Sur les ondes, Henri Guaino, l’ex-plume de l’ex-président de la République, s’offusque de ce que Patrick Buisson, un ancien conseiller de Sarkozy, ait indûment enregistré sur dictaphone des centaines d’heures de conversation à l’Élysée, des conversations auxquelles ce dernier prend même part, à la fois témoin et partie.
Ce qui est curieux, c’est que Henri Guaino, conseiller spécial de l’ex-présidence, ne se soit pas ému de la présence de Patrick Buisson quand il faisait partie de l’entourage du président Sarkozy, de cet homme de l’ombre aux accointances pour le moins troubles. Rappelons quand même que le dénommé Patrick Buisson, ami de Jean-Marie Le Pen et ancien directeur de Minute, un hebdomadaire d’extrême droite, a orienté en 2007 le Président de la République sur la question de la création du ministère de l’Identité nationale et de l’immigration. Henri Guaino a beau jeu, après coup, de parler du climat délétère de la République, de cette atmosphère de suspicion suffocante, quand lui-même a participé à cette République-là sous le signe de Docteur Jekyll et Mister Hyde, à cette République schizophrène où l’on parle des droits de l’homme d’un côté et où de l’autre l’on convie en grande pompe des dictateurs comme feu Kadhafi ou encore comme Bachar al-Assad, le boucher de Syrie.
Platon expliquait que l’âme avait deux composantes, la part raisonnable, le cheval blanc, et la part pulsionnelle, le cheval noir, et que l’art de vivre consistait à conduire cet attelage-là. Si Patrick Buisson, qui était le côté obscur de Nicolas Sarkozy, symbolise à sa manière ce cheval noir, cette part pulsionnelle sombre de l’ex-président, Henri Guaino, lui, se fait passer pour le cheval blanc de Sarkozy, le cheval blanc d’Henri IV. Au sujet des enregistrements de Patrick Buisson, Henri Guaino veut nous faire croire à une théophanie inversée, non pas depuis les hauteurs du Sinaï, mais en bas, du fond des mornes platitudes de sa vie de député UMP, tout en bas, au creux de la vague, loin des sommets du pouvoir et de la gloire, à l’époque où il caracolait dans la cour élyséenne aux côtés de son patron présidentiel. Car ce que les enregistrements de Patrick Buisson révèlent est bien loin de la révélation que Moïse reçut par l’intermédiaire du buisson ardent. Autant le guide charismatique des anciens Hébreux eut la révélation du divin en percevant son signe inouï, soit, en entendant YHWH (qui est une forme spéciale du verbe hébreu HYH et qui signifie « devenir », qu’on devrait traduire par « ce qui va advenir », ou par « le Devenir »), autant le citoyen français lambda, qui se rend sur le site atlantico.fr pour y entendre des extraits des enregistrements du sombre Buisson, y a la révélation de la trivialité insigne du pouvoir dans toute sa splendeur avec celle des mesquineries de ses laquais au ras du pavé de la basse-cour élyséenne.
Or, s’agissant des enregistrements volés de Patrick Buisson, que Henri Guaino qualifie de « viol de la vie privée », contrairement à ce que l’ancien conseiller spécial de Nicolas Sarkozy voudrait nous faire accroire, ce n’était pas impensable. Que Patrick Buisson, l’agent trouble de Sarkozy, puisse révéler ainsi le bruit des casseroles des arrière-cuisines du pouvoir, n’est pas plus surprenant que cela. Le sombre Buisson ne fait jamais là que suivre son inclination naturelle. Il suit sa pente, en la descendant. Ce qui est impensable, en vérité, c’est qu’un personnage pareil ait pu graviter autour du noyau du pouvoir de la République française, cela, oui, est purement et simplement impensable. Patrick Buisson cristallise à lui tout seul la nuit du soupçon. Aussi, les cris d’orfraie que pousse Henri Guaino en dénonçant la trahison de Patrick Buisson, sa vilenie ou ses mauvaises manières, tout cela relève de la plus parfaite hypocrisie. Le scandale est ailleurs.
Ce que nous révèle la réaction d’Henri Guaino, c’est sa foncière mauvaise foi, une mauvaise foi à l’épreuve des faits. Henri Guaino est un homme au costume réversible, capable de dire qu’il fait confiance aux hommes, comme il déclare faire confiance à Jean-François Copé, capitaine du radeau de la Méduse, « jusqu’à preuve du contraire ». Jusqu’à preuve du contraire ? Comme si la confiance qu’accordait Henri Guaino ne se fondait non pas sur une intuition profonde des êtres humains mais sur un simple fonctionnement. Henri Guano fait confiance tant que cela marche, jusqu’à ce que cela tombe en panne, auquel cas, il retire sa confiance et la place ailleurs. Il place sa confiance comme un financier qui suit les cours de la bourse. Ce n’est pas cela, faire confiance. Henri Guaino ne « fait pas confiance » à des êtres humains, il utilise ce sentiment à l’égard de gens pour s’en servir, lui, comme d’instruments. Faire confiance, pour Henri Guaino, c’est faire utile. La confiance est pour lui une simple monnaie d’échange, il s’en sert et la jette quand elle devient fiente. Henri Guaino ou le parfait exemple de l’opportuniste sur la scène politique française. Ni noir, ni blanc, parfaitement gris. La matière dont sont faits la plupart des hommes politiques de ce pays. Entre chien et loup, tous ces hommes sont gris.