les médias traditionnels rassurent quiconque cherche à contrôler le peuple et non pas à le convaincre. Parce que le peuple râle devant sa télévision, s’insurge que l’on dise telle ou telle chose, mais il a trop froid pour descendre dans la rue. Cependant si la possibilité de descendre dans la rue peut se muter en un forum sur internet… Là, il « descend dans la rue », en sirotant son Coca-cola et en ne quittant pas son canapé. Et puis un peuple dans la rue, on le flanque de CRS et de militaires ; sur internet… Voilà pourquoi aujourd’hui les manifestations, les marches, les barricades n’ont plus cours : elles ne sont plus ni des lieux de pouvoirs ni des espaces de discussions de fond. Elles ne servent plus qu’à divertir le peuple, à se faire croire qu’il se réchauffe à son propre contact, quand il ne fait qu’y prouver son degré de refroidissement et sa terreur d’affronter le vide. Elles sont vidées de toute substance philosophique, uniquement réduites à des occasions d’instrumentalisation politique, qui s’appuient sur le nombre revendiqué. Rappelons-nous de Nicolas Sarkozy et sa « majorité silencieuse », ses « un million » de personnes sur la place du Trocadéro quand vraisemblablement ils n’en étaient pas le cinquième, etc, etc. On sourira d’ailleurs du nombre invraisemblable d’amis Facebook du même Nicolas Sarkozy, qui démontre comme il n’a pas compris qu’internet n’était pas un espace de démocratie tel que le XXe siècle l’a aliéné.
Nous y sommes libres, égaux en accès à la parole et à la démonstration, et le clientélisme y est lui-même inféodé à la profondeur. Certes il s’y trouve comme ailleurs des vanités, des copinages et des gens superficiels. Mais les conversations qui s’y déploient sont des occasions Kierkegaardiennes de rencontres, d’éveils, de lectures, de partages et, surtout, de conception d’un nouvel espace politique qui ne doit rien aux médias traditionnels, ou le maître de cérémonie seul distribue la parole — et la bonne, tant qu’à faire.
On remarque que j’ai passé sur l’hideur d’avoir profité de cette émulsion nationale « contre la barbarie » pour faire passer des lois anti-terroristes. Lois qui, au nom de la sécurité de tous, sont en fait appliquées pour contraindre la liberté de chacun. Je l’ai déjà écrit mais je peux le répéter encore : nous sommes tous prompts à défendre que la liberté d’expression s’arrête là où commence un avis contraire au nôtre. Peu à peu les risques de totalitarisme se multiplie et bientôt le Conseil Constitutionnel lui-même n’y suffira plus pour protéger le peuple des délires mégalomanes et corporatistes des gens qui nous gouvernent. Puissions-nous n’avoir pas à regretter les dessins de Charlie Hebdo qui, avec acidité et sans distinction, allumaient au crayon tous les courtisans d’un jour, les hypocrites, les malhonnêtes et les opportunistes.
Pierre-Adrien Marciset,
Paris, mardi 13 janvier 2015.