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MÉMOIRES DE L'EAU. "Les songes de nos vivants prennent à l'eau, la source et le sel ! À la terre, le sang et la force ! Au vent, nos sacrifices livrés en confiance. Assez de ces supplices ! Les poèmes ne sont pas fait pour les chiens ! Ils portent nos libertés souveraines ! lls sont le parfum de nos royaumes ! Sois vaillant à la tâche attaquante que nous te confions ! Les dominations nous mitraillent encore mais tu répondras à ce juste tourment du devoir ou détourne toi à jamais de notre appel ! En toutes directions que tu choisisses tu nous reviendras et nos comptes te seront remis ! Pour notre générosité, tiens en partage le calme des eaux !". (Extrait "d'IRACOUBO. L'Épicentre des Eaux", 2014). " MAIS ALORS, LA GUYANE ? Une infinité que nous imaginons gorgée d'eaux et de bois. Les Guyanais demandent que les Martiniquais et les Guadeloupéens les laissent en paix. Nous avons pas mal colonisé de ce côté. C'est pourtant comme une attache secrète que nous avons avec le Continent. Une attache poétique, d'autant plus chère que nous y renonçons. D'autant plus forte que fort sera le poids des Guyanais dans leur pays. Des chants comme des rapides à remonter, des poèmes comme autant de bois sans fond." ÉDOUARD GLISSANT in LE DISCOURS ANTILLAIS (P 775).

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Billet de blog 25 mars 2014

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MÉMOIRES DE L'EAU. "Les songes de nos vivants prennent à l'eau, la source et le sel ! À la terre, le sang et la force ! Au vent, nos sacrifices livrés en confiance. Assez de ces supplices ! Les poèmes ne sont pas fait pour les chiens ! Ils portent nos libertés souveraines ! lls sont le parfum de nos royaumes ! Sois vaillant à la tâche attaquante que nous te confions ! Les dominations nous mitraillent encore mais tu répondras à ce juste tourment du devoir ou détourne toi à jamais de notre appel ! En toutes directions que tu choisisses tu nous reviendras et nos comptes te seront remis ! Pour notre générosité, tiens en partage le calme des eaux !". (Extrait "d'IRACOUBO. L'Épicentre des Eaux", 2014). " MAIS ALORS, LA GUYANE ? Une infinité que nous imaginons gorgée d'eaux et de bois. Les Guyanais demandent que les Martiniquais et les Guadeloupéens les laissent en paix. Nous avons pas mal colonisé de ce côté. C'est pourtant comme une attache secrète que nous avons avec le Continent. Une attache poétique, d'autant plus chère que nous y renonçons. D'autant plus forte que fort sera le poids des Guyanais dans leur pays. Des chants comme des rapides à remonter, des poèmes comme autant de bois sans fond." ÉDOUARD GLISSANT in LE DISCOURS ANTILLAIS (P 775).

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Tony Delsham et Edouard Glissant,entretien à bâton rompu tiré du magazine Antilla n° 1116 du 10/11/ 2004 (Lamentin) Martinique

                     Ce grand entretien entre ces deux chroniqueurs des peuples surdéterminés et de leurs mémoires raturées, _l'un poète/philosophe et l'autre journaliste/écrivain tous deux martiniquais_ est très peu connu du public. Tony Delsham est Rédacteur en Chef de la revue martiniquaise Antilla d'où il est extrait et directeur de la maison d'édition Martinique Editions. Édouard GLISSANT :"Nous n'avons pas dépouillé notre identitité..."

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MÉMOIRES DE L'EAU. "Les songes de nos vivants prennent à l'eau, la source et le sel ! À la terre, le sang et la force ! Au vent, nos sacrifices livrés en confiance. Assez de ces supplices ! Les poèmes ne sont pas fait pour les chiens ! Ils portent nos libertés souveraines ! lls sont le parfum de nos royaumes ! Sois vaillant à la tâche attaquante que nous te confions ! Les dominations nous mitraillent encore mais tu répondras à ce juste tourment du devoir ou détourne toi à jamais de notre appel ! En toutes directions que tu choisisses tu nous reviendras et nos comptes te seront remis ! Pour notre générosité, tiens en partage le calme des eaux !". (Extrait "d'IRACOUBO. L'Épicentre des Eaux", 2014). " MAIS ALORS, LA GUYANE ? Une infinité que nous imaginons gorgée d'eaux et de bois. Les Guyanais demandent que les Martiniquais et les Guadeloupéens les laissent en paix. Nous avons pas mal colonisé de ce côté. C'est pourtant comme une attache secrète que nous avons avec le Continent. Une attache poétique, d'autant plus chère que nous y renonçons. D'autant plus forte que fort sera le poids des Guyanais dans leur pays. Des chants comme des rapides à remonter, des poèmes comme autant de bois sans fond." ÉDOUARD GLISSANT in LE DISCOURS ANTILLAIS (P 775).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce grand entretien entre ces deux chroniqueurs des peuples surdéterminés et de leurs mémoires raturées, _l'un poète/philosophe et l'autre journaliste/écrivain tous deux martiniquais_ est très peu connu du public. Tony Delsham est Rédacteur en Chef de la revue martiniquaise Antilla d'où il est extrait et directeur de la maison d'édition Martinique Editions. 

Édouard GLISSANT :

"Nous n'avons pas dépouillé notre identitité..."

Né en 1928, poète, souvent associé à Saint John Perse avec lequel il prend, néanmoins quelques distances, romancier, essayiste, signataire du Manifeste des 121, vice-président du Parlement international des Écrivain, prix Renaudot 1958, Édouard glissant questionne le devenir d'un monde complexe.

Chantre de la "créolisation" et du metissage culturel , pour lui la rencontre, souvent violente, des peuples et des cultures est aujourd'hui condition d'une nouvelle manière d'être dans le monde, d'une identité enracinée dans un territoire mais riche de tous les terroirs mis en relation. La "relation" est le contraire de la domination culturelle et politique de l'Autre ou du multiculturalisme réducteur.

Entretien à bâton rompu avec Tony Delsham, que nous publierons en trois parties. Édouard Glissant explique ici pourquoi il refuse de figer, d'enfermer la question identitaire, ce que la négritude a eu tendance à faire en se référant à une origine unique pour dégager l'essence d'un "peuple", négligeant ainsi la complexité d'une société martiniquaise traversée par des composantes multiples (nègres, békés, mulâtres, koulis).

Tony Delsham : Il y a quelque trente ans, à une question de Roland Laouchez, alors directeur du Naïf, quant à vos textes qui paraissent hermétiques pour bon nombre de lecteurs, sinon presque tous les lecteurs, vous répondiez : "Je n'écris pas pour la Martinique d'aujourd'hui". Cet "aujourd'hui" est-il arrrivé? Le lecteur martiniquais vous a-t-il rattrapé ?

Édouard Glissant : Lorsque j'ai dit je n'écris pas pour la Martinique d'aujourd'hui, cela ne voulait pas dire que je n'écrivais pas pour la Martinique. Je considère notre situation comme un processus en perpétuelle évolution. Cela ne voulait pas dire que les problèmes de la Martinique ne me semblaient pas dignes d'intérêt.

T. D : A l'époque, l'dée nétait-elle pas : je conçois qu'aujourd'hui, l'on puisse ne pas me comprendre ?

Édouard Glissant : Non, l'idée était : "Cessons de considérer la Marttinique comme un objet." Un pays n'est pas un objet. Si l'on essaie de "trouver de solutions du jour", elles seront peut-être valables pour ce jour là, mais elles seront rapidement caduques parceque n'ayant pas tenu compte du processus d'évolution. La seule manière de combattre la fatalité de combats de coq dans le petit pays qui est le nôtre, c'est d'élargir. D'ailleur, cela se fait désormais : la Martinique d'aujourd'hui est en rapport avec la Caraïbe, beaucoup plus profondément que la Martinique d'il y a trente ans.

La conception identitaire de la négritude

T. D : La négritude a-t-elle participé à cet élargissement ?

Edouard Glissant : Non. La négritude a participé à un rééquilibrage des données internes de la société martiniquaise, guadeloupéenne, etc. A l'époque, être nègre c'était une calamité, ce n'était pas un état. La négritude a rééquilibré les éléments de la société antillaise mais elle en a négligé d'autres. Elle a négligé mulâtre, elle a négligé koulis, elle a négligé béké.

Elle a négligé ce qui fait la constitution et l'essence même de la Martinique.Cette essence, à mon avis, n'est pas le multiculturalisme mais la complexité. La complexité du nègre qui veut devenir mulâtre et éclaircir la peau, mais également du nègre qui refuse absolument ce processus. Historiquement, les mulâtres ont été en avant dans le mouvement d'émancipation.

A la Guadeloupe aussi, de même qu'en Haïti où les mulâtres étaient en avant mais en disant : " les nègres ne sont pas encore prêts, c'est à nous de mener la barque. Autrement dit, une complexité fantastique. Nous étions soumis ou d'accord avec la pensée française, pensée universelle. C'est pour cela que nous avons foncé dans la départementalisation : nous avions envie, non pas d'une pensée française, mais d'une pensée universelle. Or, selons nous, la pensée française était la plus proche de la pensée universelle.

T. D : A la Martinique la négritude n'a-t-elle pas été pénalisée par la référence constante à l'Afrique de la part d'Aimé Césaire ?

Edouard Glisaant : Oui, dans cette tentative de rééquilibration des données du réel martiniquais, où, entre békés, mulâtres, nègres, il avait une disparité extraordinaire. Césaire a pensé que c'est seulement en se réclamant des valeurs africaines que l'on pouvait retrouver une forme d'orgueil et de fierté, mais il ne faut pas dire que Césaire et la négritude sont pénalisés par cela. A partir de 1937-1938, moment où Césaire a écrit Cahier du retour au pays natal, les choses ont avancé. A l'époque les koulis sont invisibles.

Personne ne pense à eux. Maintenant, on commence à savoir qu'il y a eut une déportation des koulis qui était presque semblable à la traite des nègres. La situation ayant évolué, il faut maintenant considérer la complexité des relations entre toutes les composantes de la société martiniquaise, que nous n'avons pas encore dépouillée. Nous avons, parexemple, des positions collectives aberrantes sur la question des békés, mais les békés ont des positions collectives aberrantes sur la question des nègres, des mulâtres, des koulis. Nous ne l'avons pas encore dépouillée pour deux raisons. La première est que nous continuons à fonctionner comme si nous avions des essences : l'essence nègre, l'essence béké, l'essence mulâtre, l'essence kouli. La deuxième chose, c'est que nous n'avons pas encore compris que tous les peuples du mondes s'élargissent.

Peuple identitaire et peuple composite

T. D : Dans ces conditions n'était-il pas prématuré de nous affirmer peuple ?

Edouard Glissant : Il n'était pas prématuré de nous affirmer peuple. La vision prophétique aurait été de nous affirmer peuple composite.

T. D : Sans doute, mais l'application pratique et politique de la négritude à la Martinique a quand même été le renfermement...

Edouard Glissant : Oui, mais lorsqu'on se lance dans ce rééquilibrage comme Césaire l' a fai, il y a forcément es partis pris. En réalité il était faux de s'affirmer comme peuple identitaire. C'est à dire avec l'identité nègre. Il n'aurait pas été faux de s'affirmer peuple composite.

Nègres et mulâtres avons souffert d'une méconnaissance de notre histoire"

T. D : A l'époque nous n'avions pas tous les éléments de notre propre dossier, mais tout de même ! Il est bien arrivé un moment où l'un pères de la négritude, domicilié à la Martinique et régentant la pensée martiniquaise, aurait dû redresser la barre et na pas tolérer, par exemple sur les murs de Fort-de-France, des inscriptions du genre : "Non à la mulâtraille" ?

Edouard Glissant : Nègres et mulâtres avons soufferts d'une méconnaissance de notre histoire. Les mulâtres de 1956 ignoraient ce que les mulâtres ont fait et ce qu'ils ont souffert pour l'émancipation de ce peuple là. Ce n'est pa sseulement les nègres qui les ignoraient. Les mulâtres eux-mêmes les ignoraient. Les mulâtres de 1956 pouvaient être perçus comme une mulâtraille.

On ne savait pas tous les martyrs, on ne savait ce qui s'est passé à la Guadeloupe, à la Martinique, en Haïti, etc. Il ne faut pas leur reprocher d'avoir été sur des positions racistes, les mulâtres de ce temps-là étaient eux aussi sur des positions racistes.

T. D : Mais je maintiens, il est arrivé un moment d'une réappropriation de ce passé, peut-être qu'à ce moment là, fallait-il dire "stop" ? Amimé Césaire pouvait le faire...

Edouard Glissant : Non. Le rééquilibrage tené par la négritude s'en remettait à une conception identitaire. Une fois lancée, il est difficile d'abandonner une telle démarche.

La négritude, une étape nécessaire mais à dépasser

T. D : Oui, mais le mécanisme normal d'une démocratie est bien que les nouvelles générations bousculent l'existant. En France, apr exemple, dès après la Révolution de 1789, il est rare de trouver des concepts figés comme l'a été la négritude penda,t un demi-siècle et qui, faute de s'adapter, disparait.

Edouard Glissant : Vous négligez, peut-être, que dans une société comme la France il n'y a jamais eu d'opposition qui ne soit pas sociale. Elles ont toutes été sociales. A part l'épisode Dreyfus, il n'y a jamais eu d'opposition raciste. Il n'y a jamais eu de moment où une race en a dominé une autre. C'est une différence fondamentale. Au temps de Zola, la classe ouvrière était ramenée à l'état de bête, mais il n'y avait pas une race néantisée par une autre, en tant que race. Le problème, chez nous, a été dévié à cause de la question de la race.

T. D : Il n'est donc pas arrivé un moment où, chez nous, le nègre s'est dit : "cette est terminée, je ne suis plus une race néantisée, tout cela c'est du passé " ?

Edouard Glissant : Cela se dit aujourd'hui. Le premier moment où la société martiniquaise vire sa cuti, c'est en 1946 oùl'on se dit que, finalement, on est tous des citoyens français. Cela voulait dire que nous sommes universels et que les noirs n'ont plus à se sentir inférieurs. De 1946 à 2004, ce n'est pas beaucoup de temps ! C'est le temps d'une vie d'homme et on ne peut dire : cela aurait pu arriver plus tôt. D'auatant plus, qu'il y a eu des implications politiques de la part des mulâtres qui sont devenus maires ou sénateurs. En 1940, Vichy a mis un frein à cela, les mulâtres ont été beaucoup plus combattus que les nègres. Pour Vichy, l'ennemei c'était les mulâtres. Ensuite, cela a été aux nègres de faire cet apprentissage.

T. D : Au moment où nous parlons, peut-on dire qu'il existe une identité martiniquaise, bien qu'en ce qui vous concerne vous affirmiez qu'il ne faut pas s'arrêter à la notion d'identité, invention de l'occident ?

Edouard Glissant : A mon avis, en ce moment, il y a un peuple martiniquais. Mais les peuples, ce ne sont pas des objets. Vus pouvez être un peuple sans le savoir. Il peut y avoir un peuple martiniquais mais qui ne se pense pas en tant que peuple. Il ya un peuple martiniquais qui est un peuple composite et non un peuple identitaire.

C'est difficile à concevoir parceque nous sommes éduqués, nègres, békés, mulâtres, danq l'idée que nous ne pouvons exister que comme peuple identitaire. Les indiens, par exemple, vont en Inde en pélériginages, ils ramènent des images, ils organisent des cérémonies, tout cela est très identitaire, mais nécessaire à un moment. De même que la négritude a tété nécessaire à un moement, mais le pas suivant est de se persuader que l'on ne se dilue pas lorque l'on recoit quelque chise de l'autre.

"La créolité a échoué..."

(2ème partie)

Deuxième partie de l'entretien mené par Tony Delsham avec Edouard Glissant. Au delà de la négritude, étape nécessaire mais qui fige et enferme la socité martiniquaise dans une conception identitaire essentialiste, la créolisation proposée par Edoaurd Glissant prens en compte "le composite de notre être", l'inextricable et la complexité _ la créolité n'est pas la proposition d'une "essence créole". D'où ce "Tout-Monde" en perpétuelle évolution, précipitation ou multiplication, à l'insatr des Atats-Unis.

T. D : Le pas suivant esy-ce la créolité ? Cette créolité, est-ce une nouvelle proposition ?

Edouard Glissant : L'idée de la créolité est que nous sommes un peuple composite. C'est une idée juste. L'erreur est de croire que ce composite est une essence. Il n'y a pas de composite qui ne soit en perpétuelle évolution. Nous ne savons pas ce que nous allons découvrir en nous-mêmes comme possibilité de dépassement. Il faut carrément refuser l'idée qu'existent des peuples identitaires et figés. C'est difficile, parcequ'il y a encore dans le monde des peuples à qui l'on refuse leur identité. Comme par exemple les Palestiniens.

T. D : Ce n'est pas notre cas ?

Edouard Glissant : Non, ce n'est pas notre cas ! Dans notre cas, il n'y a aucuen guerre, aucun massacre. Aucun génocide. Ce qui nous empêche d'être nous-mêmes, c'est la difficulté de prendre en compte le composite de notre être. Personne ne nous tue comme on tue les Palestiniens ou les Gitans de Yougoslavie ou les Tchétchènes.

T. D : Le résultat est sans doute le même ?

Edouard Glissant : Le résultat n'est pas le même. Lorsque l'on massacre un peuple au nom de son identité, ce peuple s'agrippe férocement à cette identité propre. Nous ne nous agrippons pas férocement à notre identité, parce que nous ne l'avons pas dépouillée.

T. D : Oui, mais la douleur est la même, malgré l'absence d'un génocide qui nous éliminerait physiquement, un génocide par substitution aurait dit Césaire ?

Edouard Glissant : La douleur est la même à ceci près : ce n'est pas l'autre qui nous empêche  d'accéder à cette identité . C'est nous-mêmes ! Le colonialisme français a tout fait pour que nous soyons maintenus dans un état d'indistinction, d'indécision, mais ce n'est pas l'autre qui nous empêche d'accéder à cette identité.

Même les peuples que l'on massacre, petit à petit, en viennent à cette identité composite. Des indiens du Mexique qui se battent pour leur identité m'ont écrit pour me dire qu'ils ne voulaient pas faire un Mexique Indien, mais un Mexique créole. Ce que l'on peut reprocher à la négritude, ce que l'on peut reprocher à une position sur les mulâtres, ce que l'on peut reprocher assurément aux békés, c'est d'avoir une conception atavique. Ces conceptions ne marcehnt plus dans le monde. Lorsque je dis que le monde se créolise, je ne veut pas dire qu'il devient créole comme nous. Je veux dire qu'il deveint inextricable. Complexe. L'essentiel de la Créolisation ce n'est pas de faire des êtres créoles, mais des situations complexes et composites. C'est pourquoi le créolité ne marche pas. La créolité ne comprend pas que ce composite est en perpétuelle évolution.

Le Martiniquais n'est-il pas exclu du Tout-Monde ?

T. D : Pour moi, le Tout-Monde que vous proposez est constat de l'étant fait par un spécialiste ayant additionné les lieux, appréhendé les atavismes et leurs conséquences au point d'être en mesure d'y renoncer. Toutefois, martiniquais, ne suis-je pas désarmé, moi qui, avec des pulsions moyenâgeuses, suis encore au stade de me demander qui je suis ?

Edouard Glissant : Le monde a toujours existé comme rêve. Les occidentaux ont toujours voulu conquérir le monde avec des prétextes. ils disaient : "on va civiliser des sauvages". En la matière, les poètes étaient en avance. Rimbaud, par exemple a rêvé le monde. Son rêve était une préfiguration de la colonisation. Ceux qui se sont lancés dans la conquête du monde, et c'est là la contradiction de la colonisation, ont contribué à faire le Tout-Monde, comme unité et...diversité. Allant à l'encontre de l'idée première de la colonisation qui était de faire du monde : ou bien un monde français, ou bien un mode anglais, ou bien un monde espagnol, etc. Il y eu des fortunes diverses, chacun ayant suivi son chemin. ce qui se passe actuellement, contrairement à l'époque où les poètes Rimbaud, Mallarmé ou les poètes allemands rêvaient du monde, le Tout-Monde nous est donné avec une vitesse, une précipitation et un contact immédiat. Un cyclone approche de Haïti, nous sommes dedans ! Nous le voyons avancer. Il ya un retentissement immédiat sur notre sensibilité, sur notre intellect, sur notre subconscient. C'est une donnée nouvelle. Plus personne n'a le temps. Cinq cent ans, c'est le temps mis par les Wisigoth pour arriver à la Méditerrannée et constituer un royaume en Espagne. Dans cette situation nouvelle, les peuples ataviques, c'est à dire les peuples qui déjà réalisé leur système d'identité, et les peuples composites, c'est à dire les peuples résultats de l'Histoire et non d'une genèse, sont également jeunes dans le Tout-Monde. Le Tout-Monde ne peut permettre que l'on prenne avantage de son atavisme ou de son caractère composite, pour dire nous sommes les meilleurs ou les mieux placés. Aujourd'hui, si nous faisons abstraction des guerres et des massacres, un Français ou un Américain n'est pas plus apte à comprendre ou à évoluer dans le Tout-Monde qu'un Irakien ou un Lapon. Pour nous Martiniquais, les difficultés que nous avons à dépouiller notre système d'identité ne constituent pas un handicap dans le Tout-Monde.

T. D : Ne suis-je pas là face à une affirmation théorique ?

Edouard Glissant : Non, pas du tout !

T. D : Tout de même, notre questionnement actif date d'une cinquentaine d'années. Avant, cela fonctionnait selon l'ordre établi et puis on a titillé en moi des choses que je sentais bouilloner...

Edouard Glissant : Pire que cela, on a suciter en vous le désir d'être une identité unique.

T. D : Sans doute, mais de façon plus brutale que partout ailleurs parce que je suis, certes un petit pays, mais avec le fracas du monde _ pas pas uniquement le fracas européen, mais également le fracas indien, le fracas africain, le fracas caraïbe_ , je ne suis pas nommé, en tant que peuple. Nulle part, je n'ai un acte de naissance officialisé.

Edouard Glissant : Cette façon de voir est un héritage de ce qui a été inculqué. On vous inculqué qu'il vous faut un acte de naissance. La La plus grande puissance du monde aujourd'hui, c'est les Etats-Unis. Or ce n'est pas un peuple atavique, c'est un peuple composite.

T. D : Oui, mais peut-on affirmer que la composante noire a la même importance ?

Edouard Glissant : Non bien sur ! Les Etats-Unis n'ont pas encore réglé le problème de leur identité parce que depuis leur existence ils sont dominés par une majorité WASP (hite Anglo Saxon Protestant). La coalition contre l'Irak montre la présence des WASP, c'est à dire de l'Angleterre; les Etats-Unis et l'Australie, qui sont aidés par des gouvernements fondamentalistes catholiques : l'Espagne, l'Italie et la Pologne. Les autres, c'est accessoires. C'est sûr que les Etats-unis n'ont pas encore réglé le problème de l'identité. La commaunuté noire est séparée de la communauté italienne, qui est séparée de la communauté juive la communauté écossaise, etc. Or, en ce moment, il y a une précipitation fantastique : Il y a eu la constitution d'une communauté hispanique, qui n'existait pas auparavant, constituée dans les trentes dernières années. Cette communauté a dépassé la communauté noire sur le plan démographique. Il y a donc une multiplication de la société étasunienne qui fait, qu'aujourd'hui, la domination WASP, de plus en plus, s'effrite.

T. D : Oui, mais en dépit de l'affirmation de ces communautés, je constate tout de même, qu'il y a une autoité américaine toute puissante, il y a un drapeau unique américain, et c'est ce drapeau-là qui entend imposer sa domination.

Edouard Glissant : Oui, mais réfléchossons ensemble à quelque chose, cela sans faire de prophétie, mais il est absolument probable que dans peu de temps la communauté californienne va se séparer des Etats-Unis.

T. D : Voulez-vous répéter cela en répétant la ponctuation ?

Edouard Glissant : Dans peu de temps, la communauté californienne va se séparer des Etas-Unis. En ce moment, les statistiques le démontrent, la Californie est considérée commétant le cinquème Etat du monde. Juste avant la France. Economiquement, culturellemnet, socialement etc. On considère de plus en plus la Californie comme un Etat. C'est la multiplication du Tout-Monde. Un Etat comme la Californie, avant d'être une nation, est déjà considéré comme une entitié, déjà séparable de l'entité étasunienne.

T. D : Oui, mais l'exemple de la Californie où je vais peut-être trouver réponse à mes préoccupations martiniquaises, d'où vient cette pensée collective qu'elle aurait et que je n'aurais pas, moi, à la Martinique ?

Edouard Glissant : La puissance économique de la Californie favorise la précipitation, mais ce qui la caractérise c'est la multiplication. c'est un Etat où il ya a  peu près 40% d'hispaniques, 40% de blancs, trois millions de japonais, le composite même de la Californie fait qu'il est déjà différent des Etats-Unis.

 "Contre-offensive de l'unicité, prenant appui sur l'ethnie blanche ? "

(3ème et dernière partie)

Troisième partie de l'entretien mené par Tony Delsham avec Edouard Glissant. Après la négritude, étape nécessaire mais qui a buté sur une conception figée (donc réductrice) de l'identité martiniquaise, Edouard Glissant avance la notion de créolisation pour s'approcher au mieux d'une société composite et complexe. Il réaffirme la pertinence de ce "Tout-Monde" inextricable, en perpétuelle évolution, dans lequel les diversités se multiplient (autant dans les petis pays déjà composites que dans les grands pays continentaux qui s'"archipélisent").

Assumer une identité composite sans chercher des bases stables et ataviques est la condition pour sortir d'un schéma de domination devenu illégitime et voir les peuples du monde s'élargir.

(Edouard Glissant vien d'epliquer ce phénomène de "multiplication" du Tout-Monde, qui amènera peut-être la Californie à se détacher des Etats-Unis)

T. D : Le Tout-Monde a quand même besoin d'une addition de lieux constitués, formatés...

Edouard Glissant : Pas forcément ! Le Tout-Monde n'a pas forcément besoin de formatage. L'inextricable du Tout-Monde fait que les relations peuevent être absolument imprévisbles. On peut être en connexion, en réaction, avec des endroits insoupçonnés par-dessus même les frontières des Etats-nations. A l'heure actuelle, personne ne peut dire ce qui va se passer réellement en Europe. Est-ce que l'Allemagne et la France vont former un seul bloc ? Est-ce que l'Angleterre va se séparer ou au contraire penser de plus en plus constitutions européenne ? Personne ne peut le dire.

T. D : En réalité, ne sommes-nous pas face à une recomposition, l'unicité ?

Edouard Glissant : Pas du tout, l'Europe de l'Est entrant dans le bloc européen, c'est la tradition des Mongols, des Huns, des Wisigoths, qui n'a rien à voir avec la tradition des francs et des Latins. Au contraire, on multiplie les diversités.

T. D : Certes, mais dans le Traité du Tout-Monde, vous signalez qu'aux Etats-Unis : "opprimeurs et opprimés eurent besoin de se référer à l'ethnie comme unicité ou valeur." Nous assitons peut-être à la tentative d'une réaffirmation de l'ethnie blanche, cette fois forte de toutes les nations blanches qui, aujourd'hui, ne se font plus la guerre. Ce searit un mode opératoire plus efficace pour affirmer l'unicité, non ?

Edouard Glissant : Non, ce n'est pas ce qui se passe en Europe. Si l'Europe intègre la Turquie, ce n'est pas l'ethnie blanche qu'elle intègre.

La Martinique, culture composite qui ne se reconnait pas comme telle"

T. D : La Turquie est blanche...

Edouard Glissant : La Turquie est asiatique, est musulmane, est slave. Faut-il, une base, un fondement pour entrer dans le Tout-Monde ? Le Tout-Monde ne serait-il pas ceci ou cela ? En fait, c'est cela, votre question. A cela je réponds : le Tout-Monde, personne ne peut dire ce qu'il sera. Nous pouvons évaluer la situation actuelle, mais ne pouvons prédire ce qui va être. Je crois que les petits pays achipéliques seront très importants et les grands pays continentaux s'archipélisent. Nous ne pouvons exiger, d'abord des bases stables, ensuite des prédictions stables au point de vue de notre identité. Il faut oublier l'aventure du monde et par conséquent évoluer, changer, nous transfomer dans cemouvement généralisé. C'est en acceptant cela que nous pouvons nous assumer et non pas en essayant des périodes identitaires ou des mécanismes d'évolution.

T. D : D'accord, mais le constat d'huissier est tout de même une Martinique qui, d'une part en est encore à demander à la France de reconnaître son identité et sa réalité de peuple à travers des élus de gauche et, d'autre part, à travers une majorité d'électeurs, refuse de se singulariser en acceptant l'idée d'être peuple. "Assez de lamentos !" s'écrit Mathieu Béluse. Ce temps, n'arrivera-t-il jamais pour nous?

Edouard Glissant : La Martinique est l'un des cas type de culture composite qui ne se reconnaît pas comme telle. Deuxièmement, elle est encore prisonnière de ce que j'appelle les mécanismes des statuts. En effet, elle a souvent confondu statut et identité. Je suis indépendantiste, dons je suis pour une identité pure et dure. je suis autonomiste donc je suis pour une identité qui compose avec la France. Ou je suis départementaliste et je me considère comme une identité française. Il me semble qu'il faut séparer tout cela. il ne faut pas être victime de notre histoire coloniale. S'il y a des rapports possibles avec l'Etat français, je ne suis pas contre. A condition d'avoir une indépendance de la pensée. Quand je dis : Je suis indépendantiste, ce pas pour avoir un Etat indépendant. Il sera beaucoup plus facile pour nous d'obtenir le statut qui nous conviendrait, lorsque nous auront séparé les deux. Moi, je rêve d'une Nation Caraïbe. Pour l'heure, tout sépare ces pays-là, mais ce n'est pas impossible. L'Aquitaine était une réalité économique traditionnellemnt ocuppée par les Anglais..

Le penseur, le politique et l'acteur

T. D : Depuis la cale du bateau, sommes-nous sûrs du côté imprévisible du Tout-Monde, ne sommes-nous pas condamnés à attendre ?

Edouard Glissant : Non. L'imprévu ne veut pas dire qu'il faut attendre. Je dis : Agis dans ton lieu, penses avec le monde. Fanon a pensé avec le monde, mais il n'a pas agi dans son lieu. Il y a des gens qui agissent dans leur lieu, comme Césaire, mais qui ne pensent pas dans le monde.

T. D : Qui doit être l'acteur, le guerrier : est-ce le politique, ou le penseur lui-même ?

Edouard Glissant : La fonction du penseur est fondamentale. L'élu n'a pas le temps et les moyens de réfléchir. Il est obligé de consacrer toutes ses forces à l'obligation de se faire élire. C'est d'ailleurs pour cela qu'il est aussi fière de sa légitimité. Le problème est qu'il passe tellemnt de temps et dépense tellemnet d'énergie à se faire élire qu'il est vidé pour le reste. Ce n'est pas une critique, c'est un constat. Il faut des gens dégagés de la nécessité de se faire élire pour pouvoir penser les problèmes. Cela ne veut pas dire que ces derniers vont donner des instructions, mais quelqu'un qui pense les problèmes de proximité, les problèmes des peuples dans la Caraïbe ou tout autre sujet, est très important. A condition qu'il ne se prenne pas pour le meneur de qoui que ce soit. j'ai toujours essayé de ne pas être un meneur.

T. D : C'est bien pour cela je pense, que les propostions du Tout-Monde ne font pas injonction comme la négritude et la créolité...

Edouard Glissant : Oui, je ne fais pas d'injonction. Je peux apparaître comme très loin du concret, mais je constate que les idées que je développe ont un retentissement incroyable dans le monde. En Allemagne, en Italie, au Canada, en Amérique Latine...

La domination est illégitime"

T. D : Néanmoins je ferais un commentaire quant au Traité du Tout-Monde, qui qui nous propose de cesser de nous opposer mais de nous apposer. Cela finalement sur un tronc devenu commun mais tout de même imposé par ceux-là mêmes qui ont génocidé, esclavagisé, colonisé. Voilà virginité providentielle pour ces derniers.

Edouard Glissant : Je ne suis pas d'accord avec cette vision. Je trouve que les anciennes cultures ataviques, à l'heure actuelle, sont beaucoup plus anxieuses de leur situation dans le monde que les cultures composites.

T. D : Forcément, elles n'ont pas de pétrole.

Edouard Glissant : Pas seulement pour cela ! Il y a une manière de vivre le monde qu'elles nous pas apprise parce qu'elles ont vécu dans la domination du monde. Les ancien peuples dominés ont une manière beaucoup plus alerte et beaucoup plus vivante de vivre le monde, parce qu'ils n'ont pas créé l'habitude de dominer le monde. D'autre part, lorsque tu dis que l'on appose sur un tronc  qui est là, qui reste ! Ce n'est pas vrai. Parce que ce tronc-là n'existe plus. Ce qui existe actuellement c'est la force brutale, la force militaire et économique des Etats-Unis.

T. D : Le tronc a toujours été imposé par les armes non ?

Edouard Glissant : Le tronc imposé était le tronc spirituel, intellectuel. La domination économique a été imposée par les armes, mais à l'heure actuelle il n'y a aucune légitimité qui permet d'expliquer la guerre d'Irak, tandis que l'Angleterre et la France au XVIIIème et XIXème siècle avaient une légitimité qui expliquait qu'elle apportait la civilisation aux sauvages d'Afrique. C'était une légitimité que n'ont pas les Etats-Unis. Ils ont la force et personne dans le monde ne croit à une légitimité, sauf que la plus grande partie des pays dominés dans le monde est fascinée par le rêve américain, c'est à dire : l'abondance, le dollar, etc.

Le problème actuel dans le monde n'est pas de se dire : je n'ai pas une identité fixe, offisialisée, donc si je participe à ce composite du monde, je vais être dilué et disparaître. Ceux qui disparaîssent sont ceux qui n'ont pas encore accepté le composite parce qu'ils se rattachent de manière farouche à l'atavisme.

Fin de l'entretien réalisé par Tony Delsham.

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