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Billet de blog 2 juillet 2013

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Pas de printemps pour la poésie

Il semblerait que la quinzième édition du printemps de la poésie ait failli ne pas éclore cette année faute de financement. L’hiver à rallonge y est certainement pour quelque chose, qui fait que même les rosiers grimpants de Pierre de Ronsard aux délicates fleurs blanches lisérées de rose ont vu leur floraison retardée d’au moins un mois, en tout cas dans les hautes terres du Livradois, pays secret qui ne se livre que du bout des doigts.

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Il semblerait que la quinzième édition du printemps de la poésie ait failli ne pas éclore cette année faute de financement. L’hiver à rallonge y est certainement pour quelque chose, qui fait que même les rosiers grimpants de Pierre de Ronsard aux délicates fleurs blanches lisérées de rose ont vu leur floraison retardée d’au moins un mois, en tout cas dans les hautes terres du Livradois, pays secret qui ne se livre que du bout des doigts. Cette manifestation culturelle, dont Jean-Pierre Siméon, estampillé poète et dramaturge, est le directeur patenté, a été lancée en 1999 par Emmanuel Hoog et Jack Lang, grand créateur d’événements devant l’Éternel, à qui on doit aussi la fête de la musique. Les trois premières éditions du printemps des poètes furent placées sous le patronage d’André Velter, poète de l’Ardenne ardente qui collectionne les prix, un voyageur parti en quête de sens sur le Toit du Monde à la fin des années 80, dans cette région en altitude qui fait que l’on prend de la hauteur sur les choses de la vie. Mais revenons au plancher des vaches.   

D’après le bilan de l’édition 2013, le printemps des poètes aurait placé la poésie au cœur de quarante villes et villages grâce au label « ville en poésie », sans doute pour agrandir le bouquet des label made in France où l’on trouve celui des « villes fleuries » ainsi que des « plus beaux villages de France ».  Et le directeur de la manifestation printanière de déclarer : « La poésie est toujours l’occasion d’un éveil de la conscience ». Certes. Mais quel sens faut-il voir dans cette manifestation institutionnelle sous perfusion du ministère de l’Éducation nationale ?   Le printemps des poètes, comme si la poésie était fonction des saisons et qu'elle fleurait bon au printemps... On apprend d’ailleurs que la seizième édition du printemps serait sur les rails sous réserve que les arbitrages 2013 du ministère de l’Éducation nationale permettent de poursuivre l’action. Alors, le printemps des poètes, le printemps des peut-être ? 

À quoi tout cela rime en vérité, quand on sait que l’édition de la poésie en France est à l’agonie, que 99,9% des citoyens du pays de Rimbaud ne lisent pas de poésie ? La poésie vivante existe, mais à la marge seulement, elle fleurit dans des publications confidentielles. Dans le monde de l’édition, la poésie qui se vend, c’est celle des herbiers, celle du passé où les vers sont soigneusement séchés. La seule poésie qui se lit est la poésie sous verre. Le reste ressort du fantasme et s’apparente à une opération culturo-touristique. 

D’ailleurs, la véritable poésie est étrangère à la mode ou au cirque médiatique. La poésie, du grec poien, « créer », désigne avant tout un état de réception, un état de perception du monde.  Être poète, c’est entretenir un rapport particulier au réel, une posture dont peut découler l’écriture de poèmes, mais pas nécessairement. Un poème est le fruit de cet état-là, de même que la pomme est le produit d’un pommier. C’est une transmutation naturelle, une alchimie fluente qui fait que le pouvoir des mots opère sur le mouvoir des peaux, pour reprendre la belle formule de Khal Torabully, poète mauricien.  À notre époque, la plupart des gens qui passent pour poètes sont des paons de salon qui font parler la langue comme d’autres extorquent des aveux à des prisonniers, des volatiles aux plumes impeccables qui ravalent le monde à la basse-cour de leur ego hérissé de décorations. De l’état de poète, voilà ce qu’en dit le poète Pierre Reverdy dans Cette émotion appelée poésie (aux éditions Flammarion).

«  Le poète est un transformateur de puissances — la poésie, c’est du réel humanisé, transformé, comme la lumière électrique est la transformation d’une énergie redoutable et meurtrière à haute tension. Au réel vrai le poète substitue le  réel imaginaire. Et c’est le pouvoir, ce sont les moyens d’élever ce réel imaginaire à la puissance de la réalité matérielle et de la dépasser en la transmuant en valeur émotive qui constitue proprement la poésie »

«  La conscience spécifie l’homme. Le degré de conscience spécifie le poète. »

En regard de cela, tout le reste n’est que caquetage. Et ce n’est pas Hitchcock qui me détrompera.   

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