À l'heure où la refonte du code minier est au cœur des débats, une question fondamentale reste périphérique : entre les intérêts des pétroliers, les inquiétudes environnementales et les intérêts de l'État français, que fait-on de la Guyane ? Et si, pour une fois, plutôt que d'opposer les forces en présence, on posait la question de l'avenir d'un territoire ? D'un territoire en attente de développement, et dont le modèle d'évolution économique pèsera nécessairement sur les équilibres écologiques de la France, mais aussi de la planète.
Le véritable enjeux du débat est bien d'inventer un modèle de développement,"intelligent" pour la Guyane, qui dicterait les principes non seulement d'un nouveau code minier mais également de ce "schémas minier marin" tant attendu qui, suite à l'amendement Antoinette adopté dans la loi Grenelle I, est censé fixer les conditions de l'exploitation des hydrocarbures au large de la Guyane. Tout comme le SDOM (Schéma Départementale d'Orientation Minière), encore bien loin du recensement de toutes les ressources minérales exploitables, était censé fixé les conditions d'exploitation aurifère sur terre.
Or, ce qui ressort des diverses positions exprimées depuis l'épisode de la "suspension" [des forages pétroliers par Nicole Bricq avant que celle-ci ne soit désavouée et remplacée par Delphine Batho, ndlr], c'est qu'il se joue ici une vraie guerre de lobbies, au sein de laquelle le gouvernement joue un rôle d'arbitre tout en étant lui-même partagé entre deux pôles d'intérêt. Le discours sur le développement économique de la Guyane n'est peut-être qu'un argument de vente du projet d'exploitation pour les pétroliers, dans lequel les Guyanais vont s'engouffrer au risque d'essuyer de grandes désillusions.Que signifierait, ainsi que le préconisent certains, un moratoire sine-die sur la potentielle exploitation de ressources naturelles telles que les hydrocarbures dans un territoire enclavé, sous-équipé, sous industrialisé où 50 % de la jeunesse est au chômage et où les 3/5ème d'une classe d'âge n'atteignent pas le niveau du bac ? Et qu'a signifié, sous-couvert de désengagement de l'État, cette incroyable injonction au développement endogène lorsqu’a contrario les ressources de ce territoire sont systématiquement, soit traitées comme des réserves placées sous cloche par l'État, soit exploitée au mépris des populations et de leur milieu vital par des groupes extérieurs ?
Dans l'histoire de la Guyane, sans remonter jusqu'au temps des plantations, les exemples plus récents de l'or, des ressources génétiques, du puits de carbone, de la crevette, du vivaneau, ou même du spatial, montrent que la Guyane est une localisation pour plusieurs activités économiques d'importance, mais jamais le territoire même de ces activités, les intérêts principaux de ce qui les commandent étant toujours ailleurs. Dès lors, c'est bien la raison du plus fort entre États, lobbies, grands groupes, qui sera toujours la meilleure. Et cela se reproduira si l'on n'écoute pas les élus, les acteurs économiques et les populations.
La remise à plat du code minier est l'occasion ou jamais de changer l'angle d'approche et de renouveler la gouvernance des grands projets économiques en Guyane. De mettre en regards les intérêts en présence à l'aune d'une vraie vision du territoire, de ses réalités et de ses enjeux. Si le territoire est le moteur du débat, alors la science proposera et la loi imposera des procédés de forage et des modalités d'exploitations les moins polluants possibles ; alors les opérateurs pétroliers n'auront aucune échappatoire face à leurs obligations environnementales. La fiscalité pétrolière dans son taux comme dans sa répartition, sera optimale au regard des besoins du développement du territoire, et permettra même d'anticiper l'inévitable extinction de la ressource naturelle avec des plans de reconversion de la ressource humaine. Plus encore, au delà de la fiscalité, les compagnies exploitantes contribueront à la construction d'infrastructures dans le département au delà des besoins strictes du secteur pétrolier. À cet égard, les échanges récents entre les parlementaires guyanais et le gouvernement sont encourageants quant à la capacité d'écoute de ce dernier, mais il reste un cadre et un cap à fixer pour les négociations futures. Nous avons la responsabilités, nous, élus et parlementaires de Guyane, d'en donner le tempo.
Jean-Étienne Antoinette, sénateur de la Guyane. (in ; journal Libération du 29 juin 2012)