Alors que les peuples asservis par la République sont « libérés » en leurs lieux de déportation (par décret le 27 avril 1848), le pays de leur être collectif leur demeure interdit, selon que l’on soit pessimiste, ou leur tend encore les bras pour les optimistes.
Cent cinquante ans plus tard, incité par l’effet d’entrainement de l’active effervescence née de la marche du Comité du 23 mai 1998 à Paris ; je bouclais l’exposition intitulée : « Abolition de l’esclavage, les rapports franco-africains depuis la traite jusqu’à nos jours » (louée par la section UGICT/CGT du Personnel Navigant Commercial, hôtesses et stewards) adoptée pour huit jours par la Commission Loisirs et Culture du Comité d’Entreprise d’Air France (le CE-Lignes) dans les locaux des Opérations Aériennes de la Compagnie à l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle.
Y étaient présentés : une table de bibliographie où figuraient en bonne place, parmi de nombreux ouvrages, Le Code noir ou le calvaire de Canaan, de M. Louis Sala-Molins et une pétition adressée au premier ministre (à l’époque M. Lionel Jospin) pour obtenir de la République, un jour de commémoration sur le sol « hexagonal ». Une présence musicale tonnait et s'imposait par les percussions des tambours Gro’ Ka du groupe guadeloupéen AKIYO.
À ce moment-là et à plus forte raison au cours de ce mois de mai 1998 chacun faisait ce qu’il pouvait à son niveau pour avancer notre visibilité géo-historique sur le plan mémoriel (voire : "Tous les jours de mai" d’Édouard Glissant, commémoration nomade et diffractée, 2008 ; et "Mémoire des esclavages, Édouard Glissant bouscule la commémoration" sur Médiapart).
C’est dans la même veine de mai 1998 que j’écrivais « Rochambeau ! Tes jours sont comptés ! », dans le journal politique guyanais d’inspiration ouvrière «Rot-Kozé », pour tenter de débaptiser l’aéroport international de Cayenne ; cela se produisit… 14 ans plus tard ! C'est au mois de janvier 2012 que la nouvelle aérogare fut inaugurée sous le nom de Félix Éboué.
En septembre 2012 l’article est augmenté d’un passage d’Édouard Glissant extrait de la pièce de théâtre « Monsieur Toussaint ».
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Rochambeau ! Tes jours sont comptés !
Ami lecteur, le nouvel aéroport international dans sa phase d'achèvement occasionne une opportunité de réparation de notre conscience historique que nous devons saisir et qui nous commande de faire le point sans délais sur le nom qu'il porte encore aujourd'hui.
À l'origine, les aérodromes de Matoury et du Gallion furent construits par les Américains au cours de la deuxième guerre mondiale par gratitude envers la France alliée à la guerre d'indépendance des États-Unis (1).
En effet, dépêché par Louis XVI, le corps expéditionnaire français sous le commandement de Rochambeau (Jean-Baptiste Vimeur, Comte de...) et les troupes de volontaires du Marquis de Lafayette, permirent aux colons d'Amérique du nord de se défaire à tout jamais de la tutelle de leur ancienne Métropole européenne.
Rochambeau, tout auréolé de ses hauts faits d'armes, incarne aujourd'hui encore pour les Américains et les Français, une certaine idée du courage et de la solidarité avec l'action légitime que fût la lutte de ses "cousins" Nord-américains pour leur émancipation politique.
En somme un beau tableau d'honneur décerné, de la part d'une jeune puissance coloniale en pleine expansion mondiale, à son aînée la France ; puissance tout-aussi mondiale héritée de l'empire esclavagiste et colonial.
Cette congratulation reconnaissante entre États oppresseurs ne concerne en rien le passé historique de l'actuelle société guyanaise non encore décolonisée. (A yé pa yé wè !) (Ils y voient leur intérêt !)
Il en est autrement du Rochambeau (Donatien Marie-Joseph) très probablement le fils de leur "héros", qui a laissé dans la mémoire de l'histoire des peuples coloniaux Noirs d'Amérique, une somme d'abominations dont la cruauté n'a d'égal que sa barbarie raciste (2).
En effet, il est avéré et établi qu'en 1802, un an avant la capitulation du corps expéditionnaire français pour le rétablissement de l'esclavage à St Domingue (Haïti), Rochambeau, voyant se préciser la défaite à mesure que les jours défilaient, se livra a une à une guerre d'extermination des esclaves révoltés. Les Nègres faits prisonniers étaient systématiquement fusillés, pendus, torturés ; Rochambeau se distingua encore en important "des chiens de Cuba pour donner la chasse aux insurgés" (3) ; dans le vain but de rétablir l'ordre de la société esclavago-raciste, mais rien n'y fît ; les 43.000 hommes dépêchés successivement par Bonaparte pour mater la Révolution Nègre contrôlée par Toussaint Louverture, furent décimés et les rescapés gagnaient le large sans demander leur reste, fin novembre 1804.
Rochambeau : "Fusillez, noyez. La terreur les tiendra tranquilles". Dessalines : "Rochambeau est fatigué de tuer. Il mange les cheveaux de ses dragons. Il mange les chiens qui nous dévoraient. Il mange les rats qui se nourrissent de cadavres sur le sable"(4).
Au vu des atrocités perpétrées par ce forcené à l'encontre des esclaves insoumis, nous ne pouvons plus tolérer, à l'heure de la commémoration de la Révolution anti-esclavagiste, que ce nom, évoquant par trop la sanguinaire répression coloniale , puisse encore symboliser le point d’accueil des voyageurs dans notre pays.
Il n'y pas d'ambigüité pour nous ; l'appellation originelle de Rochambeau est affaire de puissances coloniales. Nous, peuple conscient de la condition qui nous est faite par le système contre lequel nous résistons,
Nous, peuple décidé à reprendre en main la gestion de notre mémoire collective, sommes désormais tenus par le devoir impératif de rebaptiser l'aéroport international dont l'appellation actuelle figure pour chacun comme une tâche de sang impur sur la carte de la Guyane.
Il est encore temps de redresser le tort qui n'a que trop duré, de Réparer l'outrage à la mémoire de notre Histoire faite de luttes de libération toujours en cours.
I grantan pou nou dégaré sa vagabon-a tandé ! (Il est temps maintenant de déloger ce patronyme !)
Melko mai 1998.
(1) - cf : (p45) ; "Histoire de la Guyane contemporaine 1940-1982, Les mutations économiques, sociales et politiques". Serge Mam-Lam Fouck, Éditions Caraïbéennes.
(2) - cf : (p337) ; "Toussaint-Louverture, La révolution française et le problème colonial". Aimé Césaire. Éditions Présence Africaine 1981.
(3) - cf : (p181) ; "La Caraïbe et la Guyane au temps de la Révolution et de l'Empire". Jacques-Adéla¨de Merlande. Éditions Karthala 1992.
(4) – cf : (p142) ; « Monsieur Toussaint », version scénique, 1998, Gallimard.
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Voici qu’aujourd’hui, et c’est tout de même un monde, le chef de l’État, M Hollande, se rend aux Antilles les 9 et 10 mai prochains pour partager la mémoire de la « libération » de nos peuples dont Me Jean Mariema, ancien bâtonnier du barreau de la Guyane nous rappelle qu’ils ne sont désormais plus (« Édouard Glissant n'ayant pu être en mesure de s'opposer aux prescriptions de la loi constitutionnelle n°2003-274 du 22 mars 2013 relative à l'organisation décentralisée de la République dont l'article 72-3 al.1, qui suppriment notre identité de Peuple ayant vocation à gérer démocratiquement ses propres affaires conformément aux préambules (alors inaltérables) des constitutions de 1946 et de 1958. Depuis ces prescriptions de 2013, les Peuples "d’outre-mer" sont désormais remplacés par le mot "POPULATION" comme faisant partie intégrante du seul Peuple français exclusif détenteur de la souveraineté nationale ») qu’une population au sein du peuple français. Assimilation sur brûlis de dévastation identitaire !
JE SUIS UN PEUPLE ! RESTITUEZ-MOI ! Nous échappons à la sanction prévue par la constitution selon laquelle nous sommes désormais un population au sein du peuple français !
Soley’ !
Pièr.