Pierre Caumont (avatar)

Pierre Caumont

autre

Abonné·e de Mediapart

256 Billets

0 Édition

Billet de blog 5 septembre 2014

Pierre Caumont (avatar)

Pierre Caumont

autre

Abonné·e de Mediapart

Il était une fois les Hauts de Vertolaye

Le Puy-de-Dôme n’a pas que ses volcans que le Conseil général, sous la houlette de son bouillonnant président, Jean-Yves Gouttebel, a la ferme ambition de faire inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Pierre Caumont (avatar)

Pierre Caumont

autre

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le Puy-de-Dôme n’a pas que ses volcans que le Conseil général, sous la houlette de son bouillonnant président, Jean-Yves Gouttebel, a la ferme ambition de faire inscrire au patrimoine mondial de l’UNESCO. Non, le Puy-de-Dôme n’a pas seulement sa chaîne des Puys comme une bicyclette a sa chaîne, ses monts Dôme dans le dos de Clermont-Ferrand à l’ouest de l’Allier (dont le cours découpe le département en deux parties égales), ce territoire abrite aussi dans sa partie orientale, aux confins du département de la Loire, un site remarquable sur les hauteurs des monts du Forez qu’on appelle les Hautes Chaumes. À l’est de l’Allier, la Dore, qui en est un affluent, sépare le Livradois du Forez. Les monts du Forez s’étirent depuis le sud-est de Thiers jusqu’au nord-est de la Chaise-Dieu, au nord de la Haute-Loire, sur une distance d’environ 80 km. En longeant le cours de la Dore, dont la vallée s’étend d’Olliergues jusqu’à Dore-l’Église, du nord au sud, on tombe sur une localité qui s’appelle Vertolaye (le nom se prononce Vertolaïe), à une dizaine de km au sud d’Olliergues, qui abrite un site industriel appartenant au groupe pharmaceutique Sanofi. À Vertolaye, où se dresse la Gare de l’Utopie (en grec, outopos signifie « en aucun lieu ») sur une ligne ferroviaire que n’emprunte plus qu’un train touristique (longue de 150 km à travers le Livradois-Forez), sortez de la départementale, qui file plein sud (en caressant les contours ondoyants de la Dore) et traversez le village en prenant la direction du Forez.

Le village a bonne mine, une bonne santé qui s’épanouit au visage de ses façades. Une petite halte s’impose pour remonter dans le temps. En 1939, devant l’imminence de la guerre contre l’Allemagne nazie, les Usines Chimiques des Laboratoires Français (UCLAF), dont l’usine centrale se trouve à Romainville, en Seine-Saint-Denis, rachètent l’usine  chimique de Vertolaye qui devient UCLAF II, constituant ainsi un site de repli. Une implantation qui va rejaillir économiquement sur la commune jusque dans toute la vallée de la Dore. En 2004, le site est racheté par Sanofi.   

Retour au présent. À la sortie du village, prenez la D 66, direction du Chalet de Laroche, et quand, une quinzaine de km plus loin, sur la D 255 après avoir dépassé le chalet, un gîte d’étape, vous arrivez à un endroit qui s’appelle le Pré Daval, tournez à gauche. La route cède alors le pas à un chemin rocailleux mais carrossable qui mène à la vallée du Fossat, roulez au pas. Une fois le pré Daval passé, quand le chemin aboutit à un sentier forestier dont l’accès, exclusivement pédestre, est barré par une traverse en bois, le voyage en voiture prend fin, le voyage à pied peut commencer. Vous prenez pied sur le sol d’une ancienne vallée glaciaire, située à 1200 mètres d’altitude, qui entre comme un coin dans la montagne.  Planté au bout du chemin, juste avant des panneaux d’interdiction de circulation de tout véhicule et engin motorisé, un panneau à vocation pédagogique instruit le visiteur curieux de l’histoire géologique du site : on y apprend que, à cet endroit-là, un glacier de 150 mètre d’épaisseur et de 5 km de long a occupé pendant des millénaires tout l’espace qui s’offre au regard et que la montagne ferme au fond. Emportés par le sillage du glacier, qui a agi comme un rabot géant, des blocs de granit erratiques ponctuent çà et là le tapis herbeux de la prairie. Au côté nord de la vallée se dresse le bâtiment en pierre d’une ferme récemment rénovée. Allez, il est temps de se mettre en marche, de prendre la mesure de l’espace et le pouls de la montagne. Il est temps de prendre le temps, de prendre sa respiration et de se lancer à l’assaut des Hauts. Passez la traverse qui barre le sentier, c’est un GR balisé avec ses marques caractéristiques, qui monte jusqu’au col de la Croix du Fossat, situé à 1428 mètres d’altitude. Sur la gauche court le ruisseau de Vertolaye qui sort du ventre de la montagne. À mesure que vous progressez avec dans l’oreille la rumeur minérale du ruisseau, la forêt vous enveloppe, se referme sur vos pas, comme pour effacer toute trace de votre passage. Le chemin, plat au départ, quand on longe le ruisseau, se raidit peu à peu, la pente s’accentue, le pied doit fournir une poussée un peu plus forte vers le haut pour répondre à l’appel de la montagne, cette montagne qui, alors que vous vous enfoncez dans les sous-bois ombreux qui en tapissent les versants, semble ruisseler de toutes parts. L’eau vive jaillit des pis de la roche sur toute la longueur du sentier pour se jeter vers la combe où chante le ruisseau principal, inondant par endroits des portions du sentier forestier dont elle fait son lit d’appoint. On mesure à quel point les monts du Forez constituent un formidable château d’eau granitique, un gigantesque réservoir naturel creusé dans la rocher qui abreuve toute la région. Le long du chemin qui gravit la montagne, le vert sombre des épicéas alterne avec le vert plus tendre des sapins, et quand la pente devient plus ardue, les racines des conifères entrelacées en travers du sentier forment comme des marches ligneuses facilitant l’ascension du promeneur qui s’élève le long de l’escalier sylvestre avec dans les yeux la lumière du soleil filtrant à travers les épaisses frondaisons, comme un fil d’or scintillant à travers le chas des aiguilles des résineux, un fil d’Ariane qu’on suit pas à pas, comme hypnotisé, car il conduit là-haut, à la source du soleil, au bout de la voûte forestière sous laquelle s’insinue le sentier. Plus on prend de l’altitude, plus les hêtres qu’on croise sur le chemin ont des postures torturées, avec leurs branches tordues sous l’effet du gel et du vent, comme s’ils imploraient la clémence des éléments. Chemin de croix des arbres, le sentier a ses stations qui offrent des points de vue vertigineux sur la faille où se précipite le ruisseau de Vertolaye. Le milieu est rude, rudement beau, d’une beauté abrupte taillée au burin, avec pour sommet de la rudesse, plus haut que le col de la Croix du Fossat, Pierre-sur-Haute, à 1634 mètres d’altitude, point culminant des monts du Forez, à la frontière entre les départements du Puy-de-Dôme et de la Loire, avec ses 197 jours de gel et ses 175 jours de neige par an. Ce sommet accueille une station hertzienne militaire construite en 1961 par l’OTAN à l’époque de la guerre froide. C’est aussi une station radar pour l’aviation civile avec un relais civil. Pierre-sur-Haute se voit de loin, avec ses plantations futuristes dressées vers le ciel qui réverbèrent le soleil. Parvenu en haut de l’escalier forestier, au col de la Croix du Fossat, le changement est radical, comme si on passait d’un monde à l’autre. À cet étage, il n’y a plus un arbre ou presque. La végétation est rase, le paysage paraît nu. Chaume vient de la racine préceltique clam, « espace dénudé ». Une lande d’altitude s’étend à perte de vue, entre lande boréale et steppe mongole. L’échine forézienne donne l’impression de dodeliner en déclinant à l’infini son doux relief en mille et une dunes herbues parsemées de rochers tachetés de lichen. C’est le royaume de la tourbière et de la bruyère, où les teintes de vert se mêlent de touches mauves et violacées. Ici, rien n’arrête le regard qui semble glisser sans fin vers l’horizon, hormis la silhouette d’un sorbier solitaire qui se découpe sur le ciel et dont les baies font comme des pendentifs rouge corail sous le pavillon des feuilles. Parfois le silence intense est déchiré par les criaillements sonores d’une bande de corbeaux freux ou de choucas qui s’abattent sur un arbre pour le dépouiller sans vergogne de sa parure vermillon, un arbre dont la présence rare permet justement de prendre la mesure de l’espace vide à l’entour. À cet étage supérieur, où la terre s’exhausse vers le ciel, on a l’impression d’être ailleurs, loin du monde, du monde d’en bas, du monde des hommes. Oui, on a un peu le sentiment d’être au ciel ici, l’air y est clair, plus léger, la frontière entre la terre et l’air s’y estompe. Et le pas qui s’enfonce dans le tapis moelleux que forment la bruyère et la sphaigne, une sensation de douceur renforcée par l’épaisseur de la tourbe dessous, ce pas semble se soustraire à la pesanteur terrestre comme si l’on marchait sur la Lune.  

La Croix du Fossat est au carrefour de plusieurs pistes. Une piste part vers le nord en faisant un détour par l’ouest (au lieu-dit du Pradoux), qui  aboutit à Pierre-sur-Haute en passant par les burons de la Richarde. On peut aussi emprunter un sentier qui coupe par la lande pour se rendre directement aux burons, derrière lesquels se dressent les installations de Pierre-sur-Haute, comme un parterre du troisième type où s’épanouissent des plantes géantes aux formes étranges dont les fleurs de métal  interrogent le ciel. Ce sentier sent bon les montagnes russes foréziennes même s’il finit par se perdre en chemin, entre terre et ciel, dans l’épaisseur du manteau végétal. Au sud, une piste file jusque vers l’abîme qui bée au bout de la montagne de Monthiallier, en passant en contrebas des jasseries de la Croix du Fossat, juchées un peu plus haut. La piste du sud fait du pied, comme si, après l’appel des hauteurs résonnait l’appel de la pente. En suivant la piste de granit réduit en sable, on tombe sur une première jasserie.

On appelle jas ou jasserie une ferme d’estive où jadis, jusqu’au début du XXe siècle, une partie de la population des villages à l’entour faisait l’estive pour garder les troupeaux sur les Hautes Chaumes et y faire du fromage. En théorie, jas désigne une ferme et jasserie un regroupement de jas, constituant ainsi de véritables petit hameaux d’altitude. Mais en pratique, jas et jasserie ont fini par se confondre, comme la terre qui se mêle au ciel sur ces hauteurs. Le jas était divisé en deux parties, la partie habitable proprement dite constituée d’une pièce unique, qui abritait un cantou (la cheminée auvergnate typique) et l’étable, pour les bêtes (cf. la photo du panneau pédagogique de la jasserie des Supeyres en pièce jointe). Au-dessus, la fenière, où l’on remisait le fourrage. Le jas a une architecture particulière adaptée aux conditions climatiques du milieu. Sa structure est trapue, robuste, avec des murs constitués de moellons de granit. Le toit, en chaume, descend souvent jusqu’à terre pour donner le moins de prise possible au vent, qui souffle parfois rudement sur ces hauteurs où rien ne lui fait obstacle.  Si parfois le terme de buron figure sur les cartes, c’est une erreur, car le buron désigne un abri du Cantal, notamment dans l’Aubrac, dont le toit est constitué de lauzes et non pas de chaume, comme dans les monts du Forez. En vieux français, buiron signifiait cabane. Jasserie vient du latin jacium, soit « gîte », le lieu où l’on gît, où l’on est couché. Et comme si le bâtiment même était pétri de son l’étymologie de son nom, ces fermes d’estive ont pour caractéristique commune de présenter une forme allongée à ras de terre, comme si elles étaient couchées pour moins s’exposer aux intempéries. 

À chaque jas sa serve, une source qui l’alimente en eau. À chaque jas sa cave où l’on entreposait les précieuses fourmes. Adossée au jas et presque entièrement enterrée, elle était orientée vers le nord. Sa partie supérieure était fermée par une voûte formée de blocs de granit empilés les uns sur les autres. En 1926, plus de 2500 personnes, 6000 vaches et veaux et 5000 moutons passaient l’été sur les estives. Toute cette population humaine et animale se rendait sur les Hautes Chaumes dès le mois de mai. Les hommes retournaient dans la vallée pour les moissons et les fenaisons, mais les femmes et les enfants restaient en haut jusqu’en automne. Il revenait aux femmes et enfants de traire trois fois par jour les vaches pour en tirer 20 à 25 litre de lait dont on fabriquait quotidiennement une fourme de 2 kg (fourme est issu du latin forma d’où vient le mot fromage). Le travail était ardu et la vie rude. La fourme d’Ambert vient de là, du pays des Hautes Chaumes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le fromage prit le nom de fourme de Pierre-sur-Haute, qui était alors le centre de la zone de production. 

Ce temps-là est désormais révolu : on ne fabrique plus la fourme sur les Hautes Chaumes. La plupart des hommes ont fini par déserter ces hauteurs (hormis quelques rares bergers et éleveurs de bétail bovin qui s’obstinent à  y faire l’estive) et les jasseries ont peu à peu été abandonnées. Certaines sont tombées en ruine, d’autres ont été rénovées et sont conservées en l’état avec leur toit de chaume d’origine. Mais le site est si remarquable que des particuliers y ont fait bâtir des jasseries toute neuves avec tout le confort moderne, des jasseries dont l’architecture reste fidèle au modèle traditionnel à cette différence près que leur couverture n’est plus en chaume mais en tuiles. Ce sont des résidences d’été avec une vue imprenable sur Valcivières, plus en bas (cf. les nouvelles jasseries des Supeyres).   

La piste, qui glisse vers le ciel au bout de la montagne, est bordée sur son côté droit par une rangée de piquets en bois brut, des piquets nus qui ne gardent plus rien car ils sont dépourvus de leur parure barbelée, hormis quelques lambeaux de métal qui subsistent. Vestiges d’un temps révolu, sans doute, on dirait d’ailleurs plus des sculptures en bois aux formes torturées que des piquets, des sentinelles qui, au lieu de garder les bêtes dans les pâturages, regardent à présent l’espace infini en direction de l’est, là où, si la lumière est suffisamment claire, on aperçoit, au-delà de la succession des orbes qui s’étagent au lointain et dont la frise poudroie au soleil, le croc étincelant du mont Blanc qui vient mordre dans la chair laiteuse du ciel. Au bout de la piste se dresse une jasserie qui semble défier l’abîme. Son toit en fibrociment (ce matériau, plus résistant, a fini par remplacer le chaume traditionnel sur de nombreuses jasseries), qui s’est en partie effondré, invite le ciel à l’intérieur. De lourdes pièces de charpente sont tombées à terre. La structure du bâtiment tient encore, même si des moellons de granit s’en sont détachés, mais pour combien de temps ?  Dans la partie habitable, les montants en granit du cantou (la cheminée auvergnate typique, orientée ici vers l’ouest) n’ont pas bougé. La partie la plus épargnée est la cave à fromage, dont la voûte est intacte. Un jour, une tempête plus forte que les autres viendra donner le coup de grâce à cette jasserie perdue au bout de la piste, cette jasserie au bord du ciel, au bord du gouffre, et qui finira par tomber, par tomber dans l’oubli, comme son nom d’ailleurs, oublié, et qui ne figure plus sur aucune carte. Oui, un jour, la jasserie des Nerses (puisque tel est son nom) fera naufrage et sombrera, à moins que la tempête ne l’emporte au ciel ? Dans ce pays où terre et ciel se tutoient, dans ce pays d’« il était une fois », voilà qui ferait une belle légende.  

PS : Pour accompagner la lecture-ascension, et en manière de donner du corps à la méditation, je recommande la musique du groupe auvergnat Aligot Élément (cette formation compte deux albums à son actif : Les révoltés du Pounty (2000), Le signal du Luguet, (2003), parus chez Modal), qui cuisine à merveille musique traditionnelle dans les casseroles de la modernité, une musique aux effluves savamment simples qui font chavirer l’âme, avec cet esprit de fusion (entre jazz et folklore) qui en fait toute la subtile saveur, toute la folle senteur.      

Cf. les liens suivants :

http://www.tommefraicheproductions.com/tommefraicheproductions.com/Aligot_Elements.html

https://soundcloud.com/tommefraiche/sets

http://www.youtube.com/watch?v=AxyhQV53QaU

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.