Paru le 01/09/2016 dans le portail legransoir.infos, lien ici :
Dénoncer les traites négrières... oui, mais toutes, pas d'indignation sélective. Il ne faudrait pas oublier certains pays arabes parmi les responsables, ni même certains pays d’Afrique noire, ni certains Africains, Noirs comme il faut, dans d'autres horribles crimes.
Les traites négrières n'ont pas été l'apanage des Européens. Pour être plus exacts, les traites négrières ont été depuis le Moyen âge d'abord arabes, musulmanes, et ottomanes, sans entrer dans les détails de celles de l'Antiquité. Et bien sûr aussi inter-africaines, intra africaines... Depuis combien de temps ? Arabes, venant de l'Arabie heureuse après l'année 622 DC, et Ottomans - dès le 15ème siècle - capturaient et trafiquaient de bons Blancs européens dans les côtes de la Méditerranée, voire venant des terres bien à l'intérieur de l'Europe continentale. C'était toute une industrie, car certains de ces esclaves étaient rachetables moyennant le paiement de lourdes rançons. Le célèbre écrivain espagnol Miguel de Cervantes - El Quijote - en fut l'un de ces esclaves-otages. Cela nous rappelle certaines pratiques bien de nos jours.
Les racismes négrophobes arabes ont précédé, été concomitants ou succédé les trafics esclavagistes arabes ? Ce qui est sûr c'est que ces racismes sont bien la réalité de nos jours et que cela dure depuis quelques centaines d'années, voire plus de mille ans. Racismes et esclavagisme vont de paire. Et les pratiques européennes, espagnoles, portugaises, françaises, anglaises, hollandaise, danoises... sont là pour nous le démontrer abondamment. Le Code noir de Louis XIV, de 1685, est une véritable pièce d’anthologie, car l'esclave africain noir y est bien décrit comme un bien du maître blanc européen, français à l'occasion, un bien meuble, comme une armoire ou un cheval, et les obligations des maîtres y sont fondées dans le pragmatisme, bien intéressées. Il fallait que l'Africain esclave produise le plus, qu'il travaille dans les plantations.
Dans la liste des peuples et pays arabes pratiquant de nos jours le mépris, le racisme effronté, sans complexes, contre les Africains noirs, il ne faut pas être injuste et focaliser seulement les dénonciations sur la Mauritanie, la Libye, l'Algérie, ou le Maroc. Peur d'être désagréables ou un tantinet intéressés pour ne pas en parler, ou en écrire ?
Il ne faut pas oublier dans les listes des pays pratiquant ces racismes négrophobes, voire l'esclavage moderne, par exemple le Liban. La Côte d'Ivoire et d'autres anciennes colonies françaises d'Afrique centrale et de l'ouest ont des communautés libanaises. Et les Libanais au Liban pratiquent ce racisme et de formes d'esclavage de fait avec les personnels africains féminins - mais pas exclusivement - qu'y émigrent en cherchant du travail domestique, et certaines femmes africaines finissent par se suicider.
Mais les ouvriers noirs africains qu'arrivent au Qatar, à Bahreïn, aux Émirats Arabes Unis ou en Arabie saoudite - certes, ce ne sont pas les seuls car les ouvriers asiatiques souffrent aussi du même sort, mais la peau noire est un aggravant ! - subissent aussi des mêmes pratiques, horribles et détestables pratiques. Illégales, mais commisses en toute impunité malgré les dénonciations de syndicalistes, intellectuels et journalistes. Ici, il n'y a pas de CPI, Cour Pénale Internationale, pour poursuivre ces régimes pour crime contre l'humanité, car l'esclavage l'en est un, un crime ainsi bien caractérisé. Elles sont trop riches ces pétromonarchies et de surcroît achètent de l'armement par milliards d'euros à l'Occident, à la France par exemple. La CPI est prévue, réservée, pour les nègres vaincus, ou les petits Blancs, vaincus par l'OTAN, tels les Serbes.
D'ailleurs, sur un autre registre, cette coupe du monde FIFA 2022 au Qatar reste un scandale. Et ne pas seulement de par les conditions d'obtention de ce siège, par le trafic éhonté des voix avec les pétro/gazo-dollars, mais de par les conditions inhumaines de travail des ouvriers qu'y construisent stades et d'autres infrastructures. Tout cela arrive en toute impunité, en comptant sur le silence complice des pays d'Occident, bien habitués à donner de leçons de morale, mais aussi des régimes et élites africaines.
Donneurs de leçons et illégitimité non-sélective
Parlons de quelque chose qui nous indigne spécialement ces jours-ci. Pour protéger qui ou quoi Venance Konan, un journaliste et écrivain ivoirien, basé à Abidjan, signant un article cri-du-cœur dans journal Le Monde le 26 août 2016, titré " Traite négrière occidental et arabe : l'indignation sélective de l'Afrique " (1), s'abstient de charger lourdement dans ses accusations le Qatar, l'Arabie saoudite, le Liban ou l'EAU, par exemple ? Peur de déplaire ? Peur de mettre en danger les investissements attendus venant de ces pays au bénéfice du régime de son mentor, Alassane Dramane Ouattara, le président FMI de la Côte d'Ivoire ?
Mais, puisque V. Konan dénonce les pogroms négrophobes libyens ou algériens et la persistance de l'esclavage noir en Mauritanie, il faut qu'il aille balayer aussi devant la porte de son propre pays, plus exactement devant la porte de l'actuel régime ivoirien, caricaturalement pro-français. Car, pour s'installer au pouvoir en Côte d'Ivoire, ce qu'il réussit le 11 avril 2011 porté dans les bottes de l'armée française, A.D. Ouattara encouragea bien au préalable une rébellion qui installa une guerre civile ouverte depuis le 18 septembre 2002, jetant les populations musulmanes et noires du Nord ivoirien, les Dioulas, Malinkés et d'autres Sénoufos, contre le Sud ivoirien, contre d'autres populations noires, dans la partie la plus peuplée de ce pays, des populations chrétiennes et animistes.
Deux rappels à la mémoire historique forts désagréables et très légitimement indignés pour déconstruire et finir d'abattre l'indignation sélective du journaliste ivoirien V. Konan dans son billet du journal Le Monde. A la fin des combats des rebelles nordistes, ouattaristes, affublés d'un nom bien trop prétentieux, les Forces Républicaines de Côte d'Ivoire-FRCI, des véritables pogroms eurent lieu contre les populations du Sud ivoirien, restées dans le giron de l'autorité de l’État et du gouvernement légitime.
Nous rappelons, entre autres exemples, au moment de la chute d'Abidjan dans les mains des rebelles, les intenses ratissages et massacres, avec tortures et exécutions massives, commis à Yopougon, la plus grande commune d'Abidjan et fief politique "sudiste" - Patriote - qui soutenait Laurent Gbagbo. Ce président "récalcitrant" était en train de se faire déboulonner par la France - rappelons ici que l'armée française avait depuis septembre 2002 un corps expéditionnaire sur le sol ivoirien, baptisé Force Licorne - et les Casques bleus de l'ONUCI. Et vers la fin de la guerre civile ces deux forces expéditionnaires étrangères comptèrent aussi avec les hordes de soudards des forces irrégulières - les FRCI - de la rébellion nordiste, déferlant vers le Sud ivoirien, à la fin mars 2011, Ce furent ces soudards et ses supplétifs qui commirent ces exactions, ces crimes (2). Pas poursuivis ni condamnés... cinq ans après ! En voilà un "oubli" notable, pas le seul, de V. Konan quand il parle de pogroms.
Rappelons aussi le massacre connu le plus épouvantable, qui fut celui de Duékoué, une localité dans l'ouest du pays, près de la frontière avec le Liberia (3). La rébellion nordiste pro-Ouattara avait adoptée l’étiquette Forces Nouvelles pour son armée irrégulière dès 2003, et peu avant la déferlante finale contre le Sud ivoirien elles se muèrent donc en FRCI. C'est sous ce nom que cette armée irrégulière, accompagnée de nombreux supplétifs appelés Dozos, chasseurs traditionnels armés d'amulettes et machettes, investit la ville de Duékoué - ayant plus de 185 000 mille habitants en 2015 - dans le terres des ethnies Guéré et Wés, non musulmanes.
Entre le 27 et le 29 mars 2011, après que la région tomba dans les mains des nordistes, les Guérés furent massacrés, avec un bilan de 816 morts seulement le 29 mars 2011 d'après le Comité international de la Croix Rouge CICR, et plus de 1 000 morts et disparus pour l'ONG Caritas International. Au vu et au su des Casques blues de l'ONUCI, le corps expéditionnaire envoyé par l'ONU, car un bataillon de casques bleues marocains, le "MORBAT", y était posté. La passivité criminelle des Casques blues, qui refusèrent de protéger les Guérés, permit aux rebelles, les FRCI, et ses Dozos, en toute tranquillité de massacrer hommes adultes et jeunes garçons tout d'abord dans le quartier Carrefour, dont les corps furent ensuite brûlés. Les Casques blues s'empressèrent par la suite à entasser et ensevelir les corps de victimes dans trois charniers, gardés dans le secret.
Le journaliste V. Konan ne veut pas aborder tout cela car étant directeur du journal Fraternité Matin à Abidjan, la Pravda du régime d'A.D. Ouattara, il ne veut pas tirer une balle dans le pied de son donneur d'ordres. Ce A.D.Ouattara qui se presse depuis la fin 2014 de protéger son compère Blaise Compaoré, l'autocrate burkinabé tombé en disgrâce et chassé du pouvoir après vingt-sept ans de règne, le responsable de l’exécution de Thomas Sankara. Et bien, dans ce cas on essaye de ne pas donner de leçons de morale aux Africains prétendument couards et lâches qui ne dénonceraient pas traite négrière et les racismes arabes.
V. Konan aggrave son cas. En donnant comme un exemple de mobilisation africaine souhaitable - contre les racismes négrophobes arabes et contre l'indignation sélective africaine - le grand élan africain de mobilisation et boycott contre la RSA, l'Afrique du sud de l'apartheid. Seulement que ceux qui ne sont pas amnésiques ou ignorants de l'histoire de son pays se rappellent que la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët Boigny, FHB, soutint longuement ce minable État raciste (4), ayant même été alliés lors de l'agression du Nigeria en 1967, pour lui arracher ses provinces du sud, le Biafra.
Quelqu'un se rappelle de cette horrible guerre sécessionniste soutenue pas ces deux pays... et par la France de De Gaulle ? Là, pas de chance non plus puisque son patron actuel est A.D. Ouattara, héritier néo-houphouëtiste de F. Houphouët Boigny, ayant été d'abord son premier ministre (et un ancien directeur adjoint pour l'Afrique du FMI) en 1990, jusqu'à la mort l'autocrate à la fin 1993, de l'inventeur du terme Françafrique. Donc Ouattara premier ministre, 1990-1993, d'un pays allié et complice de l'apartheid alors qu'il était toujours bien en place ! Donc, quand on a ce genre de casseroles à trainer, ce n'est pas souhaitable d'attaquer moralement d'autres étourdis et fautifs, si fautifs et criminels soient-t-ils.
Honnêteté intellectuelle et devoirs accrus
L'exigence d’honnêteté intellectuelle et de dignité pour ne pas taire certaines amères vérités historiques, telles la réalité et l'antériorité des traites négrières arabo-musulmanes, et les racismes négrophobes dont les Africains noirs souffrent encore dans les pays arabes de nos jours, donne des devoirs accrus.
L'esclavage de fait en Afrique de nos jours reste parqué dans les sphères domestiques, quoique les réalités contemporaines dans les pays ouest-africains et en RDC nous appellent à bien plus de rigueur, d'exigence. Et la nature des régimes comprador, vassaux, tels celui de la Côte d'Ivoire, nous invitent à réviser ou élargir nos catégories d'analyse. La traite négrière occidentale n'existe plus. D'autres formes de domination existent en Afrique, sournoises ou cyniques, parfois légitimées sous prétexte d'un prétendu "plein consentement" de la victime africaine.
Comment nommer par exemple le fait "post-colonial" - terme ambigu et trompeur - de louer, mettre aux enchères ou de vendre ne pas d'individus en détail mais... un pays entier, ses terres agricoles et forestières, ses mines, la force de travail de tout un peuple, ses sociétés publiques, ses services publics... etc., son patrimoine voire sa souveraineté inaliénable entière ? Il ne s'agit pas là de vendre des esclaves noirs, en détail ou par lots, comme depuis la Renaissance jusqu'au 19ème siècle. On n'arrête pas le progrès, donc aujourd'hui on loue, on met aux enchères ou on vend un pays entier ! Alassane D. Ouattara, agissant en président FMI de la Côte d'Ivoire, est l'un de ces roitelets côtiers modernes, qui met aux enchères, loue ou vend un pays africain entier, un négrier de la globalisation, bien contemporain. Son régime comprador fait au même temps de lui un vendedor.
Nous ne pouvons pas taire ou occulter non plus les traites d'esclaves intra-africaines, ni les haines et racismes des Noirs africains, musulmans ou pas, entre eux-mêmes. Ni occulter que les trafiquants esclavagistes européens pendant les traitres négrières de la période historique, 16ème-19ème siècles, avaient ses relais africains, Noirs africains, ces minables roitelets côtiers négriers pratiquant des razzias pour capturer et vendre ses propres frères, en échange d'armes, d'alcool et de la pacotille... un commerce criminel. Et, de la Côte d'Ivoire à la République Centrafricaine-RCA, en passant par la Sierra Léone, le Liberia, le Nigeria, le Cameroun ou le Mali, voire la propre Afrique du sud de nos jours - rappelons-nous sur un autre registre des pogroms xénophobes en 2015 et avant dans les terres de Mandela - des rebellions ethniques ou religieuses, sécessionnistes ou pas, ont commis d’innombrables exactions, pogroms et massacres.
Les images d'amputations, d’exécutions, d'égorgements, de décapitations et du cannibalisme en Côte d'Ivoire, Liberia, Sierra Léone ou en RCA n'ont pas été tournées en studio. Et les plus meurtrières des guerres africaines, celles en RDC Congo Kinshasa, avec ses millions de morts, victimes africaines d'autres africains bourreaux, sans parler de l'autre paroxysme de l'horreur, les génocides au Rwanda en 1994, avec plus d'un million de victimes, doivent obliger à bien plus d'autocritique et à veiller à "lancer la première pierre" une fois que le constat de légitimité l'autorise. Les jeunes africains de nos jours surtout relèveront les défis, c'est plus que certain.
Luis F. Basurto
28 08 2016
(1) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/08/26/traite-negriere-occidentale-et-arabe-l-indignation-selective-de-l-afrique_4988511_3212.html
(2) https://www.hrw.org/fr/news/2011/06/02/cote-divoire-des-partisans-de-gbagbo-tortures-et-tues-abidjan
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/04/21/yopougon-dernier-bastion-pro-gbagbo-dans-la-bataille-d-abidjan_1510794_3212.html
(3) http://tempsreel.nouvelobs.com/actualite/monde/20110404.OBS0748/cote-d-ivoire-le-temps-des-assassins.html
http://fr.wikipedia.org/wili/Massacre_de_Duékoué l
http://www.slateafrique.com/cote-d-ivoire-duekoue--carrefour-de-la-haine-massacres-ouattara-frci-gbagbo
http://www.rfi.fr/afrique/20110526-rapport-amnesty-international-epingle-onuci-son-inaction-lors-massacres-duekoue
(4) http://www.dialprod.com/memoire/paix.html
"Dès1970, le président ivoirien [Houphouët B.] préconise l'ouverture d'un dialogue avec le pays de l'apartheid". Il recevra John Vorster [président de la RSA], en présence du président sénégalais Léopold Sedar Senghor, à Yamoussoukro [nouvelle capitale de son pays] en 1974.