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Billet de blog 1 octobre 2019

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Camille Halut : un procès pour le droit d’observer

Le procès de Camille Halut a eu lieu ce mardi matin. Il s'inscrit dans un mouvement d'intimidation des observateurs·trices de la Ligue des droits de l'homme dans son rôle de documentation et de dénonciation des atteintes aux droits humains par les forces de police. Il risque surtout d’être l’occasion de la reconnaissance des observatoires et l’échec d’une procédure bâillon. Retour sur ce procès.

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Camille est observatrice pour la « legal team » de la section LDH de Montpellier (observatoire des pratiques policières et judiciaires). Elle passe en procès pour « délit d'entrave à la circulation », alors qu'elle observait une manifestation qui, le 6 avril 2019, avait rejoint l'autoroute et qui avait bloqué pendant une demi-heure. Il lui est reproché d'avoir participer à ce blocage.

Camille a été convoquée le 29 avril 2019 pour une audition libre à la suite de laquelle elle sera placée en garde à vue. Une nullité sera invoquée par la défense contre cette procédure. Mais c’est sur le fond qu’elle souhaiterait une relaxe.

Pour poursuivre Camille Halut, le parquet est allé fouiller non pas dans le Code pénal mais dans le Code de la route... son article 412-1 prévoyant que : « Le fait, en vue d'entraver ou de gêner la circulation, de placer ou de tenter de placer, sur une voie ouverte à la circulation publique, un objet faisant obstacle au passage des véhicules ou d'employer, ou de tenter d'employer un moyen quelconque pour y mettre obstacle, est puni de deux ans d'emprisonnement et de 4 500 euros d'amende ».

Par quel moyen aurait-elle entravé la circulation ? « Par sa personne », déchiffre avec difficulté le Président du tribunal en lisant le PV. Les débats porteront sur la place, précise, qu'aurait eu l'observatrice au moment des faits reprochés. Sur le terre-plein ? Contre la rambarde ? Évidemment, placée au milieu de l'autoroute pour observer au plus près la manifestation, Camille a dû traverser la route et reconnaît qu'elle a pu, l'espace d'un instant au moins, se trouver à cet endroit. Une photo sert de preuve au parquet. Mais elle peut n'avoir représentée qu'une seconde de manifestation et ne saurait suffire à prouver un blocage, explique pour sa part la défense.

Quand les échanges ont terminé sur ce point (et qui montre, quelque peu, le ridicule de ce chef d'accusation), Jean-Jacques Gandini est appelé à la barre. Il rappelle qu'il est avocat à la retraite, ancien président national du Syndicat des avocats de France, vice-président de la section montpelliéraine de la LDH et à ce titre membre de la legal team. Il rappelle alors le rôle des observateurs de la LDH, des règles de fonctionnement et de positionnement. Il rappelle le statut international accordé aux observateurs, il rappelle aussi que l'article 10 de la CEDH garantit la liberté d'expression qui commence au moment de l'observation et que la Cour européenne étend non seulement aux journalistes mais également à tous les observateurs de la société civile. La Cour reconnait, d'ailleurs que les défenseurs des droits humains sont, à l'instar des journalistes, les « chiens de garde sociaux » de la démocratie.

En venant aux faits qui occupent le Tribunal, Jean-Jacques Gandini explique que des observateurs ont été placés à différents endroits pour avoir une vue d'ensemble mais que Camille était située au milieu, non de la manifestation mais contre la barrière, ne gênant pas la circulation.

La procureure ne posera aucune question au témoin, reconnaissant implicitement la clarté de celui-ci.

Mais la reconnaissance des missions des observateurs sera plus explicite encore. La procureure elle-même l'admet : « les rapports de la Ligue des droits de l'Homme sont nécessaires ». Il n'y a pas la moindre ambiguïté dans son propos. Pas de tergiversations, pas de « mais ». Elle interrogera seulement Camille Halut pour lui demander si cette dernière ne reconnaît pas qu'il peut y avoir une ligne de partage difficile à cerner entre sa position d'observatrice et les manifestants. Il n'y en a pas, répond Camille, car en manifestation, les observateurs ne chantent pas, ne lancent pas de slogans, se tiennent sur les côtés, sont identifiés clairement.

De son côté, le président du tribunal lit les documents transmis par la Ligue, dont ses statuts et un rapport sur les violences faites aux observateurs. Il commente : « la Ligue des droits de l’Homme prend des précautions sur le rôle de ses observateurs ».

Au moment de requérir, la procureure reconnaît qu'« il n'y a pas de volonté de Camille Halut de bloquer les voies » mais elle y aurait contribué par sa présence. Les juristes présents dans la salle comprennent aussitôt : la procureure confirme que l'élément moral de l'infraction n'est pas constitué. Et en l'absence d'élément moral, il n'y a pas d'infraction. Les avocats de la défense ne manqueront pas de s'en servir. Il n'y a pas de doute. La procureure connait très bien ce principe pénal appris et répété dès la première ou deuxième année des études de droit. Elle saborde sciemment ses réquisitions.

D'autres indices montrent le fond de la pensée du parquet. La peine requise pour commencer. 150 euros. Au moment de l'annonce, la salle s'agite, surprise, « tout ça pour ça ! » chuchotent les soutiens, très nombreux, de Camille. « Ces poursuites, 150 euros d'amende ! Qu'est-ce sinon une manœuvre d'intimidation ? Le but c'est une condamnation à son procès pour signifier aux observateurs qu'ils seront condamnés » dira Michel Tubiana.

Et puis, la procureure glissera qu'elle ne reviendra pas sur la question de l'opportunité des poursuites. La défense comprend alors : la procureure estime les poursuites inopportunes mais ne souhaitent pas le dire explicitement. Pour tout observateur aguerri des procès, les propos sont révélateurs.

Vient alors le temps des plaidoiries de la défense. C'est à Michel Tubiana de commencer. Il explique sa présence aujourd'hui : « J'interviens pour Camille Halut mais aussi pour la Ligue des droits de l'homme ». Il faut dire que Michel Tubiana en est président d'honneur.

« À la Ligue des droits de l'homme et du citoyen, le tribunal voudra bien nous pardonner le propos, nous sommes des emmerdeurs », prévient-il. Et il n'est pas question d'arrêter de l'être.

Il explique alors le rôle de la Ligue par rapport aux actions de la police : « La police a le monopole de la violence, et dès lors il est légitime qu'on observe les conditions dans lesquelles elle intervient ».

Il rappelle aussi, qu'au-delà du comportement des agents, il y a aussi une chaîne de commandement, une politique de maintien de l'ordre, et que celles-ci remontent aux plus hautes autorités de l'État. Il nomme alors directement un responsable : Christophe Castaner, ministre de l'intérieur qui « a menti en prétendant qu'on avait attaqué un hôpital » et qui refuse, contre l'évidence « de reconnaître le terme de violences policières ». Devant l'évidence en effet. Car la procureure, dans ses réquisitions, l'a admis elle-même, faisant ici preuve d'un certain courage.

Michel Tubiana entend effectuer une précision sur la position de la Ligue : « Nous ne sommes pas contre la police. Et je rends hommage à ses agents (...). Mais cela ne nous fera pas taire sur le comportement de certains ».

L'histoire de la Ligue est marquée notamment par l'assassinat d'un de ses présidents, Victor Basch, par les milices françaises du régime de Vichy, que Michel Tubiana n’entend pas oublier.

« Tant qu'on ne nous tuera pas, nous resterons ! » lance-t-il. Dans la salle, les militants sont saisis par l'émotion, devant l'histoire, et la détermination. « La ligue est dans son droit pour faire respecter les droits », doit-il rappeler.

Il plaide la relaxe et conclut : « je vous le dis parce que j'ai été président de la Ligue des droits de l'homme : nous serons toujours solidaires. Nous continuerons pour que les hommes et les femmes de ce pays s'emparent de leur droit. Le reste est une contingence de l'histoire ».

Maître Ottan prend sa suite. Il va parler de la personnalité de Camille. Il rappelle sa jeunesse, son idéalisme et la brutalité avec laquelle elle découvre nos institutions. Il rappelle qu’elle fait l’objet d’un ciblage depuis qu’elle a effectué un signalement à l’IGPN. Elle a, depuis, subi des pressions. Elle a dû porter plainte deux fois, et face au silence des instances en charge des dossiers, elle s’est constituée partie civile, un juge judiciaire a été nommé et instruit le dossier. Elle a été insultée copieusement par les policiers. Les injures, enregistrées par une vidéo diffusée en ligne, ont été rappelées par le Président qui les a lues en intégralité au début de l’audience.

Maître Ottan précise : il ne plaide pas pour une dispense de peine, ou une non-inscription au casier judiciaire, ce qu’il aurait pu faire au vu de son dossier. Ce procès représente plus que celui de Camille. Ce procès est une d’une grande importance : « c’est une affaire test, elle est capitale ». Il faut donc une relaxe, une relaxe claire, pour que cesse les intimidations sur les observateurs·trices.

D’abord, parce que les réquisitions s’appuient sur un mensonge : « elle ne se positionne pas sur les voies pour les bloquer ! ». Ensuite parce que l’élément moral n’est pas constitué. Enfin, parce que la liberté d’observer est un droit. Il est « consubstantiel à celui d’expression ».

Maître Ottan finit alors en rappelant au juge sa mission fondamentale confiée par la Constitution : celui « de gardien des libertés fondamentales » et pour laquelle il est doté d’une indépendance que n’a pas le parquet.

Maitre Ottan termine : "Cette affaire est un signal d'alerte. L'enjeu est : réduit on les ONG au silence ?"

En sortant de la salle, les militant·es et soutiens de Camille, même s’iels ne veulent pas être trop hâtif·ves, se réjouissent de ce grand moment pour l’histoire des observatoires des pratiques policières de la Ligue. Parce que les conclusions des avocats leur ont fait du bien, et parce que, au fond, ce procès est celui d’une débandade : celle de ces policiers qui s’acharnent sur une observatrice qui a révélé leurs très mauvaises pratiques. Et avec à la clef l’espoir que, dans la motivation du jugement, leur soit reconnu le statut d'observateur.

Rendu de la décision jeudi à 8h30.

MISE A JOUR : Camille Halut a été relaxée. Le juge a remarqué que, dans cette affaire, la procédure n'avait pas été correcte : Camille Halut a d''abord été identifiée puis son infraction constatée, alors que la procédure doit être inverse : constat d'une infraction et recherche de son auteur.

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