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Il y a les gaz à effets de serre, responsables du dérèglement climatique en mettant la Terre sous cloche, il y a aussi la pensée de Michel Serres, la pensée positive de ce philosophe humaniste qui réchauffait l’âme en ces temps où le catastrophisme ambiant mine le monde, entre les menaces que font peser l’extinction des espèces, le désordre climatique qui échappe à tout contrôle, la mise en danger de la démocratie partout dans le monde de par la résurgence des nationalismes, la montée des populismes, la montée en puissance des autocrates, sans parler de la remise en question de la vérité des faits dans la transmission de l’information par les médias traditionnels par la désinformation organisée, fomentée par l’intermédiaire des réseaux sociaux.
Éclectique, d’une curiosité insatiable, Michel Serres, émetteur d’une pensée résolument positive, s’employait à lutter contre l’illusion rétrospective selon laquelle « c’était mieux avant ».
Il y a un distinguo à établir entre une pensée positive et une pensée optimiste. La pensée positive consiste à concevoir le sujet pensant comme sujet de l’action de vivre et non pas comme assujetti à la réalité qui nous imposerait ses conditions. La pensée optimiste, elle, consiste à ignorer délibérément la partie du verre vide pour ne considérer que la partie pleine et à déformer la réalité objective pour qu’elle corresponde aux vues du sujet de sorte qu’il n’ait pas à souffrir. La pensée optimiste est une pensée opiacée pour voir le monde en rose, par incapacité à affronter la réalité, la pensée positive une pensée qui inscrit le sujet dans l’action, pour agir et non pas subir.
Michel Serres, un Socrate français selon le philosophe Vincent Cespedes, qui interrogeait le présent et regardait toujours vers l’avenir, était un tenant du gai sçavoir, d’une « philosophie joyeuse » pour reprendre la formule de Jack Lang. Lauréat du prix Médicis en 1985 pour Les Cinq sens, son succès populaire viendra en 2012 avec Petite poucette, ouvrage consacré à l’avènement de l’ère numérique (avec ce clin d’œil ironique pour le développement de l’usage du pouce s’agissant de la pratique informatique dont certaines personnes sont devenues des Paganini accomplis).
Pendant 14 ans, il anima avec le journaliste Michel Polacco une chronique dominicale sur France-Info baptisée Le sens de l’info. D’une érudition qui semblait sans limites, il était capable de disserter avec finesse, justesse et intelligence sur à peu près tout. Sa voix, chaleureuse et rocailleuse, qui gardait son estampille du sud-ouest, avait ce timbre d’authenticité marqué du sceau de la bonhomie gasconne. Une voix qui va terriblement manquer à tous ceux qui sont épris de l’esprit quand il déploie son envergure pour se laisser porter par les alizés de la curiosité. Michel Serres avait cette qualité rare d’inviter tous ceux qui le souhaitaient à la table de son érudition bienveillante, de son étonnante capacité à capter l’entendement d’autrui par l’éternelle jouvence de sa pensée en permanence revivifiée. En recevant le Verbe de Michel Serres, chaque dimanche, on avait un peu le sentiment de communier, de participer à un genre d’eucharistie laïque où les espèces des mots les plus simples étaient changées en or.