Il convient d'abord de souligner que les sommes considérables que perçoivent les hommes et les femmes politiques pour leurs campagnes électorales proviennent majoritairement des contributeurs les plus fortunés. L'économiste, professeure à Sciences Po, Julia Cagé, dans un livre intitulé : . Le Prix de la démocratie (Fayard) montre clairement que « dans une élection, plus on donne de l'argent, plus on a de chances de voir son candidat remporter la victoire » et qu’en France, par exemple, « 10 % des Français les plus riches donnent 53 % des dons et cotisations versés aux partis politiques ». « 32 euros. C'est le prix de votre vote. Quand on sait que l'Etat consacre chaque année moins d'un euro par Français au financement public direct de la démocratie, mais qu'il rembourse en moyenne près de 165 euros par an aux quelque 290 000 contribuables ayant financé le parti politique de leur choix et près de 5 000 euros à chacun des 2 900 foyers ayant contribué le plus , on comprend mieux les interrogations qui entourent la qualité de notre démocratie. Pourquoi, en effet, l'argent public devrait-il permettre à certaine de s'acheter l'équivalent de près de cinq voix, voire de plus de cent cinquante voix pour les plus riches Pense-t-on vraiment que notre démocratie a besoin de ce biais supplémentaire en faveur des plus favorisés? Et c'est sans compter la dépense fiscale associée aux dons aux campagnes. Alors que l'Etat rembourse en moyenne chaque année 52 millions d'euros à l'ensemble des candidats prenant part au jeu électoral - et donc bien davantage les années d'élection, les différentes campagnes reçoivent 12 millions d'euros de dons privés, donnant lieu a près de 8 millions d'euros de réduction d'impôt. 8 millions contre 52 millions, certes, mais 8 millions d'euros à répartir entre quelques dizaines de milliers d'individus ayant exprimé leurs préférences politiques par des dons privés (soit plusieurs centaines d'euros d'apport par donateur, voire plusieurs milliers d'euros pour les plus riches), quand les 52 millions d'euros de financement public sont eux, à répartir entre tous les Francais (soit moins d un euro par citoyen). » Julia Cagé Il semble donc indispensable, pour sauvegarder en partie le caractère démocratique des élections, d'abaisser sensiblement le plafond de dons aux partis politiques « c'est ce plafond qu'il faut fortement abaisser car il permet aujourd'hui à un petit nombre d'individus d'avoir un poids politique bien plus élevé que celui de la très grande majorité des citoyens. » Julia Cagé
Un autre facteur d'influence déterminant dans le jeu démocratique, n’est autre que la corruption, un problème endémique illustré par les affaires qui impliquent régulièrement nombre d'élus représentants du peuple. Comment éradiquer le penchant naturel à la corruption, dans la mesure où elle est difficilement démontrable, tant les corrupteurs font preuve d'une inventivité et d'un arsenal toujours plus sophistiqué pour échapper aux éventuelles enquêtes, et ce, d'autant plus que cette administration afin de poursuivre ses investigations au niveau du pays, ne dispose que d'un personnel particulièrement restreint : le Parquet National Financier est composé d'une équipe de 19 magistrats, de 7 assistants spécialisés, d'un juriste assistant et d'un service de greffe dédié.
Par ailleurs, l’argent permet, à ceux qui en disposent à profusion, d'agir, à travers les relations privilégiées qu'ils ont nécessairement tissé avec ceux qu'ils ont contribué à faire élire, sur le contenu de leurs idées et de leurs programmes politiques. Les donnateurs contribuent à déterminer à qui aura le droit de représenter leurs intérêts, quels problèmes devront être abordés, et quelles stratégies politiques seront souhaitables. Ainsi, les représentants des partis, qu'ils se réclament de la droite, du centre ou du courant socialiste, soucieux de se faire bien voir de leurs riches militants, se trouvent obligés, pour briguer les plus hautes fonctions, de prendre des positions de plus en plus libérales, propres à satisfaire leurs commanditaires. En France, où le financement public est calculé au regard du nombre de voix obtenues aux élections, tout nouveau parti est contraint de recourir aux dons privés, ce qui ne favorise guère l'émergence de nouveaux mouvements défendant une meilleure redistribution des richesses et une meilleure protection de l'environnement.
Le pouvoir des lobbies et des ‘think tanks’
Les distorsions imputables à l’argent se voient encore plus nettement dans le rôle des lobbies et des think tanks (notamment en ce qui concerne la politique économique). Si l’on veut comprendre l’influence des lobbies, on aurait tort de s’imaginer simplement des dîners luxueux, où des individus s’échangent des faveurs dans un entre-soi feutré autant que souterrain. En leur faisant parvenir des dossiers et en négociant des alliances à leur place, ils leur facilitent la tâche tout en leur faisant miroiter des retours d’ascenseurs alléchants. Les lobbies les plus riches ont également d’autres atouts, puisqu’ils peuvent s’approprier les recommandations de think tanks, eux-mêmes financés par des groupes d’intérêt alliés ou par de riches individus. Ces think tanks ne font donc pas que financer la production et la dissémination de projets politiques ; ils en assurent également le suivi sur le terrain, par l’intermédiaire de leurs filiales. Autant de services que seuls les plus riches peuvent se permettre.
Le pouvoir des médias
L’accès aux médias est une troisième dimension de la vie politique où l’argent joue un rôle déterminant, ne serait-ce que parce que les médias recherchent le profit, un objectif difficilement compatible avec leur autre fonction, qui est de fournir un bien public. « S’interroger sur les règles concrètes de prise de décision à l’intérieur des journaux, c’est s’interroger sur la façon dont est produite l’information que nous consommons, cette information si indispensable au bon fonctionnement de la démocratie. » Julia Cagé
Cette logique de marché, qui préside à la consolidation de l’industrie des médias aux mains d'un tout petit nombre de très grandes fortunes (9 milliardaires, en France, possèdent 90% des médias). « Le risque pour le journaliste est alors non seulement de déplaire à l'actionnaire du média qui l'emploie, mais également au principal client de sa régie. Le journal Libération a vu ainsi par exemple ses revenus publicitaires chuter en 2012 après la publication par la rédaction d'un article peu flatteur sur le dirigeant du groupe de luxe LVMH (perte estimée à 700.000 euros). » Julia Cagé. La plupart des médias, à longueur d'éditoriaux, déploient de trésors de fourberies oratoires afin de discréditer tous les mouvements politiques qui remettent en cause les privilèges des puissances de l'argent, c'est à dire, le capitalisme ainsi que la poursuite d'une croissance économique infinie. « Dans le microcosme qu'est le monde du journalisme, les tensions sont très fortes entre ceux qui voudraient défendre les valeurs de la liberté de la presse à l'égard du commerce, de la finance et du pouvoir politique, et ceux qui se soumettent à la nécessité, font allégeance aux puissants et sont payés en retour … La télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d'une partie très importante de la population. En mettant l'accent sur les faits divers, en remplissant ce temps rare avec du vide, du rien ou du presque rien, on écarte les informations pertinentes que devrait posséder le citoyen pour exercer ses droits démocratiques. » Pierre Bourdieu De nombreuses chaînes, traitent les débats politiques comme une forme de divertissement. La plupart des commentateurs, s'attache bien plus à la forme (l'anecdote, la petite phrase), qu'au fond (les éléments du programme et les arguments qui les justifient). Ils se focalisent sur ce qui fait le buzz, ce qui fait grimper l'audimat, plutôt que de sensibiliser leur public aux faits de société. Hélas, une telle mise en scène drôlatique désintéresse du fait politique ceux qui n’y ont pas déjà été sensibilisés au préalable, et encourage même certains à se focaliser sur des questions plus tristement polémiques, comme les antivacs ou les xénophobes. Et tout ceci, aux dépens des problèmes environnementaux et sociaux qui touchent au bien-être de tous les citoyens, et notamment des plus pauvres. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la montée des nationalismes…
Face à de tels effets de l’argent en politique, que pouvons-nous faire ?
Si l’on souhaite véritablement limiter les effets pervers de l’argent en politique, il va falloir débloquer de l’argent public et créer de nouvelles instances représentatives qui soient à même de faire circuler de nouvelles idées, d’approfondir les débats, et de réduire l’influence des plus fortunés dans nos choix de représentants,en prenant soin de faire accéder à tous les niveaux du système politique des élus représentatifs de toute la diversité constituant le peuple. Par ailleurs, il faudra réformer tout le fonctionnement du système médiatique, sur le modèle des rares médias indépendants, afin de le décorréler de la tutelle de l'argent et permettre l'accession de tous les courants de pensée politiques au même traitement journalistique et au mêmes moyens de diffusion de leurs argumentation politique.