Toute cette affaire sur l’emploi sans doute fictif de la femme de François Fillon laisse songeur quand on essaie de prendre un peu de recul par rapport au tumulte des révélations qui s’enchaînent, pareilles à une suite de rapides d’un cours d’eau dont le débit s’accélère brusquement. François Fillon, qui passait il y a peu pour le chantre de la probité et du redressement de la France, lui à qui on aurait donné le bon dieu sans confession ou peu s’en faut avec sa mine d’ecclésiastique, François Fillon serait en fait un filou qui aurait exploité en catimini les avantages de sa fonction pour rémunérer des années durant femme et enfants à prix d’or à la barbe de la République sans que personne ne s’en rende compte ou ne trouve rien à y redire. C’est tout simplement effarant. Lui, premier ministre effacé pendant le quinquennat du président Sarkozy, tellement effacé qu’on aurait pu le prendre pour le premier commis de Nicolas Sarkozy, lui, qui filait doux depuis des années, en réalité pompait en douce dans la nappe phréatique des deniers publics pour rémunérer ses proches. C’est fou. Car cette affaire, loin d’être le fait d’un « coup d’État institutionnel » comme le prétend l’intéressé, une accusation grave portée contre l’État de droit relayée par Éric Ciotti, député sarkozyste LR des Alpes-Maritimes, qui met en cause Emmanuel Macron parce que Bercy serait selon lui le seul lieu à disposer des informations révélées par le Canard enchaîné, cette affaire apporte un éclairage révélateur sur les mœurs de ces gens-là à plus forte raison quand on prend connaissance de l’interview accordée à Penelope Fillon par le Daily Telegraph, le 18 mai 2007, où elle déclare sans ambages à la journaliste britannique qui l’interroge n’avoir jamais été l’assistante de son mari ni ne s’être jamais occupée de la communication de ce dernier. Un reportage opportunément exhumé par l’émission Envoyé spécial diffusée jeudi soir sur France 2 et regardé par quelque 5,4 millions de téléspectateurs selon des chiffres de Médiamétrie. Le seul problème, c’est qu’en 2007, Penelope Fillon est censée avoir déjà travaillé pendant plusieurs années pour son mari. Et Élise Lucet, rédactrice en chef de l’émission Envoyé spécial, de préciser : « L’épouse Fillon s’exprime en 2007 alors qu’on sait qu’(elle) a été payée pendant quatre ans comme assistante parlementaire par son mari de 1998 à 2002. Cela pose de vraies interrogations sur l’emploi fictif ».
Cette affaire, qui pourrait n’être qu’une affaire de plus dans la classe politique, révèle en vérité des abîmes dans les sous-sols de notre bonne vieille Ve République minée de toutes parts. On prend ainsi conscience une fois de plus de la balkanisation de la morale politique en France, des époux Balkany jusqu’à Serge Dassault pour la droite en passant par Marine le Pen pour l’extrême droite, toujours prompte à dénoncer la corruption de ses adversaires politiques, condamnée elle-même à rembourser le parlement européen du montant de 300 000 € pour des salaires indûment perçus par de prétendus attachés parlementaires qui, en réalité, n’auraient travaillé que pour le parti frontiste. Et tout cela continue de se produire tranquillement à une époque où l’on demande toujours plus d’efforts aux citoyens français. Mais jusqu’où ce grand écart peut-il aller ? Pour beaucoup, cela devient tout bonnement insupportable. François Fillon ou le donneur de leçon mis au piquet, comme un retour de bâton d’une forme de justice immanente, finira-t-il par dessiller les yeux des électeurs de droite quant à l’écart important qui existe entre les incantations publiques que prononcent les responsables politiques et leur comportement personnel, à plus forte raison quand ces gens-là se prennent pour des chevaliers blancs, comme François Fillon, qui fait fi de la plus élémentaire morale quand il s’agit de sa propre famille.