Alors que la "liberté d'expression" est défendue à corps et à cris par le monde occidental en général et la France en particulier, celle-ci provoque à son tour l'indignation des pays francophones d'Afrique noire et gagne la communauté internationale musulmane. Ainsi s'affrontent deux logiques civilisationnelles antagonistes ; la prétention à l'universalisme laïque, et la défense réactionnaire due à la tournure en dérision du prophète Mahomet. Au delà de ce constat d'ordre général, ne faudrait-il pas plutôt se rendre compte que ce qui est défendable en France ne l'est pas ailleurs dans le monde ? Que le double aveuglement de l'unité de la République et de la laïcité, (la seconde étant l'auxiliaire théorique et pratique de la première) qui est le garant du maintien colonial français sur les trois océans et sur trois continents, n'est plus justifiable et globalisable aujourd'hui. ( Il n'y a curieusement pas de problèmes dus au foulard à Mayotte ! ).
Fabienne qui est une grande, robuste et perspicace mère de famille nombreuse martiniquaise de 35 ans, a vécu de 1983 à 2011 à la Cité des Indes qui s'embrasa lors des violentes émeutes de mars 1991 à Satrouville. Elle déplore la tragédie des derniers jours tout en ne s'étonnant pas du phénomène de radicalisation de certains jeunes musulmans d'origine Nord-africaine qui tentent d'exister dans les cités périurbaines :
"J'ai connu, par le biais de mon neveu, quelques uns de ses potes avec qui j'ai cherché à davantage comprendre la jeunesse de la cité. Je leur demandais ce qu'ils attendaient de la vie et ce qu'ils comptaient en faire. Ils m'ont alors fait clairement comprendre que l'école n'était pas faite pour eux, mais qu'ils étaient assez manuels et débrouillard pour "faire rentrer des lovés" (de l'argent) de façon légale. Mouss par exemple trouva un emploi de reproduction de pièce mécanique de haute précision et son patron était très satisfait de son travail. Seulement à quelques jours du renouvellement de son CDD, Mouss qui se réveillait à 3h du matin (pour cause de ramadan) pour petit déjeuner, pointa à 7h tapantes, jusqu'à l'heure de la pause de midi pour une sieste bien méritée, malheureusement un tantinet trop longue pour pointer avec 5 minutes de retard. Ce qui lui valu la perte pure et simple de son emploi. Malgré les rendez-vous à la mission locale où rien ne leur est proposé, et les multiples lettres de motivation envoyées avec mon aide, cela coinçait à tout les coups avec un prénom comme Moustapha.
Je l'ai alors vu choisir la voie risquée de la facilité (celle de la vente de shit) pour subvenir aux besoins de sa mère et de ses frères, son père étant renté en Algérie pour sa retraite. Après quelques gardes à vues de sommations, il est aujourd'hui privé de liberté (en détention préventive) depuis plus d'un an. Je pense souvent à lui, depuis et davantage encore en entendant parler de la radicalisation qui s'exerce sur les jeunes démunis et fragiles psychologiquement. Je ne peux m'empêcher de faire le parallèle avec les frères Kouachi qui ont grandi sans équilibre familiale (le papa était inexistant et la maman prostituée) et à la merci des humiliations gratuites du voisinage. Humiliations qui se sont poursuivies par la suite au travers des refus successifs d'emploi. Ayant vécu près de 30 ans en cité, et en voyant ce même schéma se répéter et les conséquences s'amplifier année après année, le constat de la soit disant intégration est plutôt destructeur. Si tout ce qui est prévu pour eux avait été accompagné de manière concrète il n'auraient pas cherché de réconfort auprès des recruteurs du djihâd intégriste. Les problèmes ne commencent pas en prison, mais bien avant, et tous ceux qui ont manifesté d'un élan solidaire républicain devrait s'assoir et prendre le temps de penser ce que ces garçons étaient avant de devenir des tueurs.
La France devrait s'occuper de tous ses jeunes, de toutes cultures, de toutes couleurs, et de toutes classes sociales confondues, pour les garder en son sein et éviter qu'ils ne basculent du côté obscure de la force".