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Billet de blog 4 juin 2014

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La pulsion de la croyance

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1.

La foi repose sur un postulat, à savoir l’existence de Dieu (ou d’une divinité) que le croyant n’a aucun moyen de connaître autrement que par la foi, un Être suprême qu’il croit connaître sans en rien connaître, une existence dont il lui est impossible de vérifier la réalité mais qu’il admet comme étant vraie. Le principe de  la foi s’oppose au principe de la connaissance, dont la démarche consiste justement à interroger la réalité des choses par des moyens rationnels pour en comprendre le sens, et, ce faisant, à faire reculer l’ignorance et la superstition.  

La foi, qui peut passer pour un pari (cf. le pari de Pascal), pour un défi (« la foi est un défi à Dieu d’exister », écrit Baudrillard), justifie l’ignorance en posant comme principe fondateur qu’on ne peut pas avoir accès à la compréhension du Tout-Puissant dont les voies sont impénétrables. Ce principe d’ignorance, admis sans difficulté par le croyant, est ce qui a permis à l’Église catholique romaine de faire prévaloir son obscurantisme des siècles durant en faisant obstruction au développement de la connaissance et à sa propagation et en bafouant au passage les principes qu’elle défendait haut et fort en théorie, institués par les deux commandements du Christ: « Tu Aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit. (….) Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (…) » (Matthieu 22 ; 37-39).

Le plus étonnant, c’est que l’évolution du monde, un monde devenu éminemment matérialiste en Occident depuis la révolution industrielle, le progrès de la science et la révélation de la liste des innombrables méfaits dont s’est rendu coupable la vénérable institution ecclésiastique romaine, depuis les siècles des siècles, tout cela n’a guère impact sur la foi religieuse, qui perdure, comme si de rien n’était, même si l’on observe une nette régression de la pratique religieuse en Occident (s’agissant du christianisme en général). Mais ce paradoxe n’est qu’apparent, car la pulsion de croyance est un phénomène déconnecté de la réalité du monde sensible. Qu’importe la réalité du monde au fond, qu’importe même ce que le progrès ou la recherche scientifiques mettent en lumière, l’effet est même souvent inverse : l’évolution matérialiste renforce chez certains la foi, qui devient une manière de résister à une trop forte pression du  Réel (le monde tel qu’il est en réalité et non pas tel que nous le percevons seulement, ce monde dont une partie nous demeure inaccessible de par nos facultés sensorielles limitées) ou de la société. Ainsi, chez certains croyants, la foi devient un moyen pratique pour se voiler la face et se soustraire à tout ce qui s’oppose à leurs vues. Il est indéniable que la foi a joué un rôle d’aide psychologique non négligeable au cours des siècles  et qu’elle continue à le faire, en augmentant chez l’individu sa résilience, sa capacité à surmonter les coups du sort.

Selon un point de vue clinique, on pourrait estimer que la foi s’apparente à une psychose, une folie  perçue comme acceptable par la société humaine dans la mesure où elle est constitutive de l’édification de la civilisation, puisque l’Histoire montre que toutes les civilisations humaines sont fondées sur la structuration de croyances, qui forment pour ainsi dire le socle sur lequel repose l’organisation sociale. Ainsi l’existence des mythologies, qui est une manière d’expliquer les choses et d’injecter du sens en comblant le vide du ciel[1]. Si la culture occidentale est clairement placée sous le signe de la mythologie gréco-romaine, toutes les civilisations passées ont une mythologie, tous les peuples du monde (passés et présents) ont leur propre mythologie plus ou moins élaborée, qu’il s’agisse des Tchouktches dans l’Extrême-Orient septentrional russe, sur les rives de l’océan Arctique, ou des indiens Zo’és, dans un coin perdu de la forêt amazonienne. 

L’Occident, lui, s’est véritablement formé lorsque l’empereur Constantin a promulgué le christianisme comme religion d’État[2] au cours du  IVe. Le christianisme est ce qui permit au vaste puzzle géopolitique dont Constantin était le maître de garder sa cohésion, comme un mortier qui fait le liant entre les moellons d’un mur. Ce qu’on appelle aujourd’hui la civilisation européenne s’inscrit dans le sillage de cette unité-là de croyance qui nous vient de la Palestine que sillonna un certain Ieshoua[3], appelé Jésus en Occident. Une croyance passablement remaniée, pour ne pas dire détournée de son sens par ceux qu’on appelle les Pères de l’Église, bien loin de l’enseignement tenu par ce même Ieshoua, qui, justement, avait tenu à ne rien consigner par écrit, conscient qu’il était que la parole devait rester vive pour être efficiente (c’est pour cette même raison que les druides n’ont jamais écrit leur enseignement, qui se transmettait d’initié à initié selon une logique de cercles concentriques). L’esprit des enseignements du maître galiléen a été escamoté en grande partie dans la mesure où l’Église catholique romaine, en s’en tenant à la lettre[4], une lettre remaniée pour coïncider avec ses doctrines savamment secrétées, siècle après siècle, finit par clouer l’Être (spirituel) de même que la Rome impériale crucifia le Christ sur le Golgotha. 

2.

L’être humain est animé par des pulsions incoercibles dont fait partie le besoin de croire. On peut interroger la source de ce besoin, qui semble être le propre de l’Homme, contrairement à l’animal, qui, autant que l’on sache, se suffit du Réel au ras duquel il vit (même si l’animal jouit de la faculté de rêver, à l’instar de l’homme). Comme si pour l’Homme, croire, en définitive, était une manière d’aller plus haut que le seul Réel, en imaginant, en projetant, une manière de dépasser le Réel, pour ne pas dire une manière de s’y soustraire, de s’en évader. Au départ, croire, c’est une manière de formuler une hypothèse. La croyance se fonde sur une intuition.

Einstein disait d’ailleurs : « Le mental intuitif est un don sacré et le mental rationnel est un fidèle serviteur. Nous avons créé une société qui honore le serviteur et qui a oublié le don. » Et Henri Poincaré : « C’est avec la logique que nous prouvons et avec l’intuition que nous trouvons »

Le problème, c’est que contrairement à la démarche scientifique, où l’hypothèse demande à être vérifiée si l’on veut continuer à s’élever en échafaudant d’autres hypothèses à la suite de la première, dans le cas de la croyance, l’hypothèse se verrouille en certitude, la certitude se bétonne en dogme. Et ce qui constituait au départ un espace de liberté intérieure finit par devenir un enfermement. Les religions[5] procèdent toutes de cet esprit d’enfermement, voire de claustration : les établissements monastiques en sont la meilleure illustration, où seul le cloître offre une trouée de lumière, une clairière dans la pénombre d’un monde muré. On peut comprendre l’idée consistant à défendre un espace de liberté en le clôturant, mais avec le temps, la clôture devient une enceinte et l’espace de liberté protégé se change ainsi en espace fermé, en cour de prison, comme si défendre (pour protéger) finissait inexorablement par produire du défendu.

On pourra rétorquer que tout dans notre monde s’inscrit dans un système d’opposition (binaire), que le jour n’existe que par opposition à l’absence de lumière, la nuit, la chaleur par rapport à son absence, le froid, et que l’être humain a le sens de la liberté seulement parce qu’il a aussi connaissance de son absence (ou de sa privation).

On pourra rétorquer que, en Occident, une abbaye, dans la manière dont elle organise l’espace architectural, s’emploie à créer du sens en opposant l’ouvert au fermé. D’où le cloître, qui, dans l’ensemble monastique, est le point de rencontre entre l’ouvert et le fermé, le lieu où s’articulent liberté et enfermement. On pourra rétorquer que le sens de la liberté intérieure n’est jamais aussi fort que dans une situation d’enfermement, que l’eau d’une source ne désaltère jamais autant le voyageur qu’au beau milieu d’un désert et que la spiritualité se forge et se vit dans le dépouillement.

Certes. Pour autant, la religion, dans son fonctionnement profond, a quelque chose qui confine à un processus de nécrose, un processus renforcé dès lors que la lettre se substitue à l’esprit qu’elle crucifie. Et de même que dans une relation humaine, où l’attachement peut se muer en dépendance (toxique), ainsi, la croyance, qui, à l’origine, s’inscrit dans un espace de liberté, un imaginaire inventif, finit par former un espace clos sous le coup d’un pouvoir coercitif qui ne dit pas son nom : la religion.   

3.

Au commencement, croire, c’est (faire) croître. Croire, c’est ce qui pousser la culture humaine (du latin colere « habiter, cultiver »). Mais le mot porte sa croix. Et de même que le Christ a porté sa croix avant que celle-ci ne le porte, comme par une  « inversion maligne des signes » dirait Michel Tournier (cf. Le roi des aulnes), ainsi, la faculté de croire, qui a porté notre culture, finit par être portée par celle-ci, comme si la culture finissait par la mettre en croix. Faut-il y voir le signe que nous sommes  parvenus à la fin d’un cycle ?


[1] « Il est évident que le “ ciel ” tel qu’on le conçoit n’existe pas en réalité, “ciel ” vient de  caelum  lui-même issu du verbe caelare  (qui a donné celer aussi) qui veut dire “cacher”. Le “ ciel“ n’est en vérité autre chose que “ ce qui nous voile la Réalité ”. » René Guénon  — cf. le grec  koilon, « creux », dont vient le mot coelacanthe.   

[2] Le Concile de Nicée (dans l’actuelle Turquie), se tint en 325 à la demande de l’empereur Constantin afin d’harmoniser les différents courants dans le christianisme et d’établir une doctrine commune pour tout l’Empire.

[3] Ieshoua, forme abrégée de l’hébreu Iehoshua, « Dieu sauve ».

[4] On estime que l’Évangile dit apocryphe  de Thomas dont le texte a été retrouvé en 1945 en Haute-Égypte, à Nag Hammadi, dans une amphore enterrée, est en fait l’évangile le plus authentique et le plus originel (Le grec apocryphe signifie « caché » : on qualifie d’apocryphe un écrit dont l’authenticité n’a pas été établie.)

[5]  Cf. l’article Religion, spiritualité: http://blogs.mediapart.fr/blog/pierre-caumont/260113/religion-spiritualite

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