Ami lecteur, je tiens à partager avec toi une rencontre avec le grand poète Édouard Glissant d'une part et avec son œuvre littéraire d'autre part.
Notre dernière entrevue a eu lieu à Paris au Théâtre de l'Odéon à l'occasion d'un Oratorio (où des extraits du recueil Black-Label de Léon-Gontran Damas furent déclamés avec un hommage musical aux Noirs-Marrons de Guyane) donné par des comédiens, acteurs et musiciens autour de son œuvre poétique. J'avais profité de cette occasion pour lui remettre fraternellement et en toute solidarité un drapo Lagwyann qu'il reçut avec grand plaisir.
Il n'était plus apparu en public depuis cinq longs mois, lui qui animait mensuellement des réunions-proposition, à la Maison de l'Amérique Latine, autour de multiples sujets, de poésie bien entendu mais aussi de philosophie toujours accompagnés d'universitaires scientifiques et littéraires renommés. Il avait pour habitude, sortant de chez lui à deux pas de là, de mettre en débat devant une petite assemblée constituée pour la plupart de membres de l'Institut du Tout-Monde qu'il créa en 2007, sa dernière réflexion.
"Rien n'est vrai, tout est vivant" était le dernier thème qu'il proposa à son auditoire. Plus loin encore, âgé de 19 ans je le rencontrai pour la première fois en 1985 à son domicile du quartier latin. Il était à cette époque Directeur du Courrier de l'UNESCO, entrain d'achever son recueil "Pays-Rêvé, Pays-Réel". À mon départ du Théâtre pour Cayenne le mois dernier je lui assurai que je rapporterai à ses frères Guyanais et à son amie Christiane Taubira-Delannon qu'il s'accroche ferme et ne lâche rien.
Né sur le Morne Bezaudin, un des hauts lieux historiques de la résistance des Nègres Marrons en Martinique, Édouard Glissant, à n'en pas douter, tient de ces origines une détermination et une indépendance qui animent ses écrits traduits dans le monde entier.
En 1961 il fonde avec ses amis Albert Béville (l'écrivain Paul Niger), Marcel Manville, et Cosnay Marie-joseph le "Front Antillo-Guyanais". Après le premier et unique congrès de l'organisation, celle-ci est dissoute le 22 juillet par un décret signé du Général de Gaulle. Glissant se voit expulsé de son pays, assigné à résidence en France et interdit de séjour en Martinique de 1959 à 1965. Il échappera miraculeusement à la catastrophe aérienne de 1962 où périrent nombre de militants Antillais et Guyanais, de l'indépendance et de l'autonomie politique dont Justin Catayée.
Il fonde la revue Acoma et collabore à Présence Africaine. Docteur honoris-causa de l'université York de Toronto en 1989, il est nommé Distinguished University Professor de l'unversité de l'État de Louisiane LSU en 1993, Docteur honoris-causa de l'université des West Indies (Trinité et Tobago), Professeur Honoraire de l'université de Saint Domingue, président honoraire du parlement international des écrivains en 1995, Distinguished Professor of French au Graduate Center de l'université CUNY de New-York et en 2004 Docteur honoris causa de l'université de Bologne.
Il a formulé et développé les concepts de l'antillanité, de la créolisation, de l'identié-relation et du Tout-Monde. Plus de soixante ans d'écriture, romans essais, recueils de poésies, théâtre, plus d'une quarantaine d'ouvrages, sans compter les nombreux prix littéraires qui l'ont distingué, les articles, entretiens, colloques internationaux retranscrits et édités, les documentaires etc...
Un combattant infatigable de la réappropriation de l'Histoire de nos pays, prisonnière de l'autorité française (voir sa pièce de théâtre "Monsieur Toussaint"). Un homme dont on peut lire dans l'Encyclopaedia Universalis qu'il est un des plus grands penseurs de la deuxième moitié du XX ème siècle.
Ce Tailleur-Sculpteur travaille la matière sans relâche depuis plus d'un demi-siècle et les éclats volent blessant les lecteurs les plus réactionnaires et les puristes de la langue française qui s'en agacent, ou éblouissant les témoins de l'oralité créole. Le français est façonné sans ménagement pour lui faire prendre une forme baroque tantôt de Ciel de Case ou de Totem Amérindiens, de Tiki Marquisien, de flèche faîtière Kanak, de Tembé Bushinengué, de Tanbou Kréyol et cela pour dire des beautés ignorées ou oubliées de peuples qui ont accompli leur histoire dans le combat de la liberté de vivre !
Ami lecteur en guise de conclusion, cet extrait de "l'intention poétique" qu'il écrit en 1969 : "Qu'est-ce, un pays, sinon la nécessité enraciné de la relation au monde ? La nation est l'expression, désormais groupée et maturée, de cette relation. Chaque fois que la nation est opprimée, il y a comble de plénitude entre elle et le pays. Quand la nation au contraire tyrannise l'autre, domine la terre, méconnaît le monde comme relation consentie, elle se dénature. Pour quoi certains hommes dans de certaines circonstances choisissent leur pays contre leur nation. Toute poétique en notre jour signale son paysage. Tout poète, son pays : la modalité de sa participation".
Grémési Mouché Édouard Glissant pou sa mésaj-a, nou tout Lagwyann ka ba-ou oun patché fors pou ou pésa kontinyé rédi Solid !!!
Le lien vers le journal politique guyanais d'inspiration ouvrière, Ròt-Kozé ici : http://rotkoze.com