Reconnaissons ensemble que l'acte d'écrire est déjà en lui seul un acte politique en ce que l'écrivain s'exprime le plus souvent dans la transgression de l'opinion dominante. C'est par son positionnement indépendant et solidaire des peuples dominés à qui les injustices sont réservées qu'Édouard Glissant nous a donné l'exemple de celui qui s'obstine à faire triompher la Beauté de la contestation, celle qui édifie l'Histoire et relève la dignité des démunis. Les combats du mouvement de la Négritude étaient alors déjà compris dans la composition de ce que je peux observer comme la première partie de son œuvre. E. Glissant, se démarquant toutefois des adhérences ataviques que l'on pourrait trouver à ce mouvement intellectuel, en conservera une force d'attaque qu'il tournera en création originale notamment en présentant sa thèse de doctorat Ès-Lettres _"Le Discours Antillais"_ qui s'est véritablement imposée à ses pairs universitaires de l'époque qui la reconnaîtront dirions-nous inattaquable !
La deuxième partie de l’œuvre du poète serait l'apaisement relatif des feux nourris qui consacrèrent aux ardues victoires répétées des premiers temps, on pourrait alors trouver chez "Le Vieux Guerrier" comme une vigilance en plénitude éveillée. L'homme, ou tout au moins ce "Massif littéraire" (neuf fois nobélisable) qui par la suite créera l'Institut du Tout-Monde (ITM) échappa à l'institutionnalisation de sa pensée d'éveilleur de consciences, à la sacralité de son écriture-monde, à la pétrification de son "professorat anticolonial" contemporain. En effet, je me réjouis que tout ceci finalement n'ait pas eu lieu, même si je me serai réjouis tout autant qu'il accéda de son vivant à son million d'euros.
Désormais l’Institut du Tout-Monde ne devra pas seulement tenir compte de la dimension poétique suprême d’Édouard Glissant et de son étendue philosophique, mais aussi il lui sera salutaire de ne pas perdre de vue et de protéger la clef de voûte de son architecture personnelle : La résistance ; _physique, intellectuelle, esthétique (tailleur-sculpteur dans le roc de la langue française) et politique ("Je crois en l'avenir des petits pays"- disait-il) _et ce pour ne pas que l'ITM se laisse glisser vers le délicieux piège des mondanités parisiennes attendues.
Depuis la disparition, je dirais maintenant d’Édouard, pas un jour qui m'est accordé ne passe sans que sa pensée libératrice n'entre dans la composition de la mienne pour aller en quête du tremblement du monde _comme il disait aussi qu'y naître est d'une épuisante splendeur_ pour repousser les formes renouvelées des dominations, le colonialisme français ayant démocratiquement repris _tout récemment encore_du service et de plus belle cf Mayotte par exemple.
Mais je reste confiant, car les solidarités du peuple français et internationales existent et augmentent le besoin de liberté de tous.
" Là où les pays opprimés et qui se battent ont la générosité de s'ouvrir à l'Autre, l'espoir de tous se maintient". (E. Glissant in "La cohée du Lamentin").