Jérôme Cahuzac, dont on apprend maintenant qu’il a des accointances à l’extrême droite, puisque le fiscaliste qui lui a conseillé de placer son argent dans la banque suisse UBS, et qui se dit son ami, n’est autre qu’une relation de Marine Le Pen. Après les révélations fracassantes de la forfaiture de l’ex-ministre du budget, on vient d’apprendre que Jérôme Cahuzac n’a nullement l’intention de quitter son siège de député. L’emploi du terme « forfaiture » semble approprié au vu de la situation aberrante : comment en effet un serviteur de l’État (ministre vient du latin minister « serviteur »), qui dit traquer la fraude fiscale, peut-il lui-même flouer l’État qu’il est censé servir en faisant partie des fraudeurs du Fisc qu’il poursuit ? C’est là un comportement qui relève de la schizophrénie, mais il semblerait que la vie de Jérôme Cahuzac soit bien compartimentée, ce qui autorise toutes les incohérences, chose qui n’est pas visible à l’œil nu dès lors que les compartiments sont étanches, qu’ils sont bien isolés les uns des autres. C’est la compartimentation qui autorise tout, comme l’a bien compris Dominique Strauss-Kahn, dont la double vie n’est apparue en pleine lumière qu’après des décennies de vie politique. Le pouvoir auquel a goûté le tigre Strauss-Kahn a créé chez lui cette monstruosité-là, cette double entité, Mister Kahn et docteur Strauss. Il faut croire que Jérôme Cahuzac fait partie de cette espèce-là, qu’il fait partie de ces cas pathologiques sous des dehors séduisants. Le monde politique est de toute évidence le vivarium idéal où prospèrent nombre de cas humains, et comment pourrait-il en être autrement, hélas, au vu de l’état de notre civilisation, où l’humanité, l’intelligence (du cœur), l’honnêteté (intellectuelle et citoyenne) et l’honneur ne pèsent pas lourd devant les valeurs dont notre système capiteux fait en permanence la promotion, à savoir, la recherche du pouvoir, la recherche de la puissance que donne l’argent ?
Jérôme Cahuzac n’a donc pas l’intention de renoncer à son siège de député. Le comble. Pour quelle raison ? Tout simplement parce que la loi ne l’y contraint pas. Tout simplement parce que c’est « légal ». Et le président de l’assemblée nationale, Claude Bartolone, d’essayer de persuader l’ex-ministre du budget de renoncer à cette idée-là, même si la chose est « légale ». Qu’est-ce donc que la légalité ? Un ensemble de règles qui régissent le fonctionnement d’une société dite « civilisée » et qui permettent aux citoyens de ladite société de vivre ensemble en « bonne intelligence », c’est-à-dire, de cohabiter en limitant autant que possible les frictions, un peu comme l’huile de moteur permet, en lubrifiant les pièces mécaniques en jeu, de limiter l’échauffement des pièces en contact. Or, plus une société est nombreuse, plus il faut d’huile de moteur, car la multiplication des pièces en présence multiplie les problèmes d’échauffement. D’où la prolifération des lois dans notre société dite évoluée, avec ce terrible effet pervers : en conditionnant tous les aspects de la vie, les lois, censées protéger les libertés individuelles, finissent par les étouffer. C’est ainsi que la légalité, dans notre civilisation moderne, finit par rendre la vie impossible.
Le développement tous azimuts de notre système légal et juridique fait penser à la loi mosaïque chez le peuple hébreu, une loi aux six cent treize prohibitions rendues plus compliquées encore par un grand nombre de commentaires abscons. L’Alliance du Christ (qui venait en remplacement de l’ancien système), elle, se résumait à deux seuls commandements dont le second est : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Matthieu 22 ; 37-39). Deux préceptes, simples mais exigeants, à la place de l’invraisemblable ensemble de prescriptions de la loi mosaïque, qui s’attachait à traiter tous les aspects de la vie, jusqu’au moindre détail.
Dans notre société dite évoluée, on vit selon une loi mosaïque d’une autre espèce, une mosaïque de lois à l’infini, tout simplement parce que les êtres humains qui composent notre société sont incapables de vivre ensemble en bonne intelligence. Parce qu’ils sont incapables d’aimer « leurs prochains comme eux-mêmes », comme l’énonça un certain Yeshoua, il y a près de deux mille ans. Et le propos ne va pas dans le sens du poil de l’Église catholique romaine, qui impose sa tyrannie et sa supercherie depuis près de deux mille ans, mais dans le sens de l’humain.
Jérôme Cahuzac n’a donc pas l’intention de renoncer à son siège de député parce qu’il peut le garder, parce que la loi l’y autorise, parce que c’est légal. Va-t-il falloir faire une loi pour distinguer ce qui est bien de qui ne l’est pas s’agissant de la situation particulière dans laquelle se trouve le député Cahuzac ? Une loi pour délimiter plus encore l’espace entre ce qui est autorisé et ce qui est interdit ? Une loi de plus qui restreindra plus encore l’espace collectif de la liberté humaine (et l’espace personnel des libertés individuelles) ? Une fois qui augmentera le champ des interdits sociaux ? Une loi de plus tout simplement parce que l’ex-ministre du budget, le député Jérôme Cahuzac manque à ce point d’honneur et d’honnêteté pour reconnaître que ce n’est pas parce que la chose est légale, dans la mesure où aucune loi ne l’interdit, qu’il a le droit, moralement parlant, de le faire. C’est cela, l’éthique, c’est ce qui gouverne les libertés individuelles de chaque personne. On vit dans une société non pas évoluée, mais qui recule, et de plus en plus, une société reculée où les gens manquent à ce point d’éthique personnelle qu’il leur faut des lois coercitives pour les contraindre à respecter ce qui est de l’ordre du bon sens, ou du sens du bien commun.
Aussi, qu’un ancien chirurgien, recyclé dans les implants capillaires, parce que c’était une source de profits bancaires, qu’un ancien chirurgien devenu maire, député puis ministre, devienne la raison qui légitime la création d’une loi de plus dans une société qui asphyxie sous le nombre des lois, d’une loi pour l’oie noire, voilà qui donne envie de s’arracher les cheveux.
Car il n’y a pas de lois blanches, il n’y a que des ombres noires qui obscurcissent le ciel.